Entrevues

Le souper de filles de Marie-France Bazzo

Nous avons organisé à l’animatrice son souper de filles idéal. Extraits choisis de deux heures endiablées.

Geneviève Charbonneau

Geneviève Charbonneau

Les invitées de Marie-France
Anne-Marie Cadieux, comédienne
Josée Boileau, rédactrice en chef, Le Devoir
Varda Étienne, animatrice
Rafaële Germain, chroniqueuse et romancière

Varda Étienne.  Quand j’ai reçu l’invitation au souper de filles de Marie-France, je me suis dit que ça ne se pouvait pas…

Rafaële Germain.  Moi, je me suis dit, c’est l’été, il n’y a pas grand-monde de libre !

Marie-France Bazzo.  Ça n’a pas pris 10 minutes pour composer la liste. Même si je vous connais peu, Josée étant celle que je fréquente le plus, professionnellement parlant. Rafaële, c’est tout nouveau ; j’ai fait quelques entrevues avec Anne-Marie et une interview Tempo mémorable avec Varda. Le lien entre vous, je crois, c’est que vous incarnez une liberté de ton, chacune à votre manière. Vous êtes des filles qui vous assumez. Toi, Varda, tu t’assumes dans l’excès… Anne-Marie, je me reconnais beaucoup en toi. Même si tu ne me l’as jamais dit, je suis sûre que tu as plein de failles intérieures. Mais tu projettes l’image de quelqu’un qui s’assume, qui avance dans la vie, qui fait des choix. Vous êtes des filles inspirantes.

ÊTRE SOI-MÊME

Josée Boileau.  Marie-France, quand je te regardais à la télé, pour moi, tu étais la fille branchée qui est de toutes les premières, la fille qui doit se coucher à minuit passé.

Marie-France.  Tellement pas ! Je pratique ce métier-là pour disparaître jusqu’à un certain point. Mais – c’est drôle – faire parler les autres m’a appris à sortir de ma coquille. On est vraiment toutes dans la lumière –Rafaële, tu écris, Anne-Marie, tu joues. Puis en même temps, on a une certaine réserve. On ne veut pas que tout se sache, que tout paraisse non plus. Toi, Josée, tu fais quelque chose de très différent.

Anne-Marie Cadieux.  Tu te livres, tu livres une opinion.

Rafaële.  J’ai tellement d’admiration pour Josée ! Quatre enfants et une carrière ! Toi, tu ne peux pas être enflammée ; il faut tout le temps que tu sois juste.

Josée.  Je fais de l’éditorial. Au Devoir, on est une toute petite équipe ; on ne peut pas passer trois jours à pondre quelque chose. On a trois ou quatre heures pour lire, réfléchir, écrire… Je me rappelle les premiers temps. « Mon Dieu, il est 5 h 30, je n’ai pas commencé à écrire. Il me reste une heure et je ne sais pas ce que je pense ! » C’est ça, le stress de la job.

Rafaële.  Moi, c’est quand il me manquait une blague pour Le grand blond avec un show sournois

Josée.  Le lendemain, ton opinion est rendue publique. C’est Le Devoir, il y en a toujours un qui te rappelle la grande époque de Claude Ryan, puis que toi tu n’es donc pas bonne… Le pire, c’est les revues de presse du matin qui résument ton édito. Au début, j’éteignais la radio, j’étais incapable d’écouter ça.

Anne-Marie.  Je pense qu’on est plus dure avec soi qu’avec tout le monde. Selon moi, la femme va toujours douter.

Rafaële.  C’est un des beaux côtés de la femme en général d’accepter le doute plus naturellement que l’homme. Merci pour le doute dans la vie, c’est tellement sain…

Anne-Marie.  Le doute, ça fait partie de mon métier, qui est de chaque fois recommencer. J’ai peur, mais je le fais, je ne sais pas comment l’expliquer.

Josée.  Te rends-tu compte de ce que tu dis ? Tu es une des plus grandes comédiennes de ta génération. Et tu doutes. On est drôles, les filles…

Anne-Marie.  J’ai des failles, mais je pense qu’il faut y aller malgré tout. Que peut-être c’est ça le truc, tu sais, il faut y aller. J’aspire beaucoup à la liberté. C’est mon grand combat, que je n’ai pas encore gagné.

Varda.  C’est quoi, ta définition de la liberté ?

Anne-Marie.  Être complètement soi-même, faire parfois des choix extrêmement épeurants.

Rafaële.  Je travaille là-dessus. C’est le combat d’une vie, de toute façon.

Marie-France.  Le combat ou l’inspiration d’une vie ?

Rafaële.  Tu as raison, une très excitante inspiration, le trip d’une vie aussi. Petite, je pensais que le monde wild, c’était le monde qui sortait dans les bars. Mon père m’avait dit : « Être vraiment wild, c’est dans la tête. » Je m’étais dit, quel beau projet ! Faire ce que tu veux et être maître chez toi vraiment.

