Psychologie

Le bonheur, vous connaissez?

Ah! Le bonheur… Depuis toujours, les poètes le chantent et les philosophes le cherchent, mais voilà que les scientifiques le définissent.

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« Il y a autant de définitions du bonheur que de gens sur la terre », cette idée reçue est très répandue et… pas tout à fait fausse. Le bonheur étant un concept abstrait et subjectif, intimement lié aux émotions et aux expériences, la perception que nous en avons est de toute évidence fort personnelle. Mais si nous avons toutes notre idée de ce qu’est le bonheur, si nous avons toutes notre liste perso de plaisirs et d’instants heureux, il semblerait que le « vrai » bonheur durable repose sur certains éléments essentiels et communs à tous. C’est, du moins, ce que s’accordent pour dire de nombreux experts internationaux.

Des experts? Eh oui, des experts, car le bonheur est désormais l’un des plus vastes objets d’étude partout dans le monde! Neuropsychiatres, sociologues, psychologues, neurologues et même économistes tentent de le cerner, de le mesurer et de le définir. Et parmi les définitions qu’ils proposent, certaines font désormais école. En voici un survol.

L’expérience optimale
Un jour, un jeune homme demanda à Bouddha : « Qui est le plus heureux dans ce monde? » Bouddha lui répondit très brièvement ceci : « Quelqu’un qui se concentre dans l’action accomplie en pleine conscience trouve du bonheur. »

Des siècles plus tard, au Département de psychologie de l’Université de Chicago, le psychologue d’origine hongroise Mihaly Csikszentmihalyi arrivait pratiquement à la même conclusion, après 30 ans d’études sur le bonheur.

Pendant ses recherches, ce spécialiste, aujourd’hui directeur du Centre de recherche sur la qualité de vie au Claremont College, en Californie, a fait le constat suivant : une personne qui se livre à une activité exigeant une grande concentration, posant un défi intéressant, mais surmontable, et lui permettant de développer ses compétences ressent un tel niveau de bonheur qu’elle souhaite la répéter. C’est ce que Csikszentmihalyi a nommé le FLOW, ou en français, « l’expérience optimale », qu’il a décrit notamment dans son ouvrage Vivre : la psychologie du bonheur (Édition de poche, 2005) et qui a été reprise et validée par de nombreux autres chercheurs.

Le psychologue a observé ces réactions chez des compositeurs de musique, des sportifs, des joueurs d’échecs de haut niveau et d’autres personnes consacrant beaucoup de temps et d’énergie à une activité en particulier pour le simple plaisir et non pour l’argent ou la reconnaissance sociale. Ils avaient tous en commun le fait de vivre, fréquemment et sur de longues périodes, des moments particulièrement intenses dans le cadre de leur activité.

« Ces grands moments de la vie surviennent quand le corps ou l’esprit sont utilisés jusqu’à leurs limites dans un effort volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d’important. L’expérience optimale est donc quelque chose que l’on peut provoquer et répéter… », écrit Csikszentmihalyi.

Une maison à trois étages
Au Québec, c’est Léandre Bouffard qui a traduit les ouvrages de Csikszentmihalyi. Aujourd’hui à la retraite, cet ancien professeur de psychologie à l’Université du Québec est un spécialiste de l’étude du bonheur. Il s’est notamment intéressé aux concepts de la psychologie positive, entre autres élaborée par Martin Seligman, chercheur en psychologie de l’Université de Pennsylvanie.

La psychologie positive (à ne pas confondre avec la pensée positive qui, elle, n’a rien de scientifique) soutient que notre potentiel de bonheur dépend de notre capacité à développer, à reconnaître et à utiliser nos forces et nos qualités morales. Nous aurions donc un pouvoir sur notre potentiel de bonheur (voir volet : Une question de gènes ou de choix?).

« Seligman utilise souvent la métaphore d’une maison à trois étages pour décrire les trois niveaux essentiels au bonheur, soit les plaisirs, l’engagement et le sens qu’on donne à nos activités », explique Léandre Bouffard.

Dans cette métaphore de la maison, le premier étage est celui de la vie plaisante, qui consiste à vivre fréquemment des émotions positives et des petits bonheurs quotidiens tout en étant capable de les apprécier. « C’est un niveau de bonheur éphémère et fragile. Il est essentiel, mais insuffisant aux besoins plus fondamentaux de l’être humain », commente M. Bouffard.

Au deuxième étage : la vie engagée, qui consiste à exercer « ses forces et ses talents » dans des projets significatifs, en se fixant des buts, et à vivre fréquemment le FLOW, tel que décrit par Csikszentmihalyi. « Ce niveau de bonheur est durable dans la mesure où on continue à poursuivre des buts personnels tout au long de sa vie », explique M. Bouffard.

Finalement, au troisième étage, un aspect essentiel au bonheur durable, celui de la vie signifiante, qui consiste à donner un sens à nos activités et à nos projets de vie ou encore à participer ou adhérer à une cause, voire tendre vers un idéal (la communauté, la famille, le bénévolat, la religion, l’art, la justice, une cause sociale, etc.). Bref, mettre ses compétences au service des autres, qu’il s’agisse de son entourage immédiat ou de la communauté. Il a d’ailleurs été prouvé que les gens qui occupent des emplois axés sur le bien-être des autres se disent en général plus heureux (voir volet : Qui sont les gens heureux?).

Les six échelons du bonheur
Aux dires de ces experts, le bonheur serait donc fait de petits plaisirs, de dépassement de soi et de projets significatifs pour soi et pour les autres. Une théorie à laquelle la psychologue et chercheuse à l’Université du Wisconsin Caroll Riff adhère. Également spécialiste de la psychologie positive, elle propose non pas une autre définition du bonheur, mais plutôt une liste de six conditions de base au bonheur durable :

  •  l’acceptation de soi;
  •  la capacité d’avoir des relations positives avec autrui;
  • l’autonomie;
  •  la maîtrise de son environnement;
  • avoir un but et un sens à sa vie;
  • vivre un épanouissement personnel continu.

Et si le bonheur était une victoire?
Internationalement reconnu pour ses travaux sur le bonheur et le développement individuel, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik soutient que le bonheur vient, d’une part, de nos victoires sur les difficultés et les malheurs, et d’autre part, de notre capacité à nous projeter dans l’avenir en ayant des projets. Pour Cyrulnik, se battre pour réussir ou mener un projet à terme ou surmonter des obstacles donne un sens à la vie et peut être une source de bonheur durable. Il soutient même que l’expérience du malheur est quasi essentielle au bonheur, surtout chez les enfants, qui doivent développer leur sentiment qu’ils peuvent changer la donne et vaincre les difficultés.

Vivre l’instant présent
Peu importe les nuances qu’ils apportent à leurs définitions du bonheur, tous ces spécialistes soutiennent à l’unisson que la capacité à vivre l’instant présent, à s’y immerger complètement, serait une des conditions les plus essentielles au bonheur durable. « Qu’on soit en train de vivre des instants précieux avec nos proches, de relever un défi sportif ou d’admirer un coucher de soleil, c’est notre capacité à être vraiment présent à la situation qui nous permet d’en tirer une satisfaction et d’en éprouver du bonheur », conclut Léandre Bouffard.                    
       
À consulter

Une vidéo de Mihaly Csikszentmihalyi sur le FLOW

Un livre : Vivre : la psychologie du bonheur, Mihaly Csikszentmihalyi et Léandre Bouffard, Édition de poche, 2005.

Une entrevue de Boris Cirulnyk au Nouvel Observateur sur le bonheur

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