Vers 2021… C’est la date fixée par le gouvernement du Québec pour atteindre l’égalité entre les sexes. Autant dire demain! Autant dire qu’on rêve. Pourtant, au-delà du cynisme, il y a du bon dans la «Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes vers 2021», déposée à la fin de juin.
Le gouvernement de Philippe Couillard ne s’est jusqu’ici pas fait remarquer comme un champion des droits des femmes. Ses politiques d’austérité ont eu un impact direct sur les tarifs des centres de la petite enfance, la vitalité du secteur de la santé (où travaillent majoritairement des femmes), le financement de groupes de femmes… Sans oublier une ministre de la Condition féminine, Lise Thériault, qui a refusé de se déclarer féministe.
Pas de geste symbolique non plus, contrairement à Jean Charest qui s’était entouré d’un conseil des ministres composé d’autant de femmes que d’hommes; qui avait donné des ministères majeurs à des femmes; qui a imposé la parité aux conseils d’administration des organismes gouvernementaux; et qui a maintes fois pris la parole pour défendre la place des femmes au pouvoir.
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Je n’avais donc guère d’attentes envers la Stratégie pour l’égalité rendue publique par trois ministres – madame Thériault ayant à ses côtés Kathleen Weil et Rita de Santis. D’autant que cette semaine-là de fin juin, ça a été un feu roulant d’annonces gouvernementales. Par ici les politiques et les plans d’action en éducation, en culture, en matière d’énergie, pour les autochtones! Bonjour nouvelle année électorale!
Je pourrais en rajouter dans le scepticisme. Comme tant d’annonces faites récemment par le gouvernement, la Stratégie pour l’égalité fait étalage de dizaines de mesures dont un grand nombre existent déjà. On y trouve très peu d’argent frais (quelque six millions de dollars par an); on ne corrige pas le tir pour les décisions passées; il est question d’encourager, de sensibiliser, d’informer, mais jamais d’obliger, d’exiger, d’imposer… Non, on ne s’en va pas vers 2021 au pas de course!
Néanmoins, il y a des mesures intéressantes qui s’en dégagent.
Ce qui m’a frappée au premier chef n’a a priori rien de très excitant: la création d’un Indice québécois de l’égalité. Pourtant, c’est majeur. Pourquoi? Parce que savoir, c’est pouvoir!
Le ministère de la Condition féminine a en fait pris bonne note d’une observation qui ressortait de sa vaste consultation, lancée en septembre 2015, pour préparer la Stratégie: une impression de plafonnement de l’égalité. Il y a une égalité de droit, qui fait donc largement croire à la population que la bataille est gagnée. Mais quand on pose des questions précises, le constat est incontournable: les inégalités persistent, même dans des secteurs où on ne les attendrait pas.
Centraliser toute la montagne de données et de statistiques qui existent sur la condition féminine et les étudier de manière stable et régulière permettra de mieux suivre ce qui progresse vraiment, ou pas. Si cet Indice est bien administré (et dommage à cet égard que le ministère l’ait gardé sous sa responsabilité plutôt que de le confier au Conseil du statut de la femme, un organisme indépendant du gouvernement), ce sera un outil formidable pour ajuster revendications et solutions.
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La Stratégie insiste aussi sur le fait qu’il faut mieux accompagner les ministères lorsqu’ils élaborent des politiques afin que les enjeux concernant spécifiquement les femmes soient pris en compte. Cette manière de faire s’appelle «analyse différenciée selon les sexes»; le gouvernement s’y plie depuis 20 ans, mais sans trop de succès.
Or, récemment, une nouvelle manière de travailler avec les ministères a été tentée, qui a donné des résultats. Voilà pourquoi, par exemple, la Politique de la réussite éducative du ministre Sébastien Proulx, dont j’ai déjà fait état ici, a consacré quelques lignes au décrochage des filles.
Certes, les filles sont moins nombreuses que les garçons à quitter l’école sans diplôme. Sauf que, quand elles le font, c’est souvent parce qu’elles vont avoir un enfant ou qu’elles occupent des emplois plus précaires que ceux des gars. Et elles sont bien moins nombreuses à raccrocher. Ça appelle donc des réponses particulières.
Bref, il faut se méfier des chiffres: il y a toute une réalité qui se cache derrière! Un Indice de l’égalité aidera à faire voir ce type de nuances.
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Autre aspect intéressant de la Stratégie: elle s’intéresse aux stéréotypes masculins. En fait, la ministre Thériault tient beaucoup, beaucoup à associer les hommes à la bataille pour l’égalité. Bien d’accord… tant que ça ne nuit pas aux groupes centrés sur les femmes.
Sinon, il y a du travail à faire et des reculs à corriger. J’ai en tête un exemple: lorsque les garderies communautaires se sont développées dans les décennies 1970-1980, l’époque était en quête de modèles non sexistes, et des hommes sont devenus éducateurs aux côtés des femmes. Mes enfants ont ainsi eu la chance de fréquenter une garderie (devenue ensuite un centre de la petite enfance) où il y avait autant d’éducateurs que d’éducatrices. Hélas, ce modèle s’est perdu.
Alors de voir que la Stratégie veut encourager les jeunes garçons à faire des stages d’un jour dans des milieux de travail traditionnellement féminins me réjouit, même si un jour, c’est bien court. Bravo aussi pour l’idée du cybermentorat, qui permettrait qu’un jeune qui choisit un métier non traditionnel trouve quelqu’un du secteur pour l’encadrer.
Non, on ne va pas vers 2021 en courant, mais à force de petits pas, qui sait?
Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres!