Société

Intersexualité : le témoignage de Kathie Berthiaume

« Je suis née il y a cinq ans. »

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BV photo: Kathie fière de son nouveau pick-up.

Je suis venue au monde le 12 décembre 1956 à l’hôpital de Sainte-Agathe. Les médecins ont dit à ma mère que je ne survivrais pas. Pourquoi ? Aucune idée. Cinq jours plus tard, ils m’ont opérée. Encore là, je ne sais pas pour quelle raison. Ma mère m’a raconté qu’elle m’avait trouvée le soir les jambes en l’air, la tête en bas. Le lendemain, on a refait mon baptistaire, en date du 18 décembre, au nom de Serge Berthiaume. Ma mère n’a pas posé de questions.

Jusqu’à l’âge de cinq ans, je suis restée tranquille à la maison, dans mon village de Saint-Donat, à vivre comme une fille. Ma mère me laissait faire.

Mon enfer a commencé à l’école. L’autobus s’arrêtait devant le couvent des filles. J’allais me mettre en rang. On me dirigeait en face, vers le collège des garçons. Je me sauvais en courant rejoindre mon monde à moi. On me ramenait avec les gars. Ç’a été comme ça pendant trois jours. Après, on m’a mise dehors, sous prétexte que je dérangeais tout le monde. L’année suivante, même scénario. Sauf que, à midi, mon père est venu, m’a soulevée de terre et m’a donné une fessée. Je suis entrée en classe. Je m’en souviens comme si c’était hier.

À ma première communion, je braillais dans l’église. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais du bord des garçons. J’ai dû apprendre à être comme eux. Si un gars faisait telle chose, fallait que je fasse mieux. J’étais bonne dans les sports. Je me suis fait des amis.

Mais j’étais révoltée. À 16 ans, j’ai commencé à boire. Je passais des nuits à pleurer, à chercher à comprendre ce qui m’arrivait. J’avais envie de tuer tout le monde.

La moitié du village savait que je me promenais le soir habillée en fille. On me foutait la paix. Mais je ne pouvais plus vivre ici, je faisais des ulcères d’estomac, je me bourrais de pilules, je tremblais. Je n’étais pas moi. À 26 ans, j’ai sacré mon camp à Montréal.

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Portrait de Kathie par Sylvain Tremblay. « Sylvain a jasé un peu avec moi, puis s’est assis avec son bloc-notes. Quand il m’a montré son esquisse, j’ai vu ma vie défiler. Il ne s’était pas trompé. »

Le jour, je vivais en homme. Le soir, je sortais en femme. À 30 ans, j’ai rencontré Johanne, avec qui je suis restée pendant 18 ans. Pendant toutes ces années, on a dû baiser cinq fois. Ça ne marchait pas en bas de la ceinture. Je lui ai dit que, dès que mon père mourrait, j’allais changer de sexe. Elle a ri : « Pas grave, je suis lesbienne ! » Je l’aimais, ma Jojo. Mais elle a fini par se lasser.

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BV photos: «Le jour, je vivais en homme. Le soir, je sortais en femme.»

En 2007, je me suis ramassée à l’hôpital avec les testicules gros comme ça. J’avais mal, mal. Le médecin m’a suggéré d’aller passer un scan. Je n’avais pas de cancer, mais je suis restée enflée pendant trois semaines. Le soir, je calais huit grosses bières pour noyer ma peine. À minuit, je pleurais dans mon coin. Personne ne venait m’écœurer.

L’année suivante, j’ai fait un AVC en plein resto. J’ai été chanceuse, l’ambulance était stationnée pas loin. Ça m’a sauvée. Je suis sortie de l’hôpital le lendemain. Peu après, l’endocrinologue a demandé à me voir. Il m’a dit qu’on allait me traiter puis qu’on allait m’opérer « en bas » sans tarder. Je devais d’abord consulter une sexologue. Il savait des choses que je ne savais pas, c’était évident. Mais il ne me disait rien. Il me regardait aller. La sexologue m’a prescrit des hormones sur-le-champ.

Peu après, j’ai planté. Mal de cœur, malade, malade. À l’hôpital, on m’a fait des prises de sang. On m’a annoncé que j’avais un caryotype XXY. Je n’avais jamais entendu parler de ça. J’ai passé d’autres tests. La sexologue m’a fait venir d’urgence dans son bureau : « Signe, ça presse ! » Tous les papiers pour le changement de sexe étaient prêts. D’habitude, le processus prend de deux à cinq ans. Tu dois vivre en femme pendant un an avant de te faire opérer. Là, ça allait trop vite ! Je travaille dans le milieu de la construction. Qu’est-ce que j’allais dire à mes clients, qui me verraient arriver en femme du jour au lendemain ?

Le 10 mars 2009, Serge mourait et Kathie naissait.

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BV photos: Serge Berthiaume devenu Kathie Berthiaume.

