Couple et sexualité

Panne de désir : faut-il s’inquiéter ?

La plupart des femmes éprouvent moins de désir pendant une période ou une autre de leur vie, ce qui  n’empêche pas celles qui sont en  couple de se sentir coupables. Pourquoi ces fluctuations, d’ailleurs ?

Noémie aimait mieux dormir que faire l’amour. Elle préférait aussi s’atteler à la vaisselle ou à la lessive. Les ébats sexuels étaient devenus une corvée qu’elle accomplissait sans enthousiasme. « Parfois, je l’ajoutais carrément à ma liste de tâches à faire dans la journée », lance-t-elle, encore découragée par cette disette sexuelle qui a duré presque six ans.

Cette Montréalaise de 43 ans, qui témoigne sous un prénom d’emprunt, a pourtant eu sa part de jouissance. Lorsqu’ils se sont connus, il y a une quinzaine d’années, son amoureux et elle ne se lâchaient pas une minute. Il n’était pas rare qu’ils passent la journée au lit.

Tout a changé lorsqu’elle a eu ses enfants, aujourd’hui âgés de six et huit ans. Le désir a commencé à s’émousser avec la grossesse, puis l’allaitement a eu l’effet d’un interrupteur qu’on met à off. Clic ! Il s’est éteint d’un coup.

Après une longue journée de travail, la préparation du souper et les soins aux enfants, elle se traînait jusqu’au lit. L’idée de faire l’amour ? Aussi attrayante que de se faire arracher les dents de sagesse. Pour acheter la paix, elle y consentait avec effort, environ une fois par semaine.

Un jour, elle a avoué à son conjoint ne plus La professeure le souligne : les études sur le ressentir le moindre attrait. « Il m’a conseillé de trouver un thérapeute parce que j’avais un problème. J’ai eu l’impression d’être anormale », relate-t-elle, le regard triste.

Quel problème ?

Les personnes dont la libido se retrouve en berne ne sont pourtant pas rares. Cela toucherait 40 % des femmes – et 30 % des hommes – de 40 à 59 ans, selon un sondage mené en 2018 par des chercheurs de la région de Toronto auprès de 2 400 Canadiens et Canadiennes.

Ce taux varie toutefois de 9 % à 43 %, selon les enquêtes. Pourquoi de tels écarts ? Parce que le désir est difficile à mesurer. De quoi parle-t-on exactement ? De la fréquence des relations sexuelles ou du souhait d’en avoir. Et qu’est-ce qu’une sexualité « normale », au fait ? « Un désir normal, ça n’existe pas ! » lance d’entrée de jeu Léa Séguin, chercheuse en sexologie à l’UQAM et collaboratrice au Club Sexu, un média web spécialisé en sexualité.

D’ailleurs, qui a dit que les femmes doivent vibrer de la puberté jusqu’à la tombe ? « Personne ne maintient le même niveau de libido toute sa vie ! Les pannes sont fréquentes. C’est la principale raison pour laquelle les femmes, mais aussi les hommes, consultent un sexologue », fait-elle remarquer.

Même chose lorsqu’on parle de la fréquence des ébats. « Il n’y a rien de normal, ou d’anormal. Ça devient un problème quand il y a de la détresse. C’est le facteur déterminant », précise Sophie Bergeron, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les relations intimes et le bien-être sexuel.

Dans les couples, explique-t-elle, on remarque souvent un décalage entre l’appétit sexuel que l’un et l’autre éprouvent. Il ne s’agit pas de dysfonction, et c’est pourquoi il importe d’en parler.

Des facteurs ou des causes biologiques ?

Traditionnellement, le désir – ou son absence – était traité comme un enjeu typiquement féminin, une anomalie biologique. Il était peu étudié, notamment parce qu’il est si difficile à conceptualiser, mais aussi parce que le monde scientifique a tendance à moins s’intéresser à la santé des femmes.

Il a fallu, par exemple, attendre 2016 pour que soit conçu le premier modèle 3D révélant l’ensemble du clitoris.

Un nombre grandissant de scientifiques, comme Sophie Bergeron et son équipe, ont montré l’importance du contexte social, émotif et relationnel lorsqu’il est question de la sexualité des femmes. La professeure mène une étude sur la panne de désir et est à la recherche de participantes…

« Le désir a peu à voir avec la biologie. Ce n’est pas très hormonal. De nombreuses études ont tenté de trouver des causes médicales à la libido, en vain », affirme-t-elle.

Cela ne veut pas dire que la biologie n’a aucun effet sur la libido féminine. Au contraire, des périodes comme la grossesse ou la ménopause sont susceptibles de l’influencer. Mais ce ne sont pas les principaux éléments en cause.

Une réaction normale

Pourquoi le désir tombe-t-il au point mort, alors ? Sari van Anders, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en neuroendocrinologie sociale, sexualité et genre, à l’Université Queen’s, a longuement étudié la question. Elle en est venue à déterminer plusieurs facteurs sociaux et relationnels qui contribuent à son étiolement chez les femmes.

