Société

Enjeux féminins : la libération sexuelle d’hier à aujourd’hui

Obtenir le contrôle de leur corps, c’est là l’un des premiers combats des féministes. Dans les années 1960 et 1970, le Québec s’ouvre à la libération sexuelle. Les femmes font l’amour avant le mariage – en réclamant le droit au plaisir ! –, ont accès à la pilule contraceptive et à l’avortement. Avec leur arrivée en masse dans le monde du travail, elles revendiquent aussi des congés de maternité.

Enfin l’amour sans contrainte !

Mai 1968. L’expérience collective extraordinaire qu’a été l’Expo 67 pour le Québec le révèle à lui-même, il affirme son identité et sa modernité. Comme le reste du monde occidental, il est en ébullition. Les étudiants envahissent les rues. La minijupe est partout, véritable emblème de la révolution sexuelle qui déferle. Un à un, les tabous tombent.

Chez nous, la libération sexuelle est indissociable de la Révolution tranquille, selon Marion Bertrand-Huot, présidente et directrice générale de l’organisme de lutte pour la santé sexuelle Les 3 sex. « Entamée dès le début des années 1950 partout à travers l’Occident, elle fait peu à peu son chemin dans notre province, qui se dégage des filets de la religion catholique », précise-t-elle.

Dès lors, l’idée d’une vie sexuelle en dehors du mariage devient pensable. Plus question pour les Québécoises de devoir à tout prix respecter le sacrement du mariage ni de consentir à tous les désirs de leur mari. La contraception, encore illégale, bénéficie tout de même d’une grande popularité.

En 1969, poussé par plusieurs années de revendications sociales, le Canada adopte le « bill omnibus », vaste réforme décriminalisant entre autres la sexualité hors mariage entre adultes consentants, l’avortement médicalement prescrit, ainsi que la vente et la promotion de moyens contraceptifs. Un événement déterminant dans cette libération sexuelle.

Pour la première fois, les femmes prennent conscience de leur désir sexuel propre et de leur pouvoir sur leur sexualité. «Depuis longtemps, leur sexualité est uniquement au service des hommes. Comme la virginité avant le mariage était primordiale, on les incitait à inhiber toute forme de désir. La révolution sexuelle permettra aux femmes de réaliser qu’elles ont, elles aussi, des envies et des pulsions, et que la sexualité n’est pas seulement associée à la reproduction», soutient Francine Descarries, sociologue et figure de proue des études féministes au Québec. Les femmes partent donc à la découverte de leur corps, de leur plaisir et de leur jouissance au cours des récentes décennies. Des jouets sexuels axés sur le plaisir féminin sont commercialisés. Depuis peu, entre amies, mais aussi dans les médias, on parle du clitoris, de l’orgasme et de la diversité des moyens d’y parvenir.

En dépit de ces progrès considérables, la révolution sexuelle est loin d’être terminée pour les femmes, dont le corps est encore trop souvent associé à la maternité, selon Francine Descarries. « On a 2 000 ans d’histoire ancrés dans le corps et l’esprit. Il faudra traverser de nombreuses générations avant de pouvoir penser la vision des sexualités féminine et masculine comme équivalentes », conclut-elle.

Couple

Dans les années 1960, les femmes amorcent leur libération sexuelle. (Photo : Getty Images/Rainer Binder/Ullstein Bild).

Fluides, curieuses et affirmées

Un vent de changement souffle dans les chambres à coucher des Québécoises depuis les 10 dernières années. Mieux informées, les jeunes femmes font preuve d’une grande curiosité, osent davantage parler de leurs fantasmes et n’hésitent pas à essayer des pratiques diverses.

Elles ne sont pas les seules. Près de 95 % des femmes se seraient déjà masturbées, révèle une étude menée en janvier dernier auprès de 2 300 femmes de différents pays. Elles étaient 80 % à affirmer la même chose en 2008. Parmi les femmes s’adonnant aux plaisirs solitaires, 78 % se caresseraient au moins une fois par mois, et plus du tiers au moins une fois par semaine, selon cette enquête publiée dans le Journal of Sex & Marital Therapy.

« Pendant longtemps, il a été toléré pour les hommes de se masturber pour combler leurs besoins, alors que la même pratique était vue comme déviante ou inquiétante chez les femmes. Dans les années 1970, on a commencé à concevoir que les célibataires puissent avoir des besoins sexuels. Aujourd’hui, même les célébrités font la promotion de la masturbation », souligne la sexologue Marion Bertrand-Huot. On n’a qu’à penser aux actrices Emma Watson et Eva Longoria, ainsi qu’à la chanteuse Lady Gaga, qui ont toutes déjà abordé le sujet en entrevue.

