Chroniques

Laïcité: le Québec peut s’en accommoder!

Ça souffle fort en cette saison de débats autour du projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité. Mais le Québec est capable de résister aux bourrasques.

Photo: iStock/FatCamera

On pourrait l’oublier, vu la chaleur ardente de nos débats collectifs, mais il existe une telle chose qu’un «nous» québécois. Il unit racines, souches, branches bien accrochées, jeunes pousses, feuilles qui s’ajoutent… Je viens d’y consacrer un livre, tourné du côté des plaisirs de vivre au Québec, et je me réjouis de la solidité de l’arbre que tout ça forme.

Reste qu’il vente, et ce n’est pas fini! Il faut encore passer l’étape de la commission parlementaire qui doit se pencher sur le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État. Les accusations vont donc continuer de pleuvoir de tous côtés, les hauts cris de chaque camp s’unissant dans la cacophonie.

Heureusement, les airs qui évoquent l’intolérance quasi congénitale du Québec ne font plus trop d’effet: ça nous est seriné depuis si longtemps! C’est en fait un copier-coller de ce qui se disait au moment de la mise en place de la loi 101. J’ai particulièrement en tête cet exemple qu’on entendait alors partout: l’infirmière qui perdrait son emploi, ou ne pourrait en avoir un, parce qu’elle n’arriverait pas à passer son test de français. Méchant Québec qui voulait la pousser à partir!… Les reproches d’aujourd’hui ne représentent rien de nouveau sous le soleil.

Je fais donc comme l’immense majorité des Québécois: j’attends que ça passe, en me répétant que ça achève.

Il faut dire que depuis le temps qu’on en parle – une douzaine d’années! – chacun a eu le temps de se faire une idée sur la laïcité. Et la plupart d’entre nous sommes prêts au compromis, comme le fait le gouvernement caquiste, puisqu’ainsi va la vie en société.

Moi, par exemple, j’aurais été partante pour le modèle français, qui existe depuis plus de cent ans. J’ai vécu en France dans les années 1980, et je trouvais tout à fait logique que les jeunes juifs qui fréquentaient l’école près de ma résidence retirent leur kippa avant d’aller en cours et la remettent en sortant.

Je me rappelle aussi avoir apprécié l’illustration très simple de la laïcité à la française dans le film L’Union sacrée, qui avait eu un beau succès à sa sortie en 1989. Il mettait en vedette Patrick Bruel et Richard Berry, le premier incarnant un policier juif, l’autre son collègue musulman. Les deux hommes ne s’aiment pas mais sont tenus de travailler ensemble pour démanteler un réseau de trafiquants. Or au début du film, on les voit tous les deux déposer dans leur casier les signes religieux associés à leur foi. En prenant leur fonction, leurs différences devaient s’effacer. Aussi simple que ça!

Venue d’un Québec qui était enfin sorti de sa parenthèse religieuse longue d’un siècle, mais qui n’avait pas achevé sa laïcisation, je trouvais ça inspirant.

Mais j’étais loin de m’imaginer à l’époque que la défense de la religion reviendrait au premier plan de nos débats publics, portée en plus par des milieux progressistes! Je ne pensais pas non plus qu’on en viendrait à associer le mot «laïcité» au racisme, ni qu’on se lancerait dans de curieuses distinctions entre les institutions et les personnes qui les incarnent.

L’ironie, c’est que ce sont les musulmans eux-mêmes qui les premiers ont levé le drapeau face au retour du religieux.

Les Algériens arrivés ici dans les années 1990, fuyant la guerre civile et l’islamisme, croyaient bien avoir trouvé la paix. Jusqu’à ce qu’ils constatent que des gens qui avaient une vision plus intégriste de l’islam arrivaient à leur tour au Québec. Des musulmanes venues d’Algérie, du Maroc, de Tunisie ont donc pris la parole pour dénoncer les dérives qui se développaient dans leurs communautés. Du lot des sonneuses d’alerte, Fatima Houda-Pépin était l’une des plus éloquentes – c’est d’ailleurs depuis cette époque que je suis son travail.

Les terribles attentats du 11 septembre 2001 ont compliqué la donne. Les regards se sont tournés vers les communautés musulmanes installées en Occident et qu’on ne connaissait pas tant. Ç’a suscité l’islamophobie des uns mais aussi l’envie de connaître des autres. Des musulmans et des musulmanes décidaient pour leur part de s’afficher, histoire de littéralement faire voir que leur religion n’est pas synonyme de terrorisme.

Ce besoin d’affirmation, légitime, s’est toutefois manifesté au moment même où l’Occident était à se rebrasser, troquant le sens du collectif et de l’universalisme contre la stricte considération des individus, détachés les uns des autres, sans voir le portrait d’ensemble.

Et ç’a fait quoi? Ç’a brouillé la base des échanges. Dans mon jeune temps, les féministes disaient aux hommes de leur entourage qu’il ne fallait pas qu’ils prennent «personnel» les critiques qu’elles leur faisaient, il fallait qu’ils prennent ça «politique»: c’est pas eux qu’on visait, mais le système patriarcal! Aujourd’hui, tout questionnement social – portant, par exemple, sur le sens de symboles religieux – est désormais entendu comme une attaque personnelle contre des individus précis. Misère!

J’ai donc remisé mon modèle français – soit que la laïcité couvrirait l’ensemble du personnel de l’État – pour tenir compte de manière plus pragmatique de la donne actuelle.

C’est pour cela que, tout incomplet soit-il à mes yeux, j’approuve le projet de loi 21. Pas de signes religieux pour quiconque occupe des postes d’autorité exerçant un pouvoir de coercition – ceux identifiés par la commission Bouchard-Taylor, ce que la société québécoise a largement avalisé.

Et pas de signes religieux pour le personnel enseignant des écoles primaires et secondaires publiques (j’y ajouterais le privé). J’y vois une raison très simple: le temps de l’enseignement doit être détaché de tout signe – qu’il soit religieux, politique ou commercial. Que quelques heures par jour, un espace soit libéré de toute considération extérieure pour former des citoyens, ce n’est pas trop exiger. Les identités particulières, on les reprend après la classe. Et ça n’a rien de révoltant.

***

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres. Son plus récent, J’ai refait le plus beau voyage, vient de paraître aux éditions Somme toute.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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