« L’une des explications : le fait de prendre soin de son partenaire et de ses enfants. On organise leurs rendez-vous, prépare leurs lunchs et abat une montagne de tâches ménagères. On n’a jamais le temps de se détendre et le ressentiment prend racine », énumère la chercheuse. Sans compter que l’on doit être sexy, et non sexuelles, et que nos corps sont là pour être admirés, pas pour nous procurer du plaisir.

Donc, physiquement, rien ne cloche. C’est plutôt la charge mentale qui est en cause. « Le déclin du désir est une réaction normale à ce que vivent les femmes », tranche la cheffe de file de la recherche en sexualité et en sciences biologiques féministes.

Sophie Bergeron partage cet avis. « Tout ça pèse sur les femmes. Penser qu’à 23 h, après une journée épuisante, l’envie va surgir subitement n’est pas très réaliste », lâche-t-elle.

La professeure le souligne : les études sur le sujet portent surtout sur les hétérosexuelles, mais la littérature scientifique existante et ses propres recherches donnent à penser que le même phénomène s’observe chez les lesbiennes. La sexualité féminine, peu importe l’orientation, est affectée par l’environnement et la dynamique du couple.

De tous ces facteurs, la santé de la liaison amoureuse joue un rôle crucial. « Avant, on considérait que la femme avait un problème à traiter. Maintenant on aborde davantage le couple », affirme Sophie Bergeron. Elle explique que, même chez celles qui sont en plein bouleversement hormonal – à la périménopause, par exemple –, c’est surtout la dynamique conjugale qui compte.

Le désir ne vient pas seul. « Un déclin de la relation et de l’engagement, c’est comme un voyant qui s’allume sur le tableau de bord pour un rappel d’entretien.

Si on ne s’en occupe pas tout de suite, ça risque d’empirer », explique Sylvie Lavallée, sexologue, psychothérapeute et autrice de nombreux ouvrages, dont Désirez-vous désirer ? L’indiscipline du désir (Robert Laffont). Si on n’a pas envie de se ruer sous la couette, c’est le moment de faire un bilan. « Pourquoi ai-je moins le goût de me coller contre mon partenaire ? Se néglige-t-il ? Est-il désagréable ? Qu’est-ce qui manque à ma vie ? De la joie ? Du romantisme ? Voilà une fabuleuse occasion de se remettre en question », dit-elle.

Les relations amoureuses mettent aujourd’hui l’accent sur l’intimité et la sécurité, une combinaison peu propice à l’érotisme. Comme l’a si bien dit la thérapeute de renom Esther Perel : si l’amour se nourrit de proximité, le désir, lui, a besoin de distance.

Pas de distance, pas de manque, donc pas de flamme. Une bien mauvaise nouvelle pour celles qui ont passé les trois dernières années en visioconférences, assises dans le salon près de leur partenaire habillé en mou.

La crise sanitaire a apporté son lot de stress et d’imprévus, ce qui a entraîné des répercussions sur la passion. Gérer les cours en ligne de trois enfants n’a rien d’aphrodisiaque. Mais c’est surtout l’implacable proximité amoureuse des dernières années qui a été source de problèmes, selon Sarah Mathieu, chargée de cours à l’Université de Montréal, et collaboratrice au Club Sexu.

« Il faut s’ennuyer de l’autre, et faire un effort conscient pour raviver son désir. Cela exige de provoquer des situations hors de sa routine. Ces possibilités-là ont été réduites au minimum au cours des dernières années », observe la chercheuse en santé sexuelle, qui a étudié les effets de la pandémie sur l’intimité.

Couple Panne de désir

Photo : Getty Images

Le plaisir ? Aux abonnés absents…

La journaliste new-yorkaise Katherine Rowland a fait une découverte étonnante en enquêtant sur la sexualité féminine : au lit, bon nombre de femmes – hétéros comme lesbiennes – ne s’amusent pas beaucoup.

Elle est arrivée à ce constat après avoir mené des entretiens avec plus de 120 femmes âgées de 20 à 70 ans. Elle en a tiré un livre captivant publié en 2020 chez Seal Press, The Pleasure Gap: American Women and the Unfinished Sexual Revolution (traduction libre : L’écart de plaisir – Les Américaines et la révolution sexuelle inachevée).

Bon nombre de Nord-Américaines ressentent de l’inconfort ou de la douleur pendant les rapports sexuels, d’après les témoignages recueillis par Katherine Rowland. Elles ont aussi moins d’orgasmes que leur conjoint : de 50 % à 70 % des femmes disent y parvenir la majorité du temps, contre 90 % des hommes. « Le sexe avec leur partenaire n’a rien d’extraordinaire. La sexualité hétéronormative privilégie les hommes, et allume peu les femmes, mentalement ou physiquement. À la longue, ça affecte le désir », affirme la journaliste, jointe par téléphone à sa résidence de Brooklyn, dans l’État de New York.

