Santé

Accro aux smart drugs

Travail, études, sorties, horaires de fou… Pour arriver à tout concilier avec brio, de plus en plus de gens – étudiants en tête – comptent sur l’assistance clandestine des Ritalin et cie.


 

En cinquième secondaire, Stéphanie, une élève brillante, a commencé à s’inquiéter pour ses examens de fin d’année. « Je travaillais dans une boutique jusqu’à 25 heures par semaine. Je sortais presque tous les soirs, je fumais du pot, bref, je n’étais pas très concentrée en classe… »

Son frère cadet, atteint d’un trouble déficitaire de l’attention (TDA), prend du Ritalin. « Je me suis dit que ça pouvait peut-être m’aider moi aussi », avoue Stéphanie. Elle lui pique quelques pilules. Son premier essai l’épate. Non seulement sa concentration est optimale toute la journée, mais sa motivation s’en trouve décuplée. « Tout semblait tellement plus intéressant. Comme si j’avais assisté à un cours pour la première fois de ma vie ! »

Bienvenue dans l’univers des amplificateurs cognitifs, communément appelés smart drugs. Il s’agit de médicaments prescrits pour des troubles tels que le déficit d’attention ou la narcolepsie (accès brusques de sommeil), mais que consomment en catimini un nombre croissant de personnes désireuses d’améliorer leurs performances intellectuelles. La smart drug la plus populaire, c’est le Ritalin, notamment parce qu’il est plutôt facile à trouver, étant prescrit de plus en plus à des enfants (et à des adultes) chez qui on a diagnostiqué un trouble de l’attention.

Ritalin, concerta, alertec : vigilance… sur ordonnance
Santé Canada rappelle qu’aucun médicament prescrit par un médecin pour traiter le trouble déficitaire de l’attention (TDA) ne devrait être administré aux personnes souffrant de problèmes cardiaques, d’hypertension artérielle, d’athérosclérose ou d’hyperthyroïdie.

Ritalin (chlorhydrate de méthylphénidate). Stimulant du système nerveux central. Médicament le plus fréquemment prescrit contre le TDA avec ou sans hyperactivité. Favorise le calme et la concentration. concerta et pMS-Methylphenidate sont d’autres marques de méthylphénidate.
Adderall XR (sels mixtes d’amphétamine à libération prolongée). Stimulant du système nerveux central prescrit également contre le TDA, moins souvent que le Ritalin cependant. Effets secondaires plus marqués (problèmes cardiaques et risque d’accoutumance).
Dexedrine (sulfate de dexamphétamine). Prescrit contre le TDA moins souvent que le Ritalin. Nombreux effets indésirables (palpitations, agitation, tremblements, insomnie, perte d’appétit, etc.).
Alertec (modafinil). Prescrit aux personnes souffrant d’hypersomnie (sommeil excessif), de narcolepsie (accès brusques de sommeil) et à celles qui ont des horaires irréguliers.

La majorité des individus qui en prennent sans indication médicale s’arrangent pour soutirer quelques pilules de temps à autre à un parent ou à un ami traité pour un TDA – pas trop souvent cependant, car le pharmacien finirait par s’en apercevoir. Certains préfèrent se rendre dans des cliniques sans rendez-vous où ils s’appliquent à décrire au médecin les symptômes typiques du TDA. C’est ainsi qu’ils obtiennent les précieux comprimés, qu’ils utiliseront ou revendront… D’autres encore ont recours aux « pharmacies » Internet qui vendent illégalement des médicaments d’ordonnance. Sur le marché noir, un comprimé se vendrait entre 5 $ et 10 $.

Selon des recherches menées aux États-Unis, de 3 % à 11 % des étudiants consommeraient du Ritalin ou un autre amplificateur cognitif. Au Canada, même si aucune étude d’envergure n’a été faite sur le sujet, on sait que le phénomène existe. Dans les blogues d’étudiants en médecine et en pharmacie d’universités québécoises, on apprend que « chaque classe a son pusher de Ritalin ». Le mode d’emploi ? Pour qu’il agisse rapidement, on écrase le comprimé et on le sniffe, comme de la cocaïne. Si on l’avale, l’effet se fait sentir au bout d’une heure environ. À l’Université McGill, les étudiants à qui on en prescrit parce qu’ils souffrent de TDA risquent de se le faire voler, affirme le docteur Pierre-Paul Tellier, directeur de la clinique de santé du campus. « On a rapporté quelques cas d’agression, dit-il en soupirant. Nous en sommes là ! »

