Claudia Larochelle est l’une des figures féminines qui me fascinent. Femme de tête et de cœur, l’écrivaine met en mots de manière subtile toute la complexité de la condition féminine. Elle sait dire le malaise de la femme avec doigté et raffinement, ce qui fait d’elle, sans aucun doute, l’une des voix fortes de sa génération. C’est en savourant son recueil, Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, publié en 2011 chez Leméac, que j’ai découvert cette auteure, journaliste et animatrice.
L’univers de la trentenaire nouvellement maman, un peu vintage et singulièrement romantique, me donne le goût d’en savoir plus sur sa vision du monde. Claudia me touche, car sa conception des choses, aux airs parfois tragiques, a ce petit je ne sais quoi de profondément universel. Je me reconnais dans le rapport, parfois angoissé, qu’elle entretient avec le féminin.
Féministe, mais féminine, la créatrice s’assume pour ce qu’elle est. J’aime.
Léa
Léa : Quelle femme t’a inspiré?
Claudia : Il y en a beaucoup beaucoup! J’aime les femmes, et celles qui m’entourent sont très inspirantes. Plus récemment, j’ai eu comme directrice de mémoire à la maîtrise l’écrivaine Louise Dupré (Tout comme elle, La voie lactée…). Elle m’a fait travailler très fort et grâce à elle, en partie, j’ai mené à terme enfin cette scolarité et j’ai appris à regarder le monde avec des lunettes de créatrice. C’est une grande, de celles qui vont marquer leur époque. Elle écrit non seulement divinement bien, mais en plus, elle sait vieillir en beauté, avec sagesse, sans ornières, dans la plus grande ouverture d’esprit. J’admire sa manière d’être à la fois femme, féministe et créatrice, elle habite les silences aussi bien que les discussions, c’est toujours chargé, brillant. Il faut la lire, ses romans comme sa poésie, d’ailleurs.
L : Ce qui te révolte?
C : Ces enfants massacrés qui paient le prix pour la folie des adultes, dans le conflit israélo-palestinien comme dans une cour du quartier Rosemont tout près de chez moi… Pas besoin d’aller loin pour en être témoin et l’actualité regorge de désaxés qui commettent des actes ignobles à l’endroit des petits. Je déteste qu’ils soient pris en otage, qu’ils paient les frais de la bêtise et de la médiocrité humaines. Oui, ça me révolte au plus haut point.
L : Ce qui te donne espoir?
C : Toi, Léa! Toi et les autres plus jeunes qui prenez la plume, la parole et qui vous souvenez du passé, qui vous en intéressez. Toi et les autres qui travaillent et qui étudient en même temps, qui vous savez vulnérables sur plein de trucs, parfois inexpérimentés et fébriles, mais qui vous appuyez sur des plus « vieilles » pour faire un bout de chemin. Celles qui se lancent en politique, tous partis confondus, qui créent, qui s’affichent dans leurs différences. J’estime aussi les plus âgées, les dirigeantes qui encouragent et font une place aux nouvelles sans se sentir menacée par la jeunesse.
L : Qu’est-ce que la beauté pour toi?
C : Elle ne réside pas dans l’évidence, elle se cache en coulisses, ne cherche pas la lumière à tout prix. La beauté réside là où on ne pense pas la trouver à priori et survient spontanément : dans un geste de tendresse d’une personne âgée envers un bébé, dans un homme qui accompagne sa femme jusqu’à son dernier souffle, dans le regard d’une mère qui va voir son fils en prison, dans la fierté et le courage d’un petit qui fait ses premiers pas. Ben oui, j’ai l’air « cheesy », mais c’est ça, je suis rendue à voir la vraie beauté là où je ne regardais pas avant, obnubilée par des préoccupations plus superficielles, mais symptomatiques de mes états à ces moments précis de ma vie, que je ne renie pas par ailleurs… Je pense que c’est l’avantage de vieillir, on ajuste sa vision en fonction du poids de nos grosses valises.
L : Qu’est-ce que la féminité?
