Société

Le voile, pour, contre ou ça dépend?

Alors, on le permet ou pas? Rarement le voile aura autant polarisé l’opinion. D’aucuns y voient un symbole d’asservissement de la femme contrainte de le porter, tandis que d’autres n’en démordent pas: c’est une question de liberté de choix. Voici ce qu’en pensent Dalila Awada, Nadia El-Mabrouk et Pascale Navarro.

Photo: iStock.com / Martine Doucet

Projetée une nouvelle fois à l’avant-scène avec l’arrivée au pouvoir de François Legault, l’interdiction du port de signes religieux pour certains employés de l’État – dont peut-être les enseignantes – fait aujourd’hui l’objet d’un vif débat. Un projet de loi en ce sens devrait être déposé d’ici la mi-mai si le gouvernement québécois veut qu’il soit adopté avant la fin des travaux parlementaires en juin.

Trois femmes nous donnent leur point de vue.

POUR: Dalila Awada

Qu’on le veuille ou non, depuis une dizaine d’années, les musulmanes occupent une place prépondérante dans le débat sur la laïcité au Québec. C’est immanquable, on revient toujours à elles. À elles et à leur voile! Qu’il s’agisse des accom­modements raisonnables (autour des années 2010), du projet de la Charte des valeurs du Parti québécois (en 2013) ou de celui, plus récent, de la Coalition Avenir Québec [maintenant au pou­voir], ces femmes se retrouvent au centre du débat. Et selon moi, ce n’est pas un hasard, c’est parce qu’il s’agit d’une carte facile pour les politiciens.

Or, en s’attaquant de cette façon à un petit groupe de citoyens pour répondre au sentiment de malaise d’un autre pan de la population, le gouvernement actuel fait fausse route. Je conçois bien que, dans une société comme la nôtre, on ne soit pas d’accord avec les façons de vivre de chacun. Le con­traire ne serait pas réaliste… Mais ­plutôt que de considérer cette diversité comme une richesse, on essaie d’homogénéiser les fonctionnaires, d’homogénéiser tout le monde. Ce faisant, on ouvre la porte à un dangereux précédent qui, en fin de compte, ne réglera rien.

Il est absurde de croire que c’est en retirant les signes religieux que l’on ­arrivera à garantir la neutralité des personnes qui ont un poste d’autorité – policiers, juges ou même enseignants. On a des cas de fonctionnaires qui ne revêtent pas d’habit religieux et qui sont loin d’être neutres. Songeons seulement aux nombreux témoignages d’autochtones qui disent avoir été agressées par des policiers… qui ne portaient pas d’habit religieux. Ou encore à cette juge qui a refusé d’entendre la cause d’une femme arborant le hijab. Mais au lieu de s’attaquer à ces problèmes, on fait comme s’ils n’existaient pas et on se met à taper sur la tête de celles qui sont voilées. Il y a une incohérence!

Qu’on me comprenne bien: je conçois tout à fait que beaucoup de gens n’aiment pas le voile et le voient comme un signe d’oppression. Je ne cherche même pas à les convaincre du contraire: je ne suis pas là pour le défendre. Par contre, je revendique le droit des femmes de choisir de le porter ou pas! Je suis certaine que la plupart d’entre elles refuseront de l’enlever. Pas parce qu’elles sont obsédées par leur voile ou qu’elles sont intégristes, mais parce que c’est une question de principe. Penser le contraire, c’est juste mal compren­dre ce que représente ce symbole: bien plus qu’une parure ou un morceau de tissu, le voile est une partie de qui elles sont.

Dalila Awada intervient dans le débat sur la laïcité depuis une dizaine d’années. Inscrite à la maîtrise en sociologie à L’UQÀM, la jeune musulmane milite notamment au sein de l’organisme Paroles de femmes, qu’elle a confondé et qui vise à créer et à soutenir des espaces de parole et d’action pour les femmes racisées. Elle est également chroniqueuse au journal Métro.

CONTRE:

Nadia El-Mabrouk

J’en ai marre que les Québécois soient perçus comme des racistes parce qu’ils souhaitent interdire les symboles religieux pour les personnes en position d’autorité. Pour moi, c’est un non-sens. La sécularisation de l’État québécois et de ses ramifications publiques ne date pas d’hier! C’est un mouvement enclenché depuis la Révolution tranquille, qui s’inscrit dans la modernisation du Québec.

