Entrevues

On sera tous végétariens

La viande dans notre assiette, ça achève.

Caron, Aymeric, Copyright Patrice Normand, Opale, Editions Fayard - copie

Photo: Patrice Normand, Opale

La viande dans notre assiette, ça achève. C’est ce que conclut le journaliste français Aymeric Caron dans No Steak, un livre troublant dans lequel il parle notamment du rapport complexe des Québécois aux animaux. Châtelaine l’a rencontré.

Vous dites que tous les humains seront bientôt forcés d’être végétariens. Pourquoi?

On cessera de manger de la viande parce que la planète ne pourra plus répondre à la demande d’une population croissante. Depuis 40 ans, en partie à cause de l’enrichissement des pays émergents – Chine, Brésil, Afrique –, la consommation de viande a quadruplé. En ce moment, on mange de 50 à 60 milliards d’animaux par année. On en mangera deux fois plus en 2050!

Ce régime est insoutenable : l’élevage industriel sollicite énormément de ressources. Déjà, les trois quarts des terres agricoles de la planète sont destinés au bétail. Celui-ci ingère la moitié des céréales produites dans le monde. Il est aussi responsable de 18 % des effets de serre. Le végétarisme deviendra donc une question de survie d’ici quelques siècles. Ça semble loin, mais à l’échelle de l’histoire de l’humanité, c’est demain.

Vous croyez aussi qu’on deviendra végétariens pour des raisons morales.

 De la même façon qu’on condamne aujourd’hui l’esclavage et l’oppression des femmes, on considérera un jour que manger des animaux était barbare. Il fut un temps où c’était nécessaire pour survivre, mais ce n’est plus le cas grâce à l’évolution de la technologie. On peut se nourrir et se vêtir autrement.

À titre d’espèce dotée de raison et de conscience, on doit réfléchir au sort qu’on réserve aux autres animaux. Nos comportements vis-à-vis d’eux sont très incohérents. On en chouchoute certains (j’ai découvert au Québec un hôtel pour chiens et chats avec lits à baldaquins et télévision!), alors que d’autres sont élevés et abattus dans des conditions effroyables. On a aussi tendance à protéger ceux qui sont « mignons » ou qui nous ressemblent, tels les grands singes. Comme si les autres valaient moins… Grâce aux avancées en neurobiologie, on découvre qu’une multitude d’espèces sont dotées de sensibilité et d’intelligence, y compris celles qu’on mange. Elles souffrent, elles s’organisent en société, elles éprouvent de l’affection. Quand on le reconnaîtra plus largement, ça deviendra difficile de leur ôter la vie.

Des experts soutiennent que les protéines animales jouent un rôle important, voire essentiel, dans notre régime alimentaire. Après tout, l’homme appartient à la famille des omnivores. Que répondez-vous à cet argument?

D’abord, nos ancêtres, les Australopithèques, étaient végétariens. Ensuite, les habitudes ont varié selon les époques. Les hommes de Neandertal mangeaient encore plus de viande que nous, par exemple (en particulier dans les régions du nord, à cause de la rareté des végétaux). Mais notre mode de vie n’a rien à voir avec le leur.

Aujourd’hui, moult études sérieuses démontrent que le régime végétarien ou peu carné est meilleur pour la santé. Et, contrairement à l’idée reçue, il n’entraîne pas de carence. D’abord, on surestime la quantité de protéines dont on a besoin : elles ne devraient constituer que 15 % de notre alimentation. Par ailleurs, l’aliment qui en contient le plus n’est pas le steak, mais le soja! On en trouve aussi à foison dans les céréales et les légumineuses, dont la combinaison apporte tous les acides aminés essentiels à la santé.

Vous êtes végétarien depuis 20 ans, une décision mue par votre amour des animaux. On pourrait douter de l’objectivité de vos arguments. On sent d’ailleurs que vous cherchez à nous convaincre d’adopter le végétarisme.

Tout ce que j’ai écrit est fondé sur les travaux d’éminents spécialistes – paléoanthropologues, astrophysiciens, nutritionnistes, sociologues – nullement liés à des organisations végétariennes (et qui ne sont pas forcément végétariens eux-mêmes). Je m’appuie sur des constats scientifiques, point à la ligne.

Aussi, je ne dis pas que les mangeurs de viande sont des salops. Ma propre compagne et bon nombre de mes amis sont omnivores. Je me défends bien de donner des leçons. Mais c’est vrai que le martyre enduré par les animaux issus d’élevages industriels me choque. En ce moment, l’industrie met tout en œuvre pour qu’on n’y pense pas. Au supermarché, on achète des morceaux de viande sous cellophane, bien propres. Pas de sang, pas de carcasse. Les abattoirs sont à l’abri des regards. On ne voit pas les bêtes agonisant au sol, la gorge tranchée, les pattes cassées. J’aimerais que les consommateurs de viande soient plus conscients de cette réalité.

Vous dites que le Québec est un « lieu passionnant pour qui souhaite étudier la complexité de nos relations avec les animaux et les mutations qu’elles traversent ». Pourquoi?

Chez vous, des réalités contradictoires se côtoient quant à la question de la viande. Par exemple, vous tolérez très bien les végétariens, contrairement à la France, où on fait figure de casse-pieds ou d’hurluberlus. On trouve dix fois plus d’options pour les végétariens dans vos épiceries qu’en France, et les plats végétariens dans les restos sont monnaie courante. Pourtant, c’est une province de chasseurs (un Québécois sur dix s’adonne à cette pratique, une proportion bien supérieure à la France). Ensuite, on réfléchit beaucoup aux droits des animaux dans vos universités – ce n’est pas le cas en France. Par contre, vos conditions d’élevage des porcs et des poulets sont beaucoup moins strictes qu’en Europe. En somme, le Québec réunit tous les partis d’un débat qui va prendre beaucoup de place dans les prochaines années.

À la fin de No Steak, vous posez une question qui m’a turlupinée dès le premier chapitre. Jusqu’où pousser la réflexion sur la souffrance des êtres vivants, sachant que « le simple fait de vivre, pour un humain, induit forcément la destruction de formes de vie animale (exemples : bâtir une maison, marcher sur l’herbe, labourer un champ) »? À la limite, les végétaux ont peut-être mal quand on les cueille!  

Oui, c’est un débat passionnant. Pour l’instant, il n’est pas prouvé que les plantes souffrent à la manière d’un animal. On les sait « sensibles », sans toutefois pouvoir définir cette sensibilité. Ça reste à découvrir. Mais bon, on a quand même besoin de manger, de s’abriter, de circuler pour survivre… À partir de là, chacun pose ses limites par rapport à ce qu’il est prêt à faire subir à telle ou telle espèce. Dans certaines communautés de l’Inde, on ne peut même pas écraser un insecte rampant ou couper un arbre!

Quelles sont vos propres limites, à part vous passer de viande?

Je ne vois pas de mal à manger des œufs de poules bios, et jusqu’à récemment, je buvais du lait de vache. Ce que pourraient me reprocher les militants plus radicaux qui s’opposent à la consommation de tout produit d’origine animale… Moi, je crois que toute prise de conscience est valable, peu importe le degré d’action qu’elle nous mène à poser. Par exemple, je me réjouis qu’un omnivore lise No Steak. Ça veut dire qu’il veut bien réfléchir aux problèmes générés par la consommation de viande.

 

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