Société

Fêter Noël autrement : 3 témoignages

On associe souvent le temps des Fêtes aux réjouissances en famille. Mais que faire quand le cœur n’y est plus ou que la distance rend ces rencontres difficiles ? Pour ces trois clans, la solution a été simple : fêter Noël avec des amis. Des amis qui, au fil du temps, sont devenus une véritable famille. 

Au revoir les silences, bonjour les rires

Photo : Julia Marois

Pour son propre bien-être, Marie-Christine Sirois a pris un pas de distance avec sa famille. Celle qui a fait sa marque comme styliste de mode et chroniqueuse avant de se consacrer au design intérieur assume pleinement son choix. Elle s’est épanouie en troquant ses Noëls remplis de « frustrations et de silences » contre un temps des Fêtes entre amis débordant de rires et de bonne bouffe.

J’ai choisi de passer Noël autrement parce que…

Célébrer Noël n’a jamais été une tradition chez nous. On était loin du genre de fête qu’on voit dans les films Hallmark avec les chandails assortis, un labrador près du foyer et la fameuse dinde… Aussi, comme mes parents avaient des boutiques de vêtements, c’était la période la plus occupée de l’année pour eux. Le 24 au soir, ma mère rentrait du travail épuisée. Je n’ai donc jamais tellement connu l’esprit des Fêtes.

Comment était mon premier Noël sans ma famille biologique ?

C’est passé tellement sous le radar ! Quand j’ai rencontré mon conjoint, en 2000, j’avais 19 ans et j’habitais encore chez mes parents. J’ai demandé : « Maman, ça te ferait de la peine si je restais au chalet avec Vincent et qu’on passait Noël ensemble ? » Elle a répondu : « Ben non, pas de problème ! » Chez nous, les célébrations et les anniversaires, ça n’a jamais été tellement important, donc personne n’a pris ça personnel. Par après, j’ai passé presque chaque Noël seule avec Vincent.

Comment s’est formée ma famille choisie ?

Lui et moi, on s’est rendu compte qu’on n’était pas obligés de passer Noël seuls et qu’on avait des amis qui étaient soit orphelins de papa ou de maman, comme l’animatrice Rebecca Makonnen, ou pour qui, cette année-là, ça ne marchait pas avec leur famille. Une autre copine, Elise Lebrun, mannequin et maman à la maison, a une famille très unie, mais elle réserve toujours une journée avec nous dans le temps des Fêtes. Notre amie Julia Johnson, entrepreneure, se joint aussi à nous. On a créé cette tradition il y a 10 ans avec elles et leurs conjoints, sans trop s’en apercevoir.

L’importance que revêt ce Noël réinventé

Au fond, je crois que j’ai toujours rêvé de créer mes propres traditions du temps des Fêtes. Je n’avais pas réalisé que c’était important pour moi, que j’en avais besoin. Ça m’est arrivé de regarder d’autres familles et de me dire : « Ah, ça serait donc le fun ! » J’ai longtemps considéré que c’était une malchance de ne pas avoir de tradition de Noël familiale, mais j’ai réussi à la changer en opportunité. Nous nous sommes tellement façonné un Noël à notre image que, aujourd’hui, j’en suis 100 % satisfaite.

À quoi ressemblent nos célébrations ?

Tout tourne autour de la bouffe. Le copain de Rebecca [NDLR : l’auteur-compositeur-interprète Louis-Jean Cormier] cuisine super bien et moi aussi. Pendant une semaine, on s’échange des textos juste là-dessus. Qu’est-ce qu’on mange ? Qui fait quoi ? Quand on se réunit au chalet, dans Lanaudière, on fait des activités comme de la raquette ou du patin. Sinon, on boit du bon vin, on se fait des brunchs et ça se termine sur de très longues conversations.

Ce que représente pour moi la famille de cœur

Mes amis ont remplacé ma famille, celle avec laquelle je n’ai pas rompu les liens, mais avec qui j’entretiens maintenant des relations plus distantes. Le fait de passer les Fêtes avec des gens qui me font rire et me nourrissent, des gens qui sont là parce qu’ils m’aiment et ont envie de me voir, je trouve ça réconfortant, sécurisant et apaisant. C’est tout le contraire de la formule familiale que j’ai connue.

Quand les gens apprennent que je fête Noël ainsi…

C’est sûr que ça prend un contexte ou des explications. Au début, pour Louis-Jean – qui a une super grande famille –, c’était bizarre, inhabituel, à la limite anormal. J’ai l’impression que la société change tranquillement et qu’on est en train de normaliser ça.


Un Noël dans la joie et sans jugement

Photo : Julia Marois

Le concept de famille choisie tire son origine des communautés LGBTQ+. Encore aujourd’hui, les sorties du placard peuvent effriter les liens familiaux. En 2019, à 50 ans, après avoir révélé à son épouse et à ses deux f ils qu’elle était non binaire transféminine, l’informaticienne Abigaël Bouchard a trouvé soutien et réconfort durant les Fêtes auprès de sa famille de cœur.

J’ai choisi de passer Noël autrement parce que…

Toute ma vie, j’ai joué le rôle masculin qui m’a été assigné à la naissance et j’ai réprimé la féminité en moi. À 22 ans, je me suis fait baptiser comme Témoin de Jéhovah. J’avais la foi que Dieu puisse guérir ce que je percevais comme une maladie mentale, une perversion. Mais je n’étais pas bien. Après être allée en psychothérapie, j’ai fait un coming out non binaire, et j’ai été exclue de ma communauté religieuse. J’ai alors commencé à fréquenter des groupes de soutien pour les personnes trans et non binaires. Je voyais la joie que ces gens avaient d’être eux-mêmes, même si c’était difficile dans leur vie. J’ai alors choisi la personne féminine que j’ai toujours voulu être. Quand j’ai annoncé à mon épouse que je m’étais inscrite à une clinique pour commencer l’hormonothérapie, on a décidé de se séparer.