Pour moi, la laïcité est un choix de société. C’est une volonté qu’ont les gens d’ici de s’ouvrir aux autres religions, aux non-croyants, à des cultures différentes, bref à tous! Le projet de loi annoncé par le gouvernement caquiste se situe là-dedans et il a toute sa raison d’être. Cela dépasse largement le débat actuel.
C’est d’ailleurs un mouvement qui, historiquement, est passé par l’école. Il apparaît donc tout à fait normal que l’interdiction des signes religieux ne soit pas limitée aux personnes en position d’autorité coercitive, mais s’appli­que aussi aux enseignants. Parce que l’école publique est un lieu de socialisation. Les parents – quelles que soient leur origine et leurs croyances – doivent s’y sentir à l’aise et en sécurité. Et pour y arriver, cela doit être un endroit neutre où l’on accueille tout le monde, peu importe les idées de chacun et, surtout, sans heurter ces idées. Or, à mon sens, ce n’est pas possible si on y tolère la présence de symboles religieux.

Il n’y a pas que les Québécois qui ont exprimé des malaises par rapport au voile. Pour certaines femmes issues du Maghreb qui ont déjà été obligées de le revêtir à cause des islamistes, il y a quelque chose de très violent à retrouver ce symbole ici.

En se portant à la défense du voile, plusieurs en vien­nent à oublier la charge politique et sociale qui se cache derrière celui-ci. C’est une chose de le tolérer, mais on ne devrait jamais le banaliser. Quand une enfant imite son éducatrice et en met un sur sa tête pour jouer, on ne devrait pas la laisser faire. C’est un symbole sexiste. On se positionne contre la culture du viol, il faut être cohérent…

Enfin, pensons à celles à qui on impose le hijab à la maison – je songe ici aux jeunes filles. Comment croire qu’elles arriveront à s’émanciper, qu’elles trouveront de l’aide chez leurs enseignantes qui portent le voile? Il s’agit aussi d’une question de modèle, de ce qu’on accepte de présenter à nos enfants.

Nadia El-Mabrouk est professeure au Département d’informatique et de recherche opérationnelle à l’Université de Montréal. Elle est engagée au sein de deux organismes: Pour les droits des femmes du Québec et l’Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité.

Photo: Louise Savoie

ÇA DÉPEND: Pascale Navarro

Malgré tout ce qui s’est dit et écrit ces derniers mois à propos de la place des signes religieux dans l’espace public québécois, je n’ai toujours pas de position tranchée sur le sujet. Il nous man­que encore tellement d’éléments: on est en train de débattre de la question, alors qu’on ne connaît même pas les détails de ce projet de loi! J’avoue ne pas trop comprendre pourquoi on s’affole ainsi actuellement… À mon sens, nos institutions sont déjà laïques.

Il est essentiel de se rappeler collectivement qu’il existe une distinction claire entre les institutions, comme les écoles, et les individus. On ne peut pas présumer qu’un enseignant qui arbore un signe religieux – et on va se dire les vraies affaires: on parle surtout du voile des musulmanes ici! – fait du prosé­lytisme. On doit faire confiance aux ­mécanismes en place. Je suis d’accord qu’il faut intervenir lorsqu’il y a un problème, mais en attendant, on ne peut pas mettre la hache dans les droits fondamentaux que sont la liberté de religion et la liberté de conscience, juste au cas où!

Est-ce que ça veut dire que tous les débats sont vains? Pas du tout! Je crois qu’il serait très sain d’avoir une réflexion sur le degré de maturité des enfants, par exemple, parce qu’un professeur d’université qui porte la kippa et une enseignante au primaire qui porte le hijab, ce n’est pas la même chose. Ceux qui se trouvent en face d’eux sont bien différents… Mais une interdiction complète serait à mon avis une erreur, qui ferait sans doute plus de mal que de bien.
Je suis quand même contre le voile. Je pense qu’il s’agit d’un symbole sexiste qui fait violence aux femmes dans plusieurs pays du monde. Je ne l’ai jamais défendu! Par contre, il faut arrêter de comparer la situation du Québec à celle de l’Iran ou de l’Arabie saoudite. Ce n’est pas la même chose.

Toutefois, je ne peux me résoudre à être contre celles qui décident de le revêtir. Je ne nie pas le fait qu’elles subissent sans doute des pressions pour le mettre, mais je me demande ce qui se passerait si elles ne le portaient pas. Qu’en serait-il de leur situation chez elles? Qui plus est, on ne peut pas se présenter en défenseur de la liberté des femmes et affirmer vouloir s’attaquer à un symbole d’oppression tout en leur interdisant le droit de choisir par elles-mêmes. C’est un non-sens.

Journaliste et animatrice, Pascale Navarro s’affiche depuis plusieurs années comme féministe. Son travail l’a d’ailleurs amenée à rencontrer de nombreuses femmes de tous horizons. au cours des dernières années, elle a publié des ouvrages, dont Femmes et pouvoir: les changements nécessaires – Plaidoyer pour la parité (Leméac, 2015).

Photo: Getty Images / Caia image / Robert Daly

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