Les rapports sexuels axés sur la pénétration, par exemple, procurent peu de satisfaction aux femmes : une minorité, de 8 % à 15 %, dit avoir joui lors d’une relation strictement vaginale. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les lesbiennes confient atteindre plus souvent l’orgasme (la plupart du temps pour 80 % d’entre elles). Celles-ci ont une vie sexuelle plus satisfaisante, mais ça ne veut pas dire que le sexe est toujours extraordinaire non plus pour elles, selon la journaliste.

Malgré les idées reçues, il semble aussi plus difficile pour les femmes de vivre en monogamie. Une étude publiée en 2012 dans le Journal of Sex & Marital Therapy a révélé que la satisfaction des participantes en couple déclinait avec le temps, tandis que celle des hommes demeurait à peu près inchangée.

« J’ai parlé à plusieurs personnes engagées dans des relations à long terme. Elles avaient l’impression d’être déficientes ou brisées à cause de leur absence de désir. Mais dès qu’elles sortaient de leur routine, elles se trouvaient revigorées. Elles ne vivaient tout simplement pas une vie qui leur permettait de s’épanouir sexuellement », soutient Katherine Rowland.

Les participantes à l’enquête faisaient souvent passer le plaisir de leurs partenaires avant le leur. Elles n’osaient pas exprimer leurs préférences sexuelles, ou ne les connaissaient pas elles-mêmes – l’une des femmes interrogées par Katherine Rowland venait d’avoir un premier orgasme… à 77 ans !

Peut-on s’étonner alors de leur faible enthousiasme pour une activité qui leur procurait si peu de jouissance ?

C’est ce qu’a réalisé Noémie, il y a quelques années, à l’aube de la quarantaine. « Pour moi, l’approche “fais-le, c’est tout”, ça ne fonctionnait pas. Je faisais quasiment l’amour en grinçant des dents », rapporte-t-elle.

Elle s’est mise à dire non plus souvent… Elle était épuisée le soir, alors son conjoint a pris en charge le souper et Noémie s’occupe des déjeuners et lunchs. À sa grande surprise, elle a eu un plus grand besoin de rapprochements.

Elle fait maintenant l’amour toutes les deux semaines environ, parfois moins, mais avec beaucoup plus d’entrain. C’est une situation plus satisfaisante pour elle et pour son conjoint. « Si je n’en ai pas envie, ça se voit. Ce n’est agréable ni pour l’un ni pour l’autre », dit Noémie.

D’où l’importance de découvrir et d’exprimer ce que l’on aime au lit, selon Katherine Rowland. « Ça revient surtout à être à l’aise dans son corps, et à se sentir assez en sécurité pour explorer qui nous sommes et se laisser aller. Le plaisir et le désir peuvent être désordonnés et contradictoires. Peu d’entre nous souhaitent le même genre de sexe vanille jour après jour », affirme-t-elle.

Pour faciliter cette exploration, Léa Séguin conseille de dresser deux listes. Une première comprenant tout ce qui nourrit sa flamme : soirées romantiques, massages ou, tout simplement, un peu de temps pour soi… Et une deuxième contenant tout ce qui l’éteint : fatigue, routine…

« On regarde ses listes, et on prend un élément à la fois. Qu’est-ce qui m’allume ? Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que mon partenaire peut faire ? Il faut chercher des solutions sur mesure », conclut la chercheuse.

Elle y va d’un petit rappel amical : le désir est malléable tout comme le plaisir…


Encapsuler le désir ?

La flibansérine (Addyi), premier médicament approuvé au Canada pour traiter la diminution de la libido chez la femme, est présentée comme le « Viagra féminin ».

Son fonctionnement est toutefois bien différent de celui de la petite pilule bleue pour hommes. Si le Viagra agit sur la « plomberie » en augmentant l’apport de sang au pénis, Addyi, lui, vise le cerveau – il a d’ailleurs d’abord été testé, puis rejeté, comme antidépresseur. La petite pilule rose stimule la sécrétion de dopamine et de sérotonine, censées influencer le désir.

Autres distinctions : les femmes doivent prendre l’Addyi tous les jours et limiter leur consommation d’alcool, sinon elles risquent de souffrir de chutes de tension sérieuses, et même d’évanouissements, selon le fabricant. Elles s’exposent aussi à des effets indésirables importants, comme des nausées, de la somnolence, de l’insomnie ou des étourdissements.

Pour leur peine, celles qui prennent de l’Addyi signalent en moyenne un « événement sexuel satisfaisant » de plus… par mois ! Lorsqu’on lui demande ce qu’elle en pense, Léa Séguin, chercheuse en sexologie, pousse un long soupir. « Voilà, vous avez ma réponse ! » lâche-t-elle en riant.

Dans certains cas rares, la flibansérine peut être utile, nuance la chercheuse. En général, cependant, le problème reste que le désir féminin est intimement lié aux circonstances. Une femme peut avoir la libido à plat parce qu’elle est surmenée au travail, par exemple. Prendre une pilule n’y changera rien. Dans ce cas, « mieux vaut parler à son patron ! » lance-t-elle.

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