Cette recherche du plaisir ne s’arrête pas là. Elle transparaît dans le choix d’avoir ou ne pas avoir un rapport sexuel. « Auparavant, les femmes évoquaient principalement l’importance des sentiments amoureux dans le choix de leurs partenaires, note-t-elle. Aujourd’hui, la curiosité et le plaisir sont de plus en plus considérés, bien que ce ne soit pas généralisé. Il y a donc une augmentation des expériences dites casual, qui ne s’inscrivent pas dans une relation de couple.» Au Québec, une étude sur la santé sexuelle réalisée par l’Institut national de santé publique auprès des jeunes adultes en 2017 (PIXEL) indique que près du tiers des femmes de 21 à 29 ans avaient eu plus d’une relation sexuelle avec un ami ou une connaissance (« ami sexuel » ou « fuck friend ») au cours des 12 derniers mois.

Mais le changement le plus significatif demeure la plus grande fluidité sexuelle, selon Marion Bertrand-Huot. «Les jeunes femmes sont moins hétérorigides. Elles se donnent le droit d’expérimenter, sans remettre en question leur identité. » Une observation que reflètent les données de l’Étude des parcours relationnels intimes et sexuels (ÉPRIS), à laquelle ont pris part 6 000 Canadiens, dont une majorité de Québécois dans la vingtaine. Parmi les participantes s’identifiant comme hétérosexuelles, deux sur cinq affirment ne pas être « exclusivement » attirées par les hommes.

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Environ le tiers des femmes se masturbent au moins une fois par semaine. (Photo : Getty Images/Bob Thomas).

Près de 20 % des femmes de 21 à 29 ans ont eu un partenaire sexuel d’un soir au cours de l’année. ( Source : Étude Pixel, portrait de la santé sexuelle des jeunes adultes au Québec, 2017 )

Une pilule au grand pouvoir

Le 10 juin 1960, le Canada homologue la première pilule contraceptive. Elle est officiellement prescrite afin de régulariser le cycle menstruel et reste uniquement destinée aux femmes mariées.

Bien que l’Église catholique réprouve cette méthode – et que la prescription de la pilule à des fins contraceptives demeure illégale jusqu’en 1969 –, les Canadiennes l’adoptent avec enthousiasme dès le départ.

«On ne dit pas “tomber enceinte” pour rien ! C’est presque impossible pour une femme d’aujourd’hui d’imaginer l’anxiété de nos mères et de nos grands-mères avant chaque retour des menstruations. En permettant de faire l’amour dans une relative sécurité, la pilule offre pour la première fois aux femmes le droit de penser la sexualité à l’extérieur de la reproduction», rappelle la sociologue Francine Descarries.

Depuis, le petit comprimé continue d’avoir la cote. Plus de 1,3 million de Canadiennes comptent aujourd’hui sur ce moyen de contraception, soit 18 % des femmes de 18 à 49 ans, selon Statistique Canada.

Ce tableau est toutefois en train de changer. « De plus en plus, les médecins en planning familial sont encouragés à offrir à leurs patientes le plus large éventail possible d’options contraceptives, de manière à ce qu’elles puissent choisir en connaissance de cause la méthode qui leur convient le mieux », indique Mariane Labrecque, porte-parole de la Fédération du Québec pour le planning des naissances.

Après celle de la pilule, une autre révolution en médecine féminine: la contraception orale d’urgence, plus communément appelée « pilule du lendemain ». Commercialisée depuis 2001, cette dernière joue un grand rôle dans la limitation des grossesses non désirées. En 2018, parmi les femmes âgées de 17 à 29 ans, une sur cinq en aurait fait usage.

La bataille pour le droit à l’avortement

Le premier Code criminel du Canada, entré en vigueur en 1892, est sans équivoque. Toute personne qui tente de provoquer un avortement est passible de l’emprisonnement à vie. La femme qui tente elle-même de mettre fin à sa grossesse s’expose à un maximum de sept ans de pénitencier. Et elle s’expose aussi à la prison si elle permet à un médecin de pratiquer un avortement sur elle.

Cette loi extrêmement sévère restera inchangée jusqu’en 1969 et brisera de nombreuses vies. « En 1966, la principale cause d’hospitalisation des femmes au Canada est l’avortement clandestin. Plusieurs devenaient infertiles pour toujours », soutient Louise Desmarais, militante et autrice de l’essai La bataille de l’avortement − Chronique québécoise (Les éditions du remue-ménage).

Devant le grand nombre de décès associés aux avortements clandestins, le gouvernement du premier ministre Pierre Elliott Trudeau introduit en 1969, dans le cadre de son bill omnibus, une exception à la loi afin de dépénaliser l’avortement dans certaines circonstances restreintes : la grossesse menace la santé ou la vie de la femme, il doit être pratiqué par un médecin, dans un hôpital, et avoir été au préalable approuvé par un comité composé d’au moins trois médecins.

