On trouve pour le moment peu d’actions concrètes dans la Politique de la réussite éducative du ministre de l’Éducation: tout est renvoyé à des groupes de travail et à des chantiers d’analyse à venir. Il reste que le ministre Proulx s’est fixé des objectifs précis, et l’un d’entre eux a particulièrement attiré l’attention des médias: qu’en 2030, 85 % des jeunes de 20 ans aient en poche un diplôme du secondaire.
C’est un objectif ambitieux, pas simple du tout à atteindre. Et une idée pas neuve non plus: depuis l’invention du ministère de l’Éducation, hausser le taux de diplomation au Québec est une obsession. Légitime, certes, puisque la province partait de très loin en comparaison du reste du monde occidental. Il faut attendre les années 1960 pour que, enfin, tous les jeunes de 5 à 15 ans fréquentent l’école! Les résultats commenceront vraiment à se faire sentir au tournant des années 1980, alors que 59 % des jeunes de 15 à 24 ans ont leur diplôme du secondaire.
Depuis, on a cherché à faire mieux. Mais pour y arriver, on se concentre de plus en plus sur les apparences plutôt que sur la réalité.
Le premier obstacle, en fait, c’est de réussir à avoir un regard historique – et juste! – sur l’affaire. Dans la Politique de la réussite éducative, le tableau qui fait voir l’évolution du taux de diplomation au Québec recule jusqu’en… 2009. Sur le site du ministère, le rapport sur la diplomation et la qualification au secondaire permet de remonter jusqu’en 2005.
Heureusement, j’ai très souvent écrit sur l’éducation au cours de ma carrière de journaliste, et c’est en fouillant dans mes vieux textes que j’ai retrouvé des données qui ne sont plus facilement accessibles au grand public. Ce sont des découvertes très instructives.
Justement, il y a ici un 85 % qui me saute aux yeux: on est dans les années 1990 et c’est le taux de jeunes diplômés que le ministère de l’Éducation souhaite avoir pour… 2010!
Oups, ça n’a pas marché, il a fallu se réajuster… En 2009, nouveau chiffre lancé: que 80 % des jeunes de moins de 20 ans aient leur diplôme pour 2020. On y arrive puisqu’on est passé de 71,9 % en 2009 à 78,8 % aujourd’hui, nous dit la Politique. (Pour les filles, le taux est même de 83,9 % contre 73,8 % pour les garçons.)
Nuançons. Non, on ne peut pas dire que près de 80 % des jeunes ont leur diplôme d’études secondaires, le DES. Car pour arriver à afficher 78,8 %, il a fallu que le ministère ajoute au concept de diplomation celui de qualification. Il a en fait créé des certificats pour les jeunes en difficultés d’apprentissage et pour lesquels des résultats scolaires ne sont pas exigés.
S’il est approprié de ne laisser tomber personne, il devient trompeur de tout mêler quand on affirme qu’il y a progression au fil du temps.
Or, quand on considère strictement le DES, les chiffres ne varient guère depuis plusieurs années. Par exemple, en 2001, 71 % des jeunes de moins de 20 ans avaient obtenu leur DES. L’année suivante, en 2002, c’était tombé à 68 %. Il faut dire que l’économie allait bien, ce qui est toujours dévastateur pour la fréquentation scolaire des garçons – qui, aujourd’hui comme hier, arrivent à trouver des emplois même sans avoir de diplôme (un fait dont on parle rarement quand on discute de décrochage scolaire).
Entre 2009 et 2013, l’obtention du DES se maintient à 69 %-70 %, donc en deçà des données du début de la décennie. Mais en 2014, puis en 2015, ça remonte à 72 %. Pourquoi cette hausse? Parce que les élèves sont vraiment meilleurs? Ou parce qu’on ne cesse de gonfler leurs notes – un procédé répandu, et souvent appliqué à l’insu des professeurs, comme nous l’a révélé ce printemps un sondage mené par la Fédération autonome de l’enseignement.
Et si l’on s’intéresse au nombre de jeunes qui obtiennent leur diplôme du secondaire dans le temps prévu pour ce faire, c’est-à-dire cinq ans, on voit encore là un taux qui ne bouge pas beaucoup: bon an, mal an, on est entre 65 % et 67 %. Mais si l’on enlève le secteur privé (où chaque année, 87 % des élèves font leur secondaire en cinq ans), le taux tombe à 60 %-61 %.
Je cite tous ces chiffres non pour vous noyer, mais simplement pour vous inciter à faire attention aux belles promesses. Une fois un objectif lancé, comme la politique s’arrange pour que la réalité lui corresponde!
Mais à quoi bon un diplôme si le contenu n’y est pas? Le Journal de Montréal vient ainsi de nous apprendre que les cégeps croulent sous les inscriptions aux cours de rattrapage en français: en 10 ans, la fréquentation de ces cours a augmenté de 50 %! Un signe clair que le secondaire – et avant lui le primaire – a failli à la tâche.
Et on ne parle même pas ici du taux d’analphabétisme fonctionnel au Québec, qui atteint 53 %. Ça signifie que plus de la moitié de la population de plus de 16 ans a de la difficulté à lire un blogue comme celui-ci ou à remplir une demande de passeport. Plus troublant encore: selon l’Institut de la statistique du Québec, si l’on considère l’ensemble de la population, 63 % de ceux qui ont un diplôme du secondaire, 40 % du collégial et 27 % de l’université sont des analphabètes fonctionnels.
Il me semble qu’être ministre de l’Éducation, je m’attaquerais à cette gênante contradiction avant de lancer de nouveaux objectifs de diplomation.
À LIRE: L’école n’est pas comme l’imaginent les ministres
Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime et signe des livres.