C : C’est la liberté. La liberté d’assumer des mots, des gestes, des exclamations, même si démesurés, intenses ou jugés déplacés par la maudite bienséance prescrite implicitement pour entrer dans les rangs. C’est choisir de devenir mère ou pas, c’est choisir de marcher en talons hauts ou en baskets au bras de qui on veut, c’est montrer de sa chair ou la cacher, manger de la poutine ou de la salade, mais c’est surtout s’assumer. La féminité auréole celles qui n’en font qu’à leur tête de pioche.
L : Qu’est-ce qui t’inspire?
C : Le souvenir très clair de discussions sans tabous avec mes grands-mamans qui, je suis toujours sous le choc de ça, ne pouvaient pas signer de chèques à leur propre nom. La mère de ma mère aurait aimé aller à l’université… c’était impensable, l’usine l’attendait à quatorze ans! Le souvenir de leur fierté en me voyant prendre le volant de ma voiture pour partir en voyage quelque part sur un trip avec une amie, quand j’ai acheté ma première propriété, quand j’ai publié mon premier livre…, ça me reste en tête. Autant de liberté acquise entre elles et moi. Mettons qu’il ne faut pas prendre ce chemin parcouru à la légère. Ces souvenirs de leur fierté me poussent à continuer à défricher, à transmettre les outils à ma fille. Ce n’est jamais terminé, les acquis doivent nous servir de plongeons pour bondir toujours plus haut.
L : Qu’est-ce que tu as envie de léguer aux filles des nouvelles générations?
C : Ouf… Est-ce que je pourrais, moi, léguer quelque chose? Disons que j’écris en français des histoires qui abordent des sujets comme la mort, l’avortement, la sexualité, la maladie mentale, sans les enrober de dentelle et de fioritures. J’ai du mal à mettre des gants blancs dans la vie privée… Puisqu’en littérature tout est permis, j’en profite, je me gâte! J’espère que quelque part dans le fond d’une bibliothèque, une jeune fille trouvera un jour écho à ses questionnements à travers une des mes phrases et que ça l’accompagnera comme une petite pilule de réconfort au détour d’un chemin de travers.
L : Quel est ton plus grand rêve?
C : Ben là, Léa! Je suis une machine à rêver à toutes sortes d’affaires! Le plus GRAND, je l’ai réalisé. Il s’appelle Ophélie et vient de faire ses premiers pas dans mon salon… Pour elle, je rêve qu’elle puisse parler français toute sa vie durant sans jamais se sentir étrangère dans la province qui l’a vue naître.
L : Quels sont les principaux défis qui attendent les femmes?
C : Ils ne sont pas les mêmes partout. J’insiste là-dessus parce que les défis pour une femme en Amérique du Nord, en Afrique ou en Asie n’en sont pas au même stade de priorité… Ici, au Québec, il y a beaucoup de pain sur la planche pour mener des batailles majeures pour l’équité salariale par exemple (eh oui, encore!), mais il ne faudrait pas négliger les défis du quotidien silencieux : la main baladeuse d’un patron, les remarques niaiseuses de quelques chroniqueurs machos et rétrogrades, certaines entreprises médiatiques qui laissent si peu de place à la parole féminine et beaucoup à celle des hommes, les propos disgracieux de grossiers personnages sur les réseaux sociaux, des pères qui frappent ou tuent leurs filles au nom d’une religion, les femmes complices qui se taisent, apeurées ou démunies…
L : Qu’est-ce que t’a appris ta mère?
C : L’indépendance intellectuelle et financière d’abord et la persévérance. Je l’entends encore me répéter de « me faire » par moi-même, de ne compter sur rien ni personne pour me bâtir la carrière de mon choix et amasser mes sous pour vivre comme je le souhaite. J’ai bûché très fort pour me rendre où je suis, je suis une battante et ma mère m’a fourni les munitions pour décrocher des rêves qui me semblaient inaccessibles. Petite, je n’avais aucune confiance en moi et beaucoup de complexes physiques et psychologiques, croyez-moi, il a fallu travaillé fort, et ce n’est pas fini…
Claudia Larochelle publiera le 10 septembre prochain un nouveau roman, Les îles Canaries, de la série Vol 459, chez VLB éditeur. Pour une troisième année consécutive, elle sera à la barre de l’émission littéraire LIRE diffusée sur les ondes d’ICI ARTV.