Société

Des Fêtes sans tension : comment s’y prendre

Noël et le jour de l’An viennent souvent avec l’obligation des réjouissances. Or, pour plusieurs, c’est aussi synonyme de frictions et de conflits familiaux. Attention, stress en vue !

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Karine Côté-Andreetti a toujours ressenti de l ’anxiété à l’approche des Fêtes. « Les soupers de Noël n’ont jamais été une source de plaisir pour moi », lance-t-elle dans un soupir. « Un peu comme si je ne m’étais jamais sentie tout à fait à ma place entourée des miens. Comme si je vivais en décalage avec la parenté. »

Au fil des ans, ce décalage s’est métamorphosé en conflit frontal avec ses tantes et oncles paternels. « Non seulement on n’avait pas grand-chose à se dire, mais les échanges étaient de moins en moins respectueux. On avait des divergences politiques et des écarts dans notre manière de voir le monde, mais ça allait plus loin que ça… À la longue, c’est venu me chercher dans mes valeurs profondes », raconte la trentenaire.

Adolescente, elle a souvent tenté d’éviter ces réunions en trouvant refuge chez des amies. « Une fois adulte, j’ai essayé de maintenir les liens pendant un temps. Un peu par principe, beaucoup parce que c’est ce qu’on m’a appris. Surtout pour mon père. Mes parents sont séparés depuis que je suis assez jeune et je ne me voyais pas le laisser aller seul à ces rencontres “festives”. Sauf que je devais me faire violence, et ça me créait énormément de stress. »

Ses efforts auront tenu jusqu’à la naissance de son aîné, en 2018. « L’arrivée de mes enfants a changé beaucoup de choses. Je n’ai plus de temps et, surtout, plus d’énergie à consacrer à des relations qui ne m’apportent rien de positif », précise la jeune maman.

Depuis, c’est donc en petit groupe, loin de la parenté, que Karine passe cette période de l’année. « Je crois que ça attriste encore mon père, mais il semble avoir compris. On compense en se voyant seuls lui et moi, ou avec mes deux sœurs lorsqu’elles le peuvent. Mais je suis soulagée que les siens ne soient plus dans ma vie. Au bout du compte, je me suis choisie. »

L’histoire de Karine illustre bien la pression que beaucoup s’imposent pendant le temps des Fêtes. Les exemples d’accrochages ne font pas figure d’exceptions, selon Chiara Piazzesi, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Et la pandémie, avec la détresse qu’elle a engendrée et les sujets de discorde qu’elle a fait germer, ne risque pas d’adoucir les angles.

« Il faut garder en tête qu’une famille, surtout lorsqu’on parle de la famille élargie, ce sont des gens qui n’ont parfois rien ou presque rien en commun. Dans certains cas, on les voit par obligation ou pour faire plaisir à une grand-mère ou à un parent », précise la sociologue.

Théâtre familial

Pendant le réveillon, la plupart des convives savent que parler d’argent, de politique ou de vaccination (bienvenue en 2021 !) n’est pas une bonne idée. À ces sujets explosifs, qui peuvent faire voler en éclats un souper de Noël en un rien de temps, s’en ajoutent d’autres, moins clairs.

Ce sont les non-dits, explique Geneviève Beaulieu-Pelletier, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. « Dans certaines familles, il y a parfois des conflits non résolus qui subsistent depuis plusieurs années, voire des générations, insiste-t-elle. On peut penser à des secrets de famille, mais aussi à des petits riens qu’on aurait ravalés depuis longtemps. » Deux sœurs toujours mises en compétition par leur mère, par exemple, ou le nombre de cadeaux reçus lorsqu’on était enfant. « C’est l’accumulation, la récurrence et le silence qui rendent les efforts de communication complexes au fil du temps et qui peuvent, parfois, faire sauter le couvercle de la marmite », dit la psychologue.

Dans bien des cas, la chicane du moment n’est pas très grave : on s’obstine sur le résultat des plus récentes élections ou sur la pertinence des finalistes de telle téléréalité. En revanche, la situation risque de prendre une autre tournure lorsque de vieux ressentiments font surface. « Un détail anodin prend alors des proportions démesurées. Ça commence par une niaiserie, comme l’ingrédient secret de la recette de grand-maman, et ça finit par “tu n’as jamais été là pour moi” ou “on sait bien, toi, tu as toujours été comme ça”. Ce sont les non-dits qui parlent », renchérit la psychologue et essayiste Rachida Azdouz.

À cela s’ajoute le fait qu’être en famille vient souvent avec une série de codes dont on perd le fil avec le temps, estime la chercheuse associée à l’Université de Montréal. « La famille, c’est un peu comme une microsociété, dit-elle. On y trouve des lignes de conduite, et tout le monde n’est pas nécessairement sur la même longueur d’onde. »

En outre, ça vient avec des rôles ! On peut penser ici à la médiatrice, à la rebelle, au bourreau, au bouc émissaire, etc. Souvent attribués très tôt dans la vie, ces derniers ne sortent pas de nulle part. Ils prennent souvent racine dans des traits de caractère ou dans des façons de se comporter en groupe. Ainsi, la petite dernière qui aimait jouer à la poupée peut, une fois adulte, être encore perçue comme celle qui s’occupe toujours des autres.

Le problème, c’est que ces fonctions dictent ensuite les interactions sociales entre les membres d’une famille. « Elles ont des répercussions sur la manière dont on s’adresse aux autres et, surtout, sur la façon dont on est reçu. Ça donne l’impression aux autres qu’ils peuvent prédire nos réactions », explique Rachida Azdouz.

