Société

Les Népalaises soulèvent les montagnes

Au Népal, les femmes ont investi le pouvoir. Au gouvernement, elles occupent le tiers des sièges, après avoir combattu durant 10 ans la monarchie totalitaire. Châtelaine a rencontré quatre Népalaises qui contribuent, chacune à sa façon, aux grands progrès sociaux que connaît ce petit pays surnommé le Toit du monde.

Coincé entre deux géants, l’Inde et la Chine, le minuscule Népal est façonné de vastes plaines et de hautes montagnes – c’est le pays de l’Everest. Sa capitale, Katmandou, révélée au monde par les Beatles dans les années 1960, évoque encore des images du mouvement peace and love. Mais cette mosaïque ethnique de 29 millions d’habitants a vu sa paix troublée par 10 ans de guerre civile (1996-2006) entre l’armée royale népalaise et des rebelles maoïstes (formation d’extrême gauche). Résultat : 13 000 victimes et plus de 100 000 exilés. Étrangement, cette tragédie aura favorisé l’émancipation des Népalaises ainsi que l’avènement de la démocratie. C’est que le mouvement maoïste rebelle, à l’origine du premier parti politique en importance au pays, a toujours prôné l’égalité entre les hommes et les femmes, les laissant combattre côte à côte.

Après avoir contribué à faire tomber le gouvernement, les femmes participent activement à la rédaction d’une nouvelle Constitution. Mais il reste encore beaucoup à faire dans ce pays gangrené par l’analphabétisme et la misère. Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, et des régions entières n’ont ni routes ni électricité. Et puis, il y a tout le système des castes, semblable à celui de l’Inde mais moins omniprésent, qui perdure malgré son abolition officielle. Selon cette forme d’organisation, le rang des individus dans la société est défini par leur hérédité. Un système archaïque inégalitaire qui limite les relations entre les individus de différentes castes. Il faudra du temps pour que le pays se départe de ses traditions ancestrales et machistes. Et c’est pour cela que les Népalaises continuent à livrer combat. En voici quatre qui bâtissent le Népal de demain.

Jaya Puri Gharti, 37 ans, députée
Jaya Puri Gharti est la whip en chef de la plus importante formation politique du pays, le Parti communiste népalais (maoïste). Rebelle née, elle milite pour la justice depuis son enfance. Toute jeune, elle défend les paysans de son village natal exploités par son oncle, riche propriétaire terrien. Puis elle lutte pour mettre fin aux discriminations ethniques, sexistes et religieuses entretenues par la société. Elle se voue aussi à la libération de son pays du joug de la monarchie en rejoignant les rangs maoïstes pendant la guerre de libération. Dans le maquis, elle tombe éperdument amoureuse d’un Népalais de caste inférieure et de huit ans son cadet. Jaya Puri fait fi des traditions : elle épouse l’élu de son cœur, avec qui elle aura une fille. Mais si la révolution lui a fait connaître l’amour, elle le lui aura aussi dérobé. Son mari tombe sous les balles dans une embuscade tendue par les forces royales. Aujourd’hui, la chef de famille monoparentale poursuit son combat dans l’arène politique à titre de députée.

Devi Sunuwar, 40 ans, militante
Devi Sunuwar appartient à la plus basse des castes : les dalits. Ce statut fait d’elle une « intouchable » ou une « impure », interdite d’accès aux temples sacrés et aux lieux publics fréquentés par les castes supérieures. Mais cela ne l’a pas empêchée de fonder Maina, un refuge pour les enfants orphelins de guerre et en quête de justice. La maison porte le nom de sa fille de 15 ans, enlevée, torturée et tuée par les forces de sécurité népalaises le 17 février 2004. Depuis cet horrible jour, Devi se bat. D’abord contre l’armée royale – qui a réfuté toute implication avant d’admettre que ses soldats étaient mêlés à l’assassinat – puis contre les autorités. Analphabète, cette paysanne et mère de famille s’est lancée dans une véritable croisade contre l’abus de pouvoir au nom de sa fille et des autres victimes de la guerre civile à coups de conférences de presse. Elle est ainsi devenue le symbole d’une rébellion pacifique auprès de ses concitoyens. Devi n’en démord pas : elle veut que les meurtriers de sa fille, condamnés à six mois de probation par un tribunal militaire, soient frappés d’une peine qui reflète l’acte barbare qu’ils ont perpétré. « La réconciliation nationale ne sera possible que lorsque les victimes de la guerre civile auront obtenu justice », jure-t-elle sur la tête des deux enfants qu’il lui reste.

<Hajuri Bista, 53 ans, entrepreneure
Hajuri Bista avait près de 40 ans quand elle a eu la piqûre des affaires. À l’époque, elle se sentait à l’étroit dans son rôle de femme au foyer, d’épouse de médecin et de mère de deux enfants. Elle a donc eu l’idée, au grand dam de son entourage, de conjuguer sa passion pour la cuisine avec ses ambitions entrepreneuriales. « Seul mon mari était partant », se souvient Hajuri. Forte du soutien de ce dernier, elle s’est inscrite à l’Association des femmes entrepreneures du Népal, une coopérative où elle a suivi une formation en gestion et en transformation d’aliments. Six mois plus tard, elle démarrait sa microentreprise… dans sa cuisine. Spécialisée dans la fabrication de marinades en conserve (cornichons, gingembre, poisson, mangues, etc.), elle emploie aujourd’hui 28 personnes, sous la bannière Navarras. Élue Entrepreneure de l’année 2003 par la banque népalaise Laxmi, Hajuri est surtout fière d’avoir formé près de 2 500 travailleuses au fil des ans. « Des femmes pauvres et illettrées pour la plupart, mais qui sont prêtes à trimer pour permettre à leurs enfants d’aller à l’école. » L’initiative d’Hajuri est une véritable leçon d’altruisme : 90 % de celles qui ont transité par son entreprise travaillent désormais à leur compte ou pour un concurrent ! « C’est de bonne guerre, explique-t-elle. Mon modèle d’affaires est facile à reproduire. »

Ram Kumari Jhakri, 30 ans, leader étudiante
Ram Kumari Jhakri a été parmi les premières à descendre dans la rue pour s’opposer à l’état d’urgence décrété par le roi Gyanendra en février 2005. Un acte de rébellion qui lui a valu non seulement d’être battue et arrêtée, mais aussi de devenir le porte-étendard d’un puissant mouvement de 500 000 étudiants – elle a été élue présidente de l’Association des étudiants libres du Népal en septembre 2008. Destin étonnant que celui de cette jeune femme qui a fui la pauvreté de son village pour poursuivre des études en sociologie et en anthropologie à Katmandou, la capitale. Ram Kumari est aussi l’une des premières militantes du pays à avoir placé le droit des femmes au cœur de ses revendications. Sa cause : l’abolition des inégalités entre les classes, les races, les genres et les castes. « Dans mes moments de doute ou de faiblesse, je repense à nos premières manifestations contre le roi. À l’époque, personne ne donnait cher de la peau du mouvement étudiant. Et pourtant, nos actions ont fini par porter leurs fruits : la destitution du roi Gyanendra, la fin de la guerre civile, la naissance de la démocratie. » La jeune femme est convaincue d’une chose : tout devient possible quand les gens descendent dans la rue pour défendre leurs idées.


 

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