Société

Papa Noël

Je ne me souviens même pas si, petite, je croyais au père Noël. J’aimais bien lui rendre visite chez Dupuis Frères, le grand magasin canadien-français – on ne disait pas encore québécois – du centre-ville de Montréal, mais l’attraction principale n’était pas tant le vieillard dont l’habit rouge sentait la boule à mites que le petit train de Noël qui sillonnait le 6e étage. Et mon idole, la scintillante fée des étoiles, toute de bleu et d’argent vêtue. Sans doute mon premier contact avec un archétype sexiste…

Toute ma vie, j’ai entretenu une relation difficile avec le bon vieux temps des fêtes. Pendant l’enfance, ça en était douloureux. On avait beau dire que c’était la fête des enfants et du petit Jésus, chez nous, la saison était marquée par la visite de tantes à barbe et de « mononcles » à moustaches pas sortables le reste de l’année, par le retour de vieilles chicanes de famille et par des crises de jalousie pour des histoires de cadeaux ou de belles-sœurs au décolleté trop plongeant.

Le soir de Noël, j’étais malheureuse comme les pierres. Je suis enfant unique. Or, pour une enfant seule, trouver l’essence de la fête dans un party exclusivement composé d’adultes est voué à l’échec.

Chaque année, le même scénario. Pendant que les invités du réveillon de mes parents se faisaient aller le popotin sur des airs de mambo et de cha-cha-cha dans le sous-sol de notre duplex, en prenant soin de faire régulièrement le plein de rye and Seven-Up, de rhum and Coke ou de cherry brandy, pour les dames, je montais à la cuisine pour aller me bercer en pleurant doucement dans l’espoir que quelqu’un me trouve ainsi et me console.

Tout n’était pas perdu : chaque centimètre carré sous notre arbre métallique argenté était occupé par un cadeau destiné à Lise. C’est à Noël que j’ai reçu ma première guitare, un grand moment dans ma vie. Des disques des Beatles et des Rolling Stones, un ensemble de ski alpin, une paire de bottes lacées en suède mauve, un nécessaire de pyrogravure et la plus grande collection de Barbies dans tout Hochelaga-Maisonneuve.

Et il y avait la cuisine de maman, non conventionnelle, sans l’ombre d’un volatile. Nous fêtions le réveillon – messe de minuit optionnelle quand elle est devenue messe à gogo – et, vers 2 heures du matin, maman servait des linguine sauce à la viande selon la recette familiale de sa meilleure amie, Colomba Berardinucci. Rien à voir avec le « spaghat » local. Pour dessert, faisant fi de la tradition québécoise, maman arrivait avec un énorme gâteau aux cerises fait maison. Le tout arrosé de café Yuban au percolateur. Maman voulait être une femme du monde.

Aujourd’hui, je me laisse quelquefois happer par la saison rouge et verte. Pour mes filles. Mais je suis une rebelle naturelle. Ça m’irrite qu’au cœur de l’hiver, saison enchanteresse parce qu’elle se vit au ralenti, on doive tout à coup afficher un bonheur nucléaire, courir comme des fous, mettre la maison sens dessus dessous, encadrer les fenêtres de lumières multicolores et faire pendre des gouttières de faux glaçons dans l’espoir de donner un look pôle Nord à nos « semi-détachés ». Je le sais, je l’ai fait.

Le gros fun noir sur commande, c’est au-delà de mes forces. Et puis un jour, j’ai découvert que c’était de famille.

Cette année, ça fera 10 ans que mon papa est mort. Dans ses derniers moments, il m’a avoué qu’il savait ma détresse à Noël. Comme moi, c’était un solitaire. Il aurait de loin préféré une célébration à trois. C’est à ce moment que j’ai compris pourquoi le seul adulte qui finissait par me trouver dans la cuisine en train de me bercer en pleurant doucement, c’était mon père.

Et quelle que soit l’horreur musicale qui jouait sur le stéréo, il insistait toujours pour me faire valser dans ses bras en me disant que j’étais sa petite fée des étoiles.

Avec un papa comme ça, avais-je besoin d’un père Noël ?

Tous mes vœux, soyez heureuses et heureux.

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