J’ai tout perdu. Mon travail, mes clients, ma moto. Pendant trois ans, plus d’argent. Je suis retournée vivre à Saint-Donat, dans la maison héritée de mon père, après 28 ans d’exil. Ma mère est venue habiter avec moi. Elle m’a beaucoup aidée. Un mois après l’opération, elle m’a révélé qu’il y avait eu des complications à ma naissance. J’ai filé aux archives de l’hôpital de Sainte-Agathe pour réclamer mon dossier. On m’a envoyé par la poste deux documents incomplets. Je suis retournée à l’hôpital exiger TOUS les papiers. On m’en a sorti cinq autres en me disant que beaucoup de choses avaient été changées. « C’était comme ça dans le temps », m’a-t-on répondu.

Ça m’a pris un an et demi avant de recommencer à travailler. Tout le monde me connaissait. J’étais faite. Les contracteurs levaient le nez sur moi. Un de mes oncles a été le premier à me donner de l’ouvrage. Les gens ont bien vu que je n’étais pas infirme ! Petit à petit, j’ai rebâti ma clientèle.

Aujourd’hui, j’ai cinq ans ! Les affaires vont bien. Ça fait une semaine que je roule dans mon nouveau pick-up noir. Il m’arrive encore de ressentir de la révolte, mais je me lève de bonne humeur le matin. J’ai commencé à avoir des orgasmes (je n’avais jamais connu ça !), je ne prends plus de pilules pour les maux d’estomac. Avec les hormones, mes seins ont poussé.

Tout le monde m’aime et vient me jaser. Parce que je suis enfin moi-même. Je n’ai plus rien à prouver. Les gens savent que j’ai subi un changement de sexe, mais l’intersexualité, XXY, ils ne comprennent pas.

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BV photo (bowling): Kathie et son équipe des Pros, à la remise de prix du bowling.

Nous, les intersexuels, on n’est rien. On est pognés entre les deux. J’avais besoin de m’identifier comme fille. C’est l’Y qui fout le bordel : j’ai les jambes et le cul d’une femme. C’est en haut que ça se gâte : je suis carrée, j’ai les mains larges, la voix grave.

Je ne cherche plus à savoir ce qui m’est arrivé à la naissance. J’approche les 60 ans, je veux vivre en paix le reste de ma vie. J’ai du fun. Je joue au bowling et je gagne des prix. Je ne suis plus enragée noir. Si j’étais née aujourd’hui, je crois qu’on m’aurait laissée telle quelle. J’ai accepté de témoigner pour faire bouger les choses et montrer que tout est possible : si moi, Kathie, j’ai réussi à surmonter cette épreuve, tout le monde peut le faire. Les gènes, on ne peut rien contre ça. Tout ce que j’espère maintenant, c’est qu’on laisse les enfants tranquilles. On ne peut pas décider pour eux. C’est une atteinte à leur vie privée.

Ce que ses amis disent d’elle

Christine est serveuse au bar que fréquente Kathie. C’est comme ça qu’elles se sont connues il y a quatre ans.

« J’avais déjà entendu parler de Serge Berthiaume. En voyant entrer Kathie, j’ai su que Serge était mort. Elle m’a tout de suite fait confiance. Mais son intégration a été difficile. Des fois, je me choquais contre les clients. Je les trouvais cruels dans leurs regards et leurs paroles. Kathie s’assoyait. Au bout d’une demi-heure, il n’y avait plus personne autour d’elle. Comme si les gens avaient eu honte. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. Quand Kathie arrive, on sait que le party va lever ! Kat fait de l’animation, elle joue de la guitare, elle chante, elle danse, elle est facile à aimer. Elle est capable de rire d’elle-même et de nous revirer de bord. Je la trouve courageuse d’être revenue à Saint-Donat, une petite municipalité à l’esprit fermé. Surtout avec le métier qu’elle fait ! Elle est une preuve de courage, de détermination et de persévérance. »

Yves, ami d’enfance de Kathie, avec qui il a fait les 400 coups.

« On s’est connus à 14 ans. On était une gang de gars, on roulait en “bicycles à gaz”, on buvait de la bière, on allait aux dames ! Quand j’ai vu Kathie sortir de son truck, des années plus tard, je ne l’ai pas reconnue. Il, pardon, elle, portait des lunettes de soleil. Ce n’était plus mon vieux chum ! Ça m’a fait de la peine. On savait que Kathie s’habillait en fille le soir, mais elle ne faisait pas ça devant nous. On se disait : c’est un trip. On est restés bons amis malgré tout. Ça ne change pas parce qu’elle est devenue une doudoune ! Il m’est arrivé de prendre sa défense en disant : « Si du jour au lendemain ton chum virait en fille, aurais-tu mal ? Oui ? Ben moi aussi j’ai mal, alors ferme-la ! »

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BV photo : Yves, Christine et Kathie, une amitié hors du commun.

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