Couple et sexualité

Les effets de la pilule sur la libido

« Avec la pilule, j’ai deux fois moins de chances d’être enceinte. Non seulement je n’ovule pas, mais le sexe ne m’intéresse plus… » Vrai ou faux ?

Panne de libido, sécheresse vaginale, difficulté à atteindre l’orgasme… Dans les forums de discussion et les sites consacrés à la santé, des femmes accusent leur contraceptif oral. Pas seulement ici, mais aussi en Europe et aux États-Unis.

Légende urbaine ? Phénomène marginal ? Vieux fond de culpabilité face à une sexualité libre ? Même si 100 millions de femmes l’utilisent sur la planète, la pilule suscite encore de la méfiance. Depuis sa mise en marché, en 1960, on l’a accusée de tous les maux : prise de poids, migraines, ballonnements, sautes d’humeur… Pourtant, la pilule fait partie des « médicaments » que les chercheurs ont le plus scrutés.

« La baisse de libido est un effet secondaire possible et connu des médecins », confirme Francine Léger, médecin-conseil à la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC).

Combien de femmes sont touchées ? Difficile à dire. Unce des rares statistiques sur le sujet provient du magazine américain Women’s Health, qui, en 2007, a interrogé ses lectrices. Bilan : 36 % des utilisatrices rapportaient un manque d’intérêt pour le sexe.

Pourquoi si peu de chiffres officiels sur la question ? Après tout, la littérature médicale explore les liens entre contraceptifs et baisse de libido depuis 30 ans ! Dès 1978, des scientifiques ont essayé de comprendre de quelle façon les anovulants pouvaient amoindrir le désir féminin. Une des hypothèses retenues : lors de l’ovulation, bien des femmes ressentent un appétit sexuel accru, probablement parce que les ovaires sécrètent plus d’œstrogènes, de progestérone et de testostérone – l’hormone à l’origine de la libido. Or, en supprimant l’ovulation, la pilule nous priverait de ce sommet hormonal et, du coup, de cette poussée mensuelle de lubricité.

Une théorie qui corrobore les conclusions de ma propre enquête aussi non scientifique que révélatrice ! Si, autour de moi, je n’ai trouvé aucune femme souffrant d’un manque d’intérêt général pour le sexe depuis qu’elle utilise des anovulants, en revanche, j’ai recueilli des témoignages confirmant la disparition de ce fameux pic de libido. Comme le dit crûment une copine : « Au 14e jour de mon cycle, j’aurais pu copuler avec une borne-fontaine. Depuis que je prends la pilule, l’intense pulsion que je ressentais à ce moment-là a disparu. »

Selon des recherches plus récentes, les anovulants diminueraient le taux de testostérone féminin par un mécanisme supplémentaire. En passant par le foie, ils augmentent la production d’une protéine, la sex hormone binding globuline (SHBG), qui « paralyse » l’hormone du désir. Or, moins de combustible dans le réservoir peut entraîner des pannes plus fréquentes…

Des chercheurs de l’Université de Boston allaient plus loin en 2006 dans The Journal of Sexual Medicine : ils affirmaient que cette action paralysante se prolongeait même après l’abandon des contraceptifs oraux. Dans l’étude qu’ils ont menée, des participantes qui avaient cessé de prendre la pilule un an plus tôt avaient encore, après tout ce temps, un taux de SHGB 28 % plus élevé que la normale. « Cela dit, on ignore pourquoi ce taux élevé se traduit par une baisse de désir chez certaines femmes et pas chez d’autres, commente Claudia Spanzer, endocrinologue et auteure principale de l’étude. Une femme sur deux en souffre. »

Tous les spécialistes ne sont pas d’accord avec ces conclusions. L’effet éteignoir de la pilule, Jonathan Schaffir n’y croit pas. Ce gynécologue de l’Ohio a examiné à la loupe 25 études sur le sujet. Son verdict : si la pilule a une influence négative sur le désir, elle est minime. « Une diminution de la testostérone n’entraîne pas automatiquement une baisse de libido, dit-il. De plus, seul un petit nombre de femmes est touché. » La docteure Spanzer proteste. « Dans des pays comme l’Allemagne et la France, on prend cet effet secondaire au sérieux. La baisse possible de libido figure même sur les emballages d’anovulants ! »