« Avec le recul, on réalise que cette exception a été mise en place uniquement pour protéger les médecins qui pratiquaient déjà des avortements thérapeutiques. Contrairement à l’Angleterre à la même époque, la loi ne fait aucun cas des circonstances d’inceste et de viol, de la situation économique de la famille ou de la qualité de vie de la femme et de ses enfants déjà en vie », ajoute-t-elle.

Le mouvement des femmes continue au cours des années suivantes de mener une lutte acharnée dans tout le pays pour faire reconnaître le droit de ces dernières à l’autodétermination, ainsi qu’à l’intégrité physique et émotionnelle et à la sécurité de leur personne. Ces efforts seront récompensés en 1988 par la Cour suprême. Le tribunal déclare que l’article 251, qui criminalisait jusqu’alors l’avortement, est une ingérence profonde à l’égard du corps des femmes, et donc une atteinte à leur sécurité.

Dès lors, le recours à l’avortement monte en flèche. Chez les femmes de 20 à 24 ans, groupe dans lequel on observe la hausse la plus élevée, le taux d’interruption volontaire de grossesse a plus que doublé entre 1988 et 1998. Sur le territoire du Québec, 49 cliniques voient le jour.

Cette courbe ascendante commence toutefois à décliner. Depuis 2003, le taux d’avortement a diminué de 25 % chez les Québécoises de 15 à 34 ans. « Ces dernières ont bien sûr un meilleur accès à la contraception et à l’information. Mais cette diminution est majoritairement attribuée au fait que le nombre de femmes en âge de procréer est en baisse », affirme Mariane Labrecque.

Femmes

La vague de dénonciations engendrée par #MoiAussi a remis la notion de consentement à l’avant-scène. Et il était temps. (Photo : iStock.Com/Filippobacci).

L’après-#MoiAussi

Deux mots qui ont enflammé les réseaux sociaux et qui ont changé à jamais la façon dont tous, hommes et femmes, voient la notion de consentement.

15 octobre 2017. L’actrice Alyssa Milano enjoint les victimes d’agression sexuelle de publier sur Twitter deux mots : Me Too. C’est la déferlante. Célébrités, athlètes, inconnues : celles qui n’avaient jamais osé parler brisent le silence grâce à la formule-choc, que l’on doit à la militante afro-américaine Tarana Burke.Une vague de dénonciations planétaire inonde les réseaux sociaux – en un an, #MeToo sera utilisé plus de 19 millions de fois sur Twitter.

Trois ans plus tard, force est de constater que ce qui aurait pu se limiter à un exercice de défoulement collectif a eu des impacts concrets. Le producteur Harvey Weinstein, l’acteur Bill Cosby, le médecin sportif Larry Nassar : tous coupables à l’issue de procès très médiatisés !

Au Québec, les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) ont été submergés. « Du 16 au 26 octobre 2017, on a noté une hausse des nouvelles demandes d’aide variant de 100 %  à 533 % », précise Ama Maria Anney, du Regroupement québécois des CALACS.

L’organisme dresse un bilan nuancé de #MoiAussi. Bien sûr, on se réjouit de voir que les femmes prennent la parole et cherchent du secours plus rapidement. Mais encore faut-il pouvoir les aider ! Faute de moyens suffisants, le réseau accuse encore d’importants délais d’attente – jusqu’à 18 mois selon les régions. Certains effets pervers ont aussi été observés : banalisation de la violence, voyeurisme médiatique, compassion inégale pour les femmes racisées, trans, autochtones…

«Plutôt que de voir naître une responsabilisation collective face à un problème social, on constate que le poids est demeuré sur les épaules des survivantes», analyse Ama Maria Anney.

Et les jeunes dans tout ça ? Annick Kerschbaumer, sexologue pour le Centre de services scolaires de Kamouraska–Rivièredu-Loup, se déclare pour sa part optimiste. Les élèves du secondaire qu’elle côtoie semblent avoir délaissé l’attitude « ce qui se passe au party reste au party ». « Ils s’affirment plus qu’avant, c’est certain », assure-t-elle. En fait foi la seconde déferlante de dénonciations de l’été dernier, lancée cette fois par les millénariaux. Le hasard a aussi voulu qu’à l’époque de #MoiAussi, le ministère québécois de l’Éducation planchait sur la refonte du programme d’éducation à la sexualité, devenu obligatoire à la rentrée 2018. « Les planètes étaient alignées ! » lance-t-elle. Car, forcément, les enjeux soulevés ont teinté son contenu. « La notion de consentement éclairé revient à plusieurs endroits du programme, illustre-t-elle. Alors, même quand les élèves ne sauront plus ce qu’était #MoiAussi, cet héritage-là va rester. »

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