Psychologie

Aime-toi, le plaisir viendra

Les femmes portent sur leur corps un regard sans pitié. Alors, quand elles font l’amour, l’image de leurs seins ou de leur ventre les hante et gâche leur plaisir.

Les femmes accordent beaucoup d’importance à leur corps. Tant mieux si cela les incite à prendre soin d’elles-mêmes, à garder la forme et la santé. Sauf qu’en général – c’est en tout cas ce que révèlent à peu près toutes les études occidentales sur le sujet –, elles ont bien de la peine à apprécier leur corps tel qu’il est. Elles veulent être belles comme des images. Et ça, ce n’est pas toujours facile à vivre, surtout quand vient le moment de se mettre nue, corps et âme, devant un autre.

Les témoignages qui suivent ont été recueillis au fil de conversations entre femmes, qui ont demandé que seuls leurs prénoms soient mentionnés. Martine, une nouvelle maman de 33 ans, a gardé de sa grossesse des vergetures sur le ventre. Quand elle fait l’amour, elle tente de les cacher avec la main. Depuis qu’elle a pris du poids, Chantal, une femme de carrière de 37 ans, a des relations sexuelles sous les couvertures. Parce qu’un de ses premiers amants lui a affirmé ne pas aimer ses seins, Patricia, qui vient de fêter ses 35 ans, porte toujours une camisole à froufrous quand elle fait l’amour. Mélanie, une belle comédienne de 42 ans, ne chevauche plus son partenaire depuis qu’elle a découvert que la peau de ses joues se déformait quand elle s’inclinait vers lui. Karine, étudiante en histoire de 32 ans, refuse catégoriquement le sexe si elle n’est pas fraîchement épilée. Les histoires pleuvent. Car le malaise est bien réel. Et largement répandu.

Mais pourquoi donc les seins de ces femmes, leurs fesses, leur bedon, leurs cuisses, leurs vergetures, leur cellulite, leurs poils, alouette, viennent-ils gâcher leur plaisir quand elles font l’amour ?

C’est que les femmes font l’amour avec leur tête. Elles n’atteignent pas l’orgasme de façon mécanique, parce qu’elles ont peu de testostérone, l’hormone mâle. Leur plaisir s’en trouve plus fragile. Par conséquent, pour jouir, elles doivent se concentrer, faire abstraction de tout le reste. Le problème, c’est qu’un rien les dérange, les fait décrocher, les distrait, explique Diane Brouillette, sexologue clinicienne au Centre de sexologie clinique de Montréal et à l’hôpital Saint-Luc (CHUM). Et un corps qu’on n’aime pas ou qu’on aime peu, qu’on craint de montrer, constitue une formidable distraction. Une forme de stress, également.

En effet, quand l’image de son corps tracasse une femme au point qu’elle pense plus à se placer de manière à en cacher une partie qu’à goûter les caresses de son partenaire, ce n’est pas reposant ! Elle se tient sur la défensive, se place sur le terrain de la peur. Cette peur draine son énergie sexuelle et l’empêche de se concentrer sur le plaisir du toucher. De se détendre.

Or, pas de détente, pas d’abandon. Pas d’abandon, pas d’orgasme. « Parce que pour vivre une belle relation sexuelle, il est important de se laisser aller complètement », soutient Céline Bonnenfant, sexologue clinicienne et psychothérapeute à Trois-Rivières.

Pourquoi les femmes tiennent-elles tant à être belles ? D’où leur vient cette hantise de ne pas l’être assez ? Pourquoi l’image qu’elles ont de leur corps est-elle parfois si lourde à porter, au point de nuire à leur plaisir sexuel ?

Quand on débat d’image corporelle, les premiers accusés sont invariablement les médias. Les images qu’ils véhiculent ne peuvent que refroidir les ardeurs. La beauté est maigre, jeune, grande et lisse. Le gras corporel est l’ennemi public numéro deux (juste après la cigarette) et vieillir, un interdit. Même si leur responsabilité est grande et qu’il faut la dénoncer, on ne peut jeter tout le blâme sur les médias et la publicité. À preuve : quand les magazines osent afficher en couverture des femmes moins jeunes, moins minces, moins glamour, ils se vendent moins. Autrement dit, les femmes les achètent moins… Ça mérite un examen de conscience !