Alors ? Y a-t-il, oui ou non, un lien entre le taux de testostérone et l’envie de faire des galipettes ? Au Québec, la docteure Michèle Moreau, de la Clinique de médecine familiale du CHUM, aborde le problème par l’autre bout de la lorgnette. « En donnant plus de testostérone aux femmes, on n’a pas obtenu des résultats spectaculaires », révèle-t-elle. Elle sait de quoi elle parle puis­qu’elle a testé l’efficacité d’un timbre de testostérone pour ranimer les libidos défaillantes. « Avec le timbre, le nombre de relations sexuelles des participantes augmentait légèrement, rapporte-t-elle. Mais juste un peu plus qu’avec le placebo, qui ne contenait pas d’hormone ! Si la testostérone joue un rôle dans le désir féminin, d’autres facteurs entrent en ligne de compte. »

Les psychologues diront bien sûr que la flamme féminine est aussi influencée par le stress, la double tâche, la fatigue et les chicanes de ménage… Bref, difficile de savoir dans quelle mesure la pilule est responsable de nos ratés érotiques. Comme le dit mon amie Louise, travailleuse à plein temps et mère de deux jeunes enfants, que j’« interviewe » sur le bord de l’évier pendant qu’elle récure des casseroles : « J’ai moins le goût qu’avant. Je ne sais pas si c’est la pilule… Lorsque je vais au lit, tout ce que je veux, c’est dormir. »

En recrutant des participantes pour des études sur la perte de libido, la docteure Moreau a été surprise de voir le grand nombre de jeunes femmes qui se sont présentées. « Je ne parle pas de filles seules ou mal assorties, mais de femmes en couple avec des hommes qu’elles aiment, dit-elle. Les problèmes de libido sont répandus et pas seulement chez celles qui prennent la pilule. »

Alors, comment savoir si le contraceptif oral est coupable ? La docteure Claudia Spanzer conseille à ses patientes de changer de méthode de contraception pour quelques mois, question de voir si leur vie sexuelle va s’améliorer.

La docteure Francine Léger, elle, propose plutôt de changer de contraceptif oral. Une solution qui rallie bien des médecins. Selon les marques, l’œstrogène synthétique (toujours le même) se présente dans différents dosages. Le progestatif, lui, n’est pas le même d’une à l’autre, et les réactions qu’il entraîne peuvent varier selon les utilisatrices.

La docteure Moreau, aujourd’hui dans la cinquantaine avancée, croit pour sa part que nos craintes face à la pilule découlent d’une sorte d’amnésie collective. « Les femmes nées après l’avènement de la pilule ne savent pas à quel point la crainte d’une grossesse pouvait gâcher notre plaisir, rappelle-t-elle. Avoir toujours peur d’être enceinte, ça non plus, ce n’est pas génial pour la libido ! »

La pilule a 50 ans

1956 On constate que les œstrogènes et la progestérone, pris à faible dose, ont un effet contraceptif. L’endocrinologue Gregory Pincus, encouragé par Margaret Sanger, militante américaine pour les droits de la femme, teste les premières pilules contraceptives.

1957 Le fruit de ses recherches est commercialisé aux États-Unis sous le nom d’Enovid, un « médicament » prescrit en cas de « troubles hormonaux » : étant donné l’influence de l’Église catholique, qui réprouve la contraception, ce dernier mot ne peut être prononcé à l’époque.

1959 Près de 500 000 Américaines présentent des « troubles hormonaux ». Une vraie épidémie !

1960 La première pilule contraceptive officielle est com­mercialisée aux États-Unis.

1969 La contraception est légalisée au Canada.

1970 On découvre qu’on peut diminuer le dosage hormonal des anovulants sans perte d’efficacité , réduisant ainsi les ef-fets indésirables (maux de tête, prise de poids…). Les pilules d’aujourd’hui contiennent 10 fois moins d’hormones que celles des années 1960.

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