Comment était mon premier Noël sans ma famille biologique ?

Même si Noël n’est pas une tradition chez les Témoins de Jéhovah, ça demeure une période de rassemblement avec les amis et la famille. Comme tout le monde est en vacances, on ne s’empêche pas de faire des soupers, de s’inviter et d’avoir du plaisir. Après ma sortie du placard, je me suis retrouvée seule pendant les Fêtes et j’ai trouvé ça difficile. En étant excommuniée, j’ai perdu du jour au lendemain toute la communauté que j’avais depuis 30 ans.

Comment s’est formée ma famille choisie ?

Je me suis rapidement impliquée auprès d’organismes LGBTQ+, je me suis liée d’amitié avec des personnes trans et non binaires. Je me suis rendu compte que beaucoup souffrent de solitude. J’ai tissé des liens avec Vannick et Kia, deux femmes trans rencontrées dans un événement militant. En constatant qu’on était toutes seules, on a commencé à s’inviter durant les Fêtes.

L’importance que revêt cette tradition réinventée

La période des Fêtes est difficile pour beaucoup de personnes trans ou non binaires. Parfois, la famille les mégenre [NDLR: s’adresse à elles en utilisant le mauvais pronom]. Des fois, elles se font dire : « On n’en parlera pas à grand-papa et grand-maman, ils ne comprendront pas. » C’est contradictoire, parce que Noël devrait être une période de réjouissance, de paix, de bienveillance, d’amour, d’unité et de pardon. Ce sont les valeurs qu’on prône. Alors mieux vaut parfois se tourner vers sa famille choisie ! Auprès de ces personnes avec qui on se sent bien et accueilli, on peut vivre un temps des Fêtes joyeux et sans jugement.

Ce que représente pour moi la famille de cœur

On accorde une grande importance aux liens de sang et aux traditions familiales, mais parfois, on entretient ces liens à contrecœur, on cache qui on est véritablement ou on évite certains sujets. C’est dur à vivre de ne pas pouvoir être soi-même.

À quoi ressemblent nos célébrations ?

Depuis deux ans, Vannick m’invite à souper le 24 décembre. L’an dernier, je suis restée à coucher et le lendemain, on a rejoint Kia, qui était seule. On a mangé de la fondue dans un restaurant du quartier chinois à Montréal, puis on est allées au cinéma. C’était super agréable ! Je trouve ça cool comme tradition, ça sort de l’ordinaire.


Se créer une tradition loin de la maison

Photo : Julia Marois

À 27 ans, Steven Sarlat a tout plaqué et mis le cap sur Montréal. Ce natif du sud de la France avait pourtant une belle carrière d’architecte à Bordeaux, mais l’appel de l’aventure était plus fort que tout. Plusieurs mois après son arrivée, il ne regrette en rien ce saut dans le vide. Même qu’il s’apprête à célébrer son premier Noël loin des siens avec des amis, qu’il considère déjà comme sa famille.

J’ai choisi de passer Noël autrement parce que…

Noël est un événement marquant dans l’année pour moi, car c’est l’occasion de se réunir avec la famille élargie, qu’on ne voit pas souvent. En général, c’est quelque chose de très familial. Quand on quitte tout comme ça et qu’on part vers une nouvelle aventure, on cherche à recréer ses traditions. Peu de temps après mon arrivée, avec quatre autres Français installés récemment à Montréal, nous avons décidé de louer un chalet pour les Fêtes.

Comment s’est formée ma famille choisie ?

Notre relation s’est développée très vite, c’est un peu fou. J’ai connu tout le monde [NDLR : Clément, Yohan, Camille et Mathieu, âgés de 22 à 27 ans] le lendemain de mon arrivée grâce à Yohan, rencontré sur un groupe Facebook d’expats. Il nous a tous mis en contact. Comme nous sommes, pour la plupart, partis seuls, les liens se sont créés rapidement à cause de la solitude. La chimie a vraiment opéré. Nous nous voyons tous les jours. Lors de la Journée internationale de l’amitié, le 30 juillet dernier, Yohan a employé le mot « famille » pour nous décrire. Cela nous a paru comme une évidence et nous nous sommes accordés sur l’expression « famille choisie ».

Comment sera mon premier Noël sans ma famille biologique ?

Nous avons réservé un chalet dans la région de Mont-Tremblant, ce qui était une évidence pour nous. C’est quand même le truc mythique à faire, surtout en hiver. Ça fait très Noël ! Nous allons le décorer et organiser un échange de cadeaux. Nous aimerions couper un sapin dans la forêt, si c’est possible. L’idée est de profiter pleinement de notre expérience ici et de nous faire plaisir.

Ce que représente pour moi la famille de cœur

La famille, ce n’est pas uniquement les liens de sang. Je n’ai jamais dissocié mes amis de ma famille. Mais ici, mon unique famille, mon ancrage, ce sont mes amis. En France, des repas de Noël en famille ont déjà tourné au vinaigre. Ici, je vais passer les Fêtes avec la famille que j’ai choisie.

Que nous réserve l’avenir ?

Nous nous disons souvent que nous avons eu beaucoup de chance que ça clique aussi vite et aussi fort entre nous. Nous nous demandons comment notre intégration se serait passée si nous avions été seuls. Est-ce que nous aurions eu de la facilité à aller vers d’autres gens ? Sans savoir ce que l’avenir nous réserve, il n’y a pas de raison que cette tradition ne perdure pas puisque nous nous acclimatons tous très bien à la vie québécoise. Un couple s’est d’ailleurs formé, entre Clément et Zoé, qui s’est donc jointe au groupe.

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