Deuxième accusée : la société. Dans son introduction, le rapport Changements sociaux en faveur de la diversité des images corporelles du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (2002-2003) souligne que, dans notre société, le paraître l’emporte sur l’être, que la performance constitue une vertu et qu’il faut demeurer compétitif pour survivre. Oui, c’est indéniable, la société exige beaucoup des femmes. Mais celles-ci contribuent à imposer les normes élevées de performance, car elles sont exigeantes, envers les autres comme envers elles-mêmes. Dans tous les domaines. Au travail comme au lit. Elles visent la perfection. Pourquoi, Seigneur ?

« Le désir d’être parfaite cache le besoin d’être aimée », répond Isabelle Dallaire, sexologue et chargée de cours à l’UQAM. Inconsciemment, les femmes croient que si leur corps est parfait, en d’autres mots s’il correspond aux critères en vogue, elles seront aimées. C’est un mythe, naturellement, mais qui a la vie dure.

Troisième accusée : l’éducation. Si on trouve drôle qu’un petit gars soit « tannant », il n’en va pas de même avec les fillettes. On préfère qu’elles soient « fines ». Les femmes ont été élevées à penser aux autres d’abord, déplore Ève-Marie Pouliot, coordonnatrice au Centre de santé des femmes de l’Estrie et animatrice des ateliers Image corporelle et estime de soi et Épanouissement sexuel. Cela leur reste. Dès leurs premières expériences sexuelles, elles pensent nettement plus à satisfaire leur partenaire qu’à jouir. « Est-ce que je fais ce qu’il faut ? Est-ce que je lui donne ce qu’il aime ? Suis-je adéquate, suis-je attirante ? » Ces préoccupations prennent parfois trop de place. Au lieu d’entrer allègrement dans le jeu érotique, la femme reste en retrait, s’observe, se jauge, s’applique.

Chacune compose comme elle le peut avec ces influences. Les belles les surmontent-elles mieux que les autres ? Pas nécessairement. Car l’image qu’elles pensent projeter est souvent à mille lieues de leur apparence réelle. On peut avoir un corps à faire tourner les têtes et être complexée.

Jocelyne Blais est omnipraticienne et sexologue au Centre médical Iberville à Saint-Jean-sur-Richelieu. Dans son cabinet, elle examine toutes sortes de corps. « Je constate qu’une bonne proportion [des patientes], y compris des jeunes et des femmes magnifiques, ne se sentent pas bien dans leur corps. Elles sont réticentes à se dénuder, même chez le médecin et même devant une femme. »

Un tel malaise peut se comprendre dans des situations extrêmes, quand il y a eu agression physique, psychologique ou sexuelle. Le docteur Édouard Beltrami, psychiatre et sexologue clinicien à la Clinique médicale René-Laënnec, à Montréal, souligne qu’une femme qui a vécu des traumatismes graves dans l’enfance aura beau exhiber un corps sublime, sa sexualité risque d’être difficile.

La beauté n’est donc pas un gage d’épanouissement sexuel. Corollaire : l’absence de beauté ne devrait pas être une cause de frustration sexuelle. Bonne nouvelle ! Dans les faits, pour jouir du sexe, il faut se mettre à l’écoute de son corps, s’abandonner aux sensations qu’il éprouve, et cela n’a rien à voir avec la façon dont on le juge.

Cela a tout à voir, cependant, avec la façon dont on l’habite. Ce qui compte, c’est être bien dans sa peau, sa peau de femme et sa peau d’être humain. C’est ce qu’on appelle l’« estime de soi ». L’amour-propre. On a besoin de cet amour-propre pour établir avec l’autre des relations d’amour tout court – et d’amour-sexe. Pour tisser les liens de confiance et d’intimité essentiels au bienheureux abandon hors duquel point de salut sexuel!

Apprendre à apprécier son corps? Plus vite dit que fait! Il s’agit d’une tâche éminemment personnelle, qui touche à de multiples facettes de la personnalité. Il n’y a pas de recette magique, mais voici six trucs qui peuvent néanmoins nous mettre sur la bonne voie.

1. Fouiller le passé
Essayer de découvrir ce qui a pu faire naître ce regard autocritique qu’on porte sur son corps. Une remarque blessante ? Une éducation familiale exigeante ? Une adolescence pénible sur le plan physique ? Traquer l’ancienne blessure et tenter de dédramatiser les choses.

