Société

J’ai changé de vie : d’une maîtrise en relations internationales à la courtepointe

Avec leurs formes géométriques colorées, on dirait presque des tableaux. Mais les œuvres que Marilyn B. Armand conçoit dans son atelier lumineux des Cantons-de-l’Est sont des courtepointes. Aux commandes de sa machine à coudre, l’artisane de 32 ans modernise joyeusement cette technique ancestrale chérie par nos grands-mères. Une petite révolution aussi douce que pimpante !

Mon amour du textile me vient de…
Ma grand-mère. J’ai été très proche d’elle, car ma mère est décédée quand j’étais jeune. Ma grand-mère était couturière de métier et toute la famille – pas juste les femmes – apprenait à coudre. Comme j’étais une enfant unique plutôt hyperactive, elle a eu l’idée de me faire trier des boutons ! Elle m’a ensuite initiée au tricot, au tissage… Cela m’occupait tout en lui donnant un break.

Une rencontre cruciale dans mon parcours
Après ma maîtrise en relations internationales à l’UQAM, mon copain et moi avons décidé de déménager à Dunham. Ça devait être un trip de campagne d’un an, mais on est tombés amoureux de la région, de son monde, de son espace… On n’est jamais repartis. Comme le textile me manquait, je me suis inscrite au Cercle des fermières de Cowansville. C’est là que j’ai rencontré la courtepointière France Verrier. Pendant presque deux ans, je suis allée chez elle deux soirs par semaine, et elle m’a appris toutes les techniques de base. Il y a beaucoup de solidarité au sein des Cercles des fermières, avec ces femmes qui ont tant de vécu et qui transmettent leur savoir. Je continue de renouveler mon abonnement année après année. Je trouve ça sharp !

J’ai fondé mon entreprise, Le point visible, parce que…
J’avais besoin de créer, mais je ne suis pas bonne en peinture, et je suis vraiment pourrie en dessin. La courtepointe me permet de m’exprimer en jouant avec les formes et les couleurs. C’est aussi une manière d’utiliser des retailles qui seraient autrement vouées aux déchets. N’oublions pas que l’industrie textile est la deuxième plus polluante au monde, après le pétrole. Des matières neuves sont carrément jetées aux poubelles parce qu’elles ne sont plus à la mode ou en assez grande quantité pour en faire une collection. Mais moi, je peux travailler à partir de ces petites quantités. On dit d’ailleurs que la courtepointe, ce n’est pas du recyclage, mais du suprarecyclage : la matière gagne en valeur à travers le processus. Car avec la technique d’assemblage et de surpiqûre, on obtient des tissus beaucoup plus résistants, qui vont durer 30 ans plutôt que cinq.

Photo : Marie-Claude Fournier

Ce qu’on ignore sur la courtepointe
À l’époque de l’esclavage, aux États-Unis, des femmes se sont servies de leurs courtepointes pour communiquer avec les esclaves du Sud qui s’étaient évadés et qui tentaient d’atteindre le Nord. Elles les accrochaient sur leur corde à linge, et la couleur du motif indiquait aux fugitifs s’ils pouvaient se réfugier dans le village ou s’il valait mieux qu’ils poursuivent leur chemin. Pendant la prohibition, la courtepointe a aussi aidé les femmes à s’extirper de la violence, parce qu’elles se réunissaient pour coudre et discuter de leurs problèmes. La courtepointe, ce n’est pas que de l’artisanat, c’est de l’histoire.

La courtepointe correspond à mes valeurs…
D’écoresponsabilité. Je ne me lèverais pas le matin avec autant de bonheur si j’avais choisi ce métier pour faire de l’argent. Conscientiser les gens à récupérer leurs retailles, ou à acheter des pièces qui sont sentimentalement importantes pour eux et qu’ils vont garder, c’est une manière de participer à une mission beaucoup plus grande que moi. Je la réinvente à ma façon parce que… Pour être franche, les courtepointes qui ont un look très chargé ne viennent pas vraiment me chercher. Je préfère que ce soit plus épuré. J’aime aussi jouer avec différentes matières : velours, « corduroy », coton… Mais mon style a beau être moderne et minimaliste, la technique, elle, reste traditionnelle.

Ce qui m’inspire
La nature et l’architecture. Parfois, des clients m’apportent un tissu qui a appartenu à leur mère, ou une photo d’un endroit important pour eux, et me demandent si je peux créer à partir de ces éléments là. Même si le sur-mesure prend beaucoup de temps, je tiens à en faire, parce que je sais que l’attachement à l’objet sera tout autre et que la courtepointe va rester très longtemps dans la famille.

Photo : Marie-Claude Fournier

J’ai trouvé un milieu de travail stimulant…
Aux Bedford Lofts, à Bedford. C’est une ancienne usine d’aiguilles pour machines à tricoter. Nous sommes une quinzaine d’artisans à y avoir notre atelier : deux potiers, une souffleuse de verre, des peintres, des ébénistes, une fille qui fait des cosmétiques, une autre qui cuisine des desserts véganes… Nous nous retrouvons tous à l’heure du dîner ! Nous nous entraidons beaucoup. En temps de pandémie, j’étais vraiment reconnaissante de faire partie de ce groupe.

Valoriser ce savoir-faire est important parce que…
Longtemps, tout ce qui était l’art des femmes n’était ni rémunéré ni valorisé. Il m’arrive souvent de me faire aborder par des gens qui me disent que la courtepointe requiert du temps et de la minutie, que leur grand-mère passait tout un hiver à en confectionner une seule… Mais ces mêmes personnes sursautent quand elles voient le prix de mes créations ! J’ai toujours envie de leur demander combien elles auraient payé leur grand-mère qui s’était échinée pendant un hiver complet. Il faut rappeler que tout le travail que font les femmes à la maison a une valeur.

Ce que ma grand-mère en dirait aujourd’hui
Elle capoterait ! Pour ma grand-mère, c’était très important d’être vaillante et indépendante. Alors, si elle savait que je suis entrepreneure, j’ose croire qu’elle serait vraiment fière.

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