Générale

Sans viande, avec sexe et sans regret

Je savais qu’en m’attaquant à l’une des 36 cordes sensibles des Québécois, ce texte ne passerait pas comme du beurre dans la poêle. Qu’importe, c’est notre job, à nous journalistes, d’en parler. Et je dirais que c’est même un devoir SURTOUT quand le sujet est sensible et le lobby aussi puissant. Mais mon texte, c’est du pablum à côté du livre dont il s’est inspiré.

Je n’ai pas eu comme l’auteur Jonathan Foer (une entrevue avec lui ici), trois ans pour me plonger dans le sujet mais j’en sais assez pour ne pas regretter ma décision de devenir végétarienne. J’y étais presque et le livre « Faut-il manger les animaux?«  (Traduction de Eating Animals, fort bien documenté, en passant) a fait basculer ce qui subsistait de déni et de réticences chez moi. Parmi ces réticences? L’envie de me conformer, de ne pas être la brebis galeuse du groupe, de ne pas être l’empêcheuse de tourner en rond, de perpétuer les traditions, dont celle de la tourtière de ma grand-mère, pur porc (vous avez 82 minutes devant vous pour revoir les traditions?), de partager une culture et de la transmettre.

Tant pis, ça me fera une étiquette supplémentaire sur le dos. Joblo: blonde, obsédée sexuelle ET végétarienne.

Soit, on peut prétendre que ça se passe SEULEMENT aux États-Unis. Soit, on peut aussi insinuer que la carotte souffre (parmi les commentaires qui font suite à mon texte, une façon comme une autre de faire dévier le discours), on peut ergoter sur les détails et plastronner sur le reste. Mais on évacue l’essentiel: ces bêtes souffrent inutilement parce que nous mangeons trop de viande. Si chaque carnivore devait voir dans quelles conditions sont élevés les animaux qu’il mange, il changerait probablement d’orientation.

D’ailleurs, même s’il est devenu végétarien, Foer ne dit pas d’arrêter de manger de la viande complètement (il connaît les implications sociales et culturelles) et réfute un à un tous les arguments contre les types d’élevage plus artisanaux. Je ne répondrai pas aux commentaires qu’on m’a fait parvenir pour la simple et bonne raison que ces personnes n’ont pas lu le livre. Lisez-le et revenez-moi. On parlera sur les mêmes bases. Je serais ravie d’apprendre que les méthodes d’élevage des agriculteurs québécois n’ont rien à voir avec celles des éleveurs américains, mais je sais bien que là aussi, la culture du profit et du rendement a gagné la bataille sur le bon sens et l’humanité. Qu’on vienne me traiter d’urbaine pour me faire taire (ce qui est à moitié vrai mais à moitié faux aussi) n’y changera rien.

J’ai malgré tout reçu quelques courriels qui m’ont encouragée: tiens, Marcel, un septuagénaire, ex-lutteur et militaire haut-gradé (pas exactement une moumoune) et un conseiller de Pierre Falardeau, qui m’annonce qu’il est devenu végétarien depuis vendredi. Et mon ami l’animateur Errol Duchaine, de la Semaine Verte, qui m’apprend qu’après avoir lu le livre de Jonathan Foer, le carnivore indécrottable en lui, est très déstabilisé. Pourtant, Errol est probablement le journaliste qui a visité le plus d’abattoirs au Québec et connaît les rouages de l’UPA autant que les petites routes de campagne.

Je suis (re)devenue végétarienne (je l’étais il y a 30 ans) avec ce que cela implique de complications, d’imagination, de renoncements, de deuils et d’explications à donner. Samedi soir, dans un souper chez des voisins, j’ai mis une heure à expliquer pourquoi nous ne mangerions pas d’agneau braisé à la Guinness avec eux. Je n’avais pas mis le pied dans la porte, que déjà j’avais à me défendre. De la salive perdue, mais bon, « a nice piece of conversation« .

Et le poisson? Tu parles si ça va me manquer. Je suis petite-fille de pêcheur gaspésien. J’ai ça dans l’ADN. Mais je ne regretterai plus mes visites chez le poissonnier, par contre. Encore cette fin de semaine, en lisant Marie-Claude Lortie, je me suis sentie soulagée. S’il faut importer son turbot pêché à la ligne de Bretagne (par avion!), merci bien, je vais m’arranger avec ma conscience beaucoup plus tranquille. Mais je n’aurais pas refusé de goûter aux poissons que pêchaient les gars sur le lac Memphrémagog hier. Comme je ne refuserai pas de manger les lapins de Wendy, la fermière chez qui je m’approvisionne en oeufs frais. On appelle ça une locavore? M’en fous. Je mangerai de la viande seulement lorsque je connaîtrai les bêtes par leur prénom, que je serai rassurée par les traitements qu’elles reçoivent et j’en consommerai en de très très rares occasions. Il y en aura pour tout le monde.

Je ne juge pas ceux qui persistent à encourager l’élevage industriel, qu’il soit terrestre ou marin. J’aimerais bien qu’on en fasse autant avec ceux qui décident de cesser le carnage ou de décourager certaines pratiques.

Et pour ceux qui sont capables de soutenir les images… Our daily bread, un documentaire qui se passe de mots.

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