2. Jouir du présent
Profiter de son corps. Mettre ses beautés en valeur, se réjouir de son bon fonctionnement. Quand on fait l’amour, fermer les yeux et se concentrer sur les sensations qu’il procure, ici et maintenant.

3. Accepter le changement
Notre corps a changé, change et changera encore. C’est ainsi. Il est essentiel d’accepter ces changements – qu’ils soient dus à une grossesse, à une prise de poids, à l’âge, à une maladie –, affirme Anne-Marie De Koninck, sexologue clinicienne et psychothérapeute à Montréal. Il faut lui accorder cette liberté de changer, ce qui, en retour, lui permettra de s’exprimer librement quand on fera l’amour.

4. Pour le corps: cultiver la sensualité
Développer sa sensualité. Prendre le temps de mieux goûter, de mieux percevoir sur sa peau le vent ou le soleil, de jouir de chacun de ses sens.

5. Pour le cœur: apprendre à s’aimer
De temps à autre, dresser la liste de ses qualités et de ses bons coups, puis se donner une petite tape d’appréciation sur l’épaule ! Se traiter et se juger comme on le ferait avec sa meilleure amie. Fuir les gens qui nous dévalorisent.

6. Pour la tête: renoncer à la perfection
On ne sera jamais parfaite. Autant oublier ça tout de suite ! Se répéter ce conseil (fort judicieux) qu’on donne à son enfant : « Tu n’as pas compté de but, mais tu as eu du plaisir à jouer. C’est ce qui importe. » Prendre plaisir à jouer, ne pas penser aux buts.

Toutes sortes de chercheurs se sont penchés sur cette question : la beauté influence-t-elle le choix du partenaire sexuel? La réponse : pour la plupart des hommes – mais aussi des femmes –, l’apparence joue un rôle dans l’amour et le désir. Cependant, comme l’a remarqué Diane Brouillette, sexologue clinicienne au Centre de sexologie clinique de Montréal et à l’hôpital Saint-Luc du CHUM, le goût des hommes est très varié.

En matière d’attirance sexuelle, renchérit Édouard Beltrami, psychiatre et sexologue clinicien à la Clinique médicale René-Laënnec, à Montréal, les hommes sont plus sensibles à la sensualité que dégage une femme qu’à sa correspondance aux stéréotypes.

Encore une fois, les chercheurs ont tenté de définir la beauté, celle qui rend une personne séduisante. Leur constat : la beauté est indéfinissable. Mais en gros, on l’apprécie selon quatre critères.

1. L’esthétique pure et simple, c’est-à-dire un minimum d’harmonie et un air de santé – dans ce dernier cas, c’est un réflexe vieux comme le monde qui nous fait choisir quelqu’un qui pourra assurer la survie de la race.

2. La relation émotive, qui dépend de l’histoire personnelle de chacun ; il s’agit des associations que l’on établit entre telles caractéristiques et notre bien-être. Ainsi, un homme qui a eu, étant enfant, une tante adorable brune, ronde et rieuse, trouvera les femmes brunes, rondes et rieuses… adorables.

3. L’intimité ou, en d’autres mots, ce qu’on fait, ce qu’on partage avec la personne en question. Plus on a de plaisir à faire des choses avec elle, plus elle nous paraît belle.

4. La sensorialité ou le fait de vivre des expériences sensuelles et sexuelles agréables avec la personne.

Bref, un homme désire une femme pour des raisons très personnelles qui n’ont pas grand-chose à voir avec les modes. Certains, pourtant, direz-vous, exigent de leur compagne qu’elle corresponde aux normes en vogue. Il s’agit d’hommes immatures sur le plan affectif, parce qu’ils sont très jeunes ou incapables de mûrir. Ils n’arrivent pas à vivre de l’intimité, tant avec leur amoureuse qu’avec eux-mêmes. Pour eux, bien paraître aux yeux des copains, et du monde en général, compte plus que tout. Si la minceur est à la mode, ils voudront une mince. Si les rondeurs deviennent tendance, ils voudront une ronde. En fait, ce n’est pas vraiment l’apparence de leur copine ou de leur femme qui les préoccupe, mais bien de quoi, eux, ils ont l’air en s’affichant avec elle.

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