Prendre du Ritalin sans ordonnance, est-ce dangereux ? Quelques comprimés par-ci, par-là ne feront probablement pas de mal à un individu en parfaite santé, estime le professeur Claude Rouillard, neuropharmacologue à l’Université Laval. Cependant, chez des personnes plus sensibles, chez celles qui prolongent l’usage du médicament ou qui sont aux prises avec des problèmes cardiaques, le Ritalin pourrait entraîner des symptômes tels que insomnie, anxiété, nervosité, agressivité, dépression, palpitations… En fait, il peut provoquer des effets comparables à ceux de la cocaïne. « Les étudiants dont on parle prennent ces produits sans supervision médicale, dit le professeur Rouillard. Or, des doses excessives provoqueront une agitation contraire à l’effet souhaité. Sans compter le risque d’accoutumance bien réel qui peut conduire l’utilisateur à augmenter la dose. »

Efficaces, les smart drinks ?
Dans les dépanneurs, on trouve plusieurs boissons énergisantes supposés fouetter les neurones. En fait, rien ne prouve leur efficacité.


 

Avec caféine. De type Red Bull, Monster ou Rockstar. Chaque portion contient l’équivalent de cinq cafés, est enrichie de plusieurs vitamines, d’oligoéléments ainsi que de fortes doses de deux ingrédients controversés : la taurine (acide aminé) et le glucurolactone (sucre). Le hic : même si ces substances sont présentes naturellement dans l’organisme, on ignore leurs effets quand on les consomme à fortes doses. On sait, par contre, que les boissons avec caféine ne font pas bon ménage avec les médicaments, les drogues ou l’alcool.


 

Sans caféine. De type Guru. Ces boissons renferment des herbes médicinales censées stimuler la concentration et la mémoire, telles que le ginkgo biloba, le ginseng, le millepertuis ou l’échinacée. Elles sont présentées comme des produits santé mais, en réalité, on ne connaît pas leurs effets sur l’organisme, surtout lorsqu’elles sont mélangées à des médicaments ou à de l’alcool.

« En fin de session, à McGill, il nous arrive toujours cinq ou six étudiants chez qui on soupçonne une consommation de Ritalin qui a mal tourné, dit le docteur Pierre-Paul Tellier. Ils ne l’avouent pas – ils disent qu’ils boivent trop de café –, mais on le devine à leurs symptômes. Ils se plaignent de nausées, de vomissements, de tremblements. Ils sont anxieux, voire sujets à des attaques de panique, et leur pouls est anormalement rapide. »

C’est pour ces raisons que les étudiants, quand ils en ont les moyens, préfèrent se procurer Alertec, beaucoup plus cher que le Ritalin sur le marché noir. Consommé de temps en temps, il cause peu d’effets secondaires et permet de rester éveillé deux jours sans agitation ni perte de jugement. Ce médicament est normalement prescrit aux individus atteints de narcolepsie – et parfois aux travailleurs de nuit. Les soldats connaissent bien Alertec : on leur en distribue avant une mission dangereuse.

Si les étudiants demeurent probablement les plus grands consommateurs de dopants pour les neurones, certains travailleurs submergés de boulot en usent aussi. Dans un sondage mené de façon informelle par la revue Nature auprès de scientifiques (américains pour la plupart), 35 % de ceux-ci avouaient avoir fait appel à des stimulants du cerveau pour améliorer leurs performances intellectuelles. Des camionneurs y reviendraient régulièrement pour rester alertes de longues heures sur la route. Des gens d’affaires amenés à parcourir la planète compteraient sur eux pour être toujours au maximum de leur efficacité.

Nadine, 31 ans, a travaillé pour une société de gestion internationale qui envoyait chaque semaine des consultants à l’étranger. « J’avais des collègues qui prenaient des somnifères dans l’avion, puis des amphétamines ou un autre stimulant à l’arrivée chez le client. »

L’utilisation de stimulants cérébraux est-elle en train de se propager au point qu’on trouve presque normal d’en faire usage ? Et si oui, les employés qui n’en consomment pas ne seront-ils pas désavantagés par rapport aux habitués ? La réponse de Nadine laisse perplexe. « J’ai toujours refusé d’en prendre… et j’ai fait un burnout. Dans cette entreprise, presque toutes les femmes en ont fait au moins un au cours de leur carrière. »

Quant à Stéphanie, elle a aujourd’hui 21 ans et étudie la littérature à l’Université de Sherbrooke. Elle ne prend plus de Ritalin depuis un an. « J’ai vu les effets à long terme chez mon frère. Des problèmes de sommeil et d’appétit surtout. » Pour optimiser son rendement, la jeune femme a plutôt décidé d’améliorer son hygiène de vie. « J’ai lâché le pot, je fais moins d’heures à la boutique et je me couche plus tôt. Les stimulants artificiels, je n’en ai plus besoin. »

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.