Varda.  J’ai eu 40 ans en décembre et j’ai pris la décision d’assumer tout ce que je suis. Que j’ai trois enfants et que, des fois, ça ne me tente pas. Que je suis dans un milieu professionnel dur et qu’avec la gueule et la personnalité que j’ai – je suis bipolaire de type 1 – je ne serai jamais une Julie Snyder ou une Véronique Cloutier. Que je suis une parvenue finie, finie. Et que j’aime ça.

Rafaële.  En vieillissant, je me rends compte que le cercle de mes proches se restreint beaucoup. Des choix se sont faits. C’est tellement important d’aimer comme il faut, autant le faire avec peu de monde que d’éparpiller ça sur des gens avec lesquels il n’y aura jamais rien de plus profond.

LA VIE DE COUPLE

Varda.  Je me suis mariée en septembre dernier, après quatre ans de fréquentation. Après environ 54 ruptures, comme toute bipolaire qui se respecte. Je tenais mordicus à le faire parce que j’aime bien être Madame Unetelle, je ressens une jouissance dans le titre. Je regardais mon mari, et je me disais, bon, pour le meilleur et pour le pire, je vais être obligée de baiser juste avec lui. Ça va être très, très difficile pour moi. J’ai trop besoin de séduire constamment.

Anne-Marie.  La question de la fidélité, c’est vrai qu’elle est au centre.

Rafaële.  Il m’arrive de rêver que je trompe mon chum. Quand je me réveille, je réalise que c’était un rêve et je remercie le petit Jésus ! Mon chum est là, je suis bien, c’est ça pour toujours et je n’en veux pas d’autre.

Marie-France. Mais le besoin de séduire, non ? Séduire, ça peut aller loin – une entrevue, c’est de la séduction – mais sans nécessairement qu’on passe à l’acte. Le besoin de séduction est vraiment…

Varda.  … très fort chez moi ! Et c’est difficile parce que je suis avec un homme pour qui le mariage est sacré, comme dans les années 1800. Il ne couchera avec personne d’autre, on va « manger mou » et porter des couches ensemble. Moi, je veux bien ça aussi – surtout que c’est un amant extraordinaire – mais il y a trop d’hommes ! C’est le côté séduction que je ne suis pas capable de lâcher. Je suis en mode séduction tout le temps, même avec les mouches.

Josée.  Oui, mais ton chum, il le sait.

Rafaële.  Avant, je flirtais avec tout ce qui bougeait, c’était tellement mon trip que je pense que je me suis littéralement rendue au bout. J’aime encore ça qu’une personne me trouve jolie, mais ce n’est plus comme avant. Mes parents ne sont pas mariés, dans ma tête le mariage, c’était ridicule. Mais quand j’ai rencontré mon chum, on a commencé à se dire : « Marie-moi, marie-moi… » Et on s’est mariés. Ça n’a rien changé du tout, honnêtement…

Anne-Marie.  Je ne suis pas d’accord. C’est un engagement que tu prends devant les gens…

Varda.  Non, excuse-moi, mais c’est moins cute que ça. Tu signes un bail et tu te demandes, quand on va divorcer, qu’est-ce que je pourrai obtenir ? À un moment donné, soyons logiques.

Josée.  Ça fait presque 30 ans que je suis avec le même homme. C’était clair pour nous qu’on ne se marierait pas ; je suis féministe et je trouvais qu’il y avait là un signe d’appropriation de la femme par l’homme. C’est pas mal théorique, mais c’était ça quand même. On a eu quatre enfants. Puis, à un moment donné, on passe des bouts plus difficiles dans le couple et on se demande, est-ce qu’on reste ensemble ? On a décidé de continuer et on a trouvé que le mariage, c’était une façon de boucler la boucle. Quand on s’est mariés, les quatre enfants étaient là, ça faisait 20 ans jour pour jour qu’on était ensemble. Quelque temps après, quelqu’un a demandé à ma plus jeune – elle avait quatre ans quand on s’est mariés – : « Toi, tu veux te marier quand tu vas être grande ? » Et elle a dit : « Ben, il faut avoir des enfants avant ! » J’ai trouvé ça extraordinaire. Ce que j’avais refusé à 20 ans avait un sens tout à coup. Et tu sais, avec ce gars-là – je vais peut-être avoir l’air très quétaine et romantique… Je suis même émue de le dire… Bon, ça y est, je vais pleurer…

Rafaële.  Un vrai souper de filles, il y en a une qui pleure !

Josée.  Ce que je trouve le plus difficile dans la vie, c’est de réussir un couple. Encore plus de nos jours, parce qu’on n’est pas obligés de rester ensemble, même pour les enfants. Donc, il y a des creux – là, les soupers de filles, mon Dieu que ça te soutient ! Puis arrive un événement, ton chum fait quelque chose et tu retombes en amour, avec quelqu’un qui te connaît bien en plus.

Anne-Marie.  Marie-France, ça fait longtemps, toi ?

Marie-France.  Ben, 27 ans…

Anne-Marie.  Moi, ça fait sept ans. Je me souviens que, dans la vingtaine, je ne voulais vraiment pas être en couple. Je voulais connaître des hommes, oui, mais je voulais vivre ma vie. Donc, ce n’était pas dans mon plan. Dans le fond, c’est un choix de rester.

Josée.  Oui, alors qu’avant c’était plus facile, tu n’avais pas le choix.

Rafaële.  Mon père m’a raconté que ses parents ont été 50 ans ensemble. Ils se sont mariés à 19 ou 20 ans… Et dans ce temps-là, comme tu dis, c’était obligé. Quand mon grand-père était sur son lit de mort, les médecins ont dit : « On va l’intuber ; il ne pourra plus parler. » Au moment de prononcer les dernières paroles de sa vie, il a demandé à sa femme, avec laquelle il avait eu 14 enfants : « M’as-tu aimé ? » J’ai trouvé ça bouleversant. À l’époque, on pouvait vivre toute une vie avec quelqu’un et demander à la fin : « M’as-tu aimé ? » On a quand même la chance, nous, de se le dire et de le savoir. Et que chaque journée passée avec cette personne soit une preuve d’amour. Bien sûr, on pourrait aussi rester pour de très mauvaises raisons, pour l’argent ou les enfants, mais je pense qu’en général on reste parce que c’est l’amour qui nous attache.

Josée.  Mais je maintiens que c’est difficile de garder la flamme au milieu des vidanges à sortir, de l’épicerie à faire et du linge à plier. La vie quotidienne, elle est plate.

Anne-Marie.  Oui, c’est difficile. Moi, je suis comme ça – je veux que la vie soit toujours un peu excitante. Un événement extraordinaire, c’est fantastique, mais ça ne dure pas longtemps.

Rafaële.  Il y a du travail d’un bord comme de l’autre. Que chaque moment soit fabuleux, c’est du travail aussi…

LES GARS ET LE FÉMINISME

Josée.  Il y a eu une mode à un moment donné de décrier l’homme québécois, qui était, paraît-il, trop rose et trop mou.

Marie-France.  Non, non, non !

Rafaële.  Tout le monde s’est mis à dire que le Québécois était lavette et qu’il fallait aller au Mexique pour trouver des vrais gars. Voyons donc ! Dans ma vie, j’ai connu bien des gars plus ou moins intéressants pour diverses raisons. Mais lavettes, plates, « drabes » ? Non. Je ne comprends pas pourquoi on revenait tout le temps là-dessus.

Marie-France.  On dit que le Québec est le paradis des femmes. Et c’est vrai que c’est le meilleur endroit pour être une femme, je pense. À cause des hommes, notamment.

Rafaële.  On entend souvent dire qu’il y a plus de suicides au Québec que partout ailleurs, plus d’analphabètes. On est les plus pauvres, les moins intelligents – puis ils sont donc fins en Ontario… Il y a quand même une réussite, tu sais. Tout n’est pas parfait, mais il y a des combats que je n’ai pas eu à mener parce que ça avait été fait. Oui, c’était de l’huile de bras de femme. Mais les gars au Québec ont été assez too much, finalement. Si on compare à d’autres pays supposément très civilisés, on est chanceux, on est bien.

Anne-Marie.  Mon chum, il est super, il va déplacer ma voiture, il fait plein d’affaires. Les affaires de gars, il les fait toutes. Et j’aime qu’il les fasse…

Josée.  Un jour, je suis partie en appartement avec mon chum – le père de mes quatre enfants, celui avec qui je suis toujours 30 ans plus tard. Je suis féministe, moi, alors on se fait un tableau de partage des tâches. Chaque tâche est minutée, il faut que ce soit juste ; il manque un cinq minutes ici, alors on ajoute cinq minutes pour répondre à la porte ! Et pour que ce soit égalitaire, on fait des échanges de tâches. Sauf que les jobs de gars, comme prendre la perceuse pour poser des crochets, je n’ai jamais le temps de les faire. Alors que lui, toutes les tâches de fille, il les exécute sans problème… Au bout d’un certain temps, mon chum m’a fait remarquer que c’était peut-être un petit peu ridicule, notre affaire. Alors on est revenus à un partage très traditionnel… Le pire, c’est que ce tableau, on l’a gardé. Il est toujours affiché !

Pour voir davantage de photos, rendez-vous dans la galerie du souper de filles.

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