En cas de stress ou d’inconfort, la psychologue suggère de nommer le rôle qu’on souhaite désormais jouer. « C’est possible de dire : j’ai changé, je ne suis plus la petite fille que j’étais, voici qui je suis aujourd’hui. » Selon elle, on pourrait aussi modifier ses comportements. Par exemple, cesser de se proposer pour recevoir la parenté, même si on est celle qui l’a fait pendant des années.

Conflits en héritage

Noël 2020 restera marqué à jamais dans l’esprit d’Élodie Bouchard, 31 ans. L’an dernier, ses sœurs et elle se sont vivement disputées avec leurs parents quelques jours avant le réveillon. « Il y avait toujours eu certaines tensions chez nous, mais là, j’ai appris des choses qu’on m’avait cachées toute ma vie : sur la relation de mes parents, sur ma naissance… J’ai eu besoin de recul, de prendre un peu de temps pour encaisser le tout. »

Devant cette requête, la situation s’est envenimée. « Nos parents ont fini par nous dire que nous avions toujours été ceci et cela. Ça a complètement dégénéré… comme si tous nos conflits familiaux, les grands comme les petits, étaient ressortis en une seule fois. »

Pour éviter que de vieux conflits émergent, il est bon de garder en tête que les facteurs de stress – détonateurs par excellence des disputes – sont souvent exacerbés entre Noël et le jour de l’An. Car aux pressions familiales s’ajoute l’intensité propre à cette période : on dort peu, on enchaîne les partys, on consomme plus d’alcool qu’à l’habitude, on magasine les cadeaux, on décore la maison… Et c’est encore pire quand on reçoit.

Cette frénésie est ancrée dans les traditions du temps des Fêtes, selon Sylvie Blais, historienne de l’art et coautrice de La fête de Noël au Québec (Éditions de l’Homme). « Il y a quelque chose de plus grand que les individus là-dedans, dit-elle. Collectivement, on idéalise ce temps de l’année, on veut que tout soit parfait. Or, ce n’est pas toujours possible, et cette rupture entre les attentes et la réalité peut, elle aussi, mener à des tensions. »

Charge féminine

Il faut dire que Noël et le jour de l’An ont toujours été associés à la famille. Cela s’illustre par les grandes tablées, par les dizaines de kilomètres parcourus pour retrouver la parenté ou par la ribambelle de soupers que l’on s’impose.

Dans le même sens, la culture populaire et médiatique, avec ses publicités nostalgiques et ses films de Noël dégoulinants de bons sentiments, renforce l’idée que cette période doit être une source de grand bonheur et de joie partagée. « Or, dans les faits, au-delà des festivités et des souvenirs d’enfance, Noël est devenu un moment assez stressant », lâche Sylvie Blais.

Ajoutons à cela que les retrouvailles de fin d’année reposent beaucoup sur les épaules des femmes. « Historiquement, ce sont les mères qui ont veillé au maintien des relations filiales et à la transmission des traditions. Comme la famille a longtemps été leur sphère, elles se retrouvent un peu à être les gardiennes de ces savoirs », rappelle l’historienne.

La sociologue Chiara Piazzesi partage son avis. « À cause de notre héritage patriarcal, on a tendance, comme société, à mandater davantage les femmes pour maintenir les liens familiaux. Ce sont elles qui invitent, reçoivent et cuisinent. Souvent, elles jouent les médiatrices et tempèrent les hostilités lorsque des conflits se pointent ! » précise-t-elle.

Mais attention de ne pas tomber dans les stéréotypes, prévient Rachida Azdouz. « C’est vrai que les femmes portent encore une grande partie de la charge mentale, en particulier lorsqu’on parle de la famille et de la continuité des liens filiaux. En revanche, on remarque que les idées changent progressivement. C’est plus clair dans certains milieux, mais elles évoluent. » Cela peut se traduire par un plus grand engagement des pères auprès de leurs enfants. Ou, tout simplement, par la présence des hommes aux fourneaux.

Pistes de solution

Comment se dépêtrer de cette charge mentale ? D’abord, en nommant la pression ressentie. Peut-être même en demandant de l’aide dans l’organisation des rassemblements. « L’idée est de désamorcer les points de tension le plus rapidement possible. Le fait d’en parler constitue un premier pas et permet d’éviter l’accumulation de la frustration, d’éliminer d’emblée les non-dits », dit la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier.

Selon Rachida Azdouz, rien n’est pire que de laisser un conflit s’envenimer ou d’essayer de l’enterrer… « Ça finit toujours par exploser à un moment ou à un autre. Et la plupart du temps, ce n’est pas dans des circonstances propices à une quelconque réconciliation », avance la psychologue et essayiste qui vient de publier Panser le passé, penser l’avenir – Racisme et antiracismes (Édito).

Idéalement, on entame ce genre de démarche quelques semaines en amont du réveillon, voire quelques mois avant, si c’est possible. « Je suis d’avis que tout se dit, insiste-t-elle. L’idée est de ne pas attendre le dessert et de ne pas attendre la réunion de famille tout court. Ce n’est pas nécessaire d’avoir des témoins. »

Mais doit-on maintenir des relations qui nous mettent mal à l’aise ? Pas du tout, selon les expertes. D’autant que, si la pandémie nous a appris une leçon, c’est qu’on est bien capable de passer Noël sans ses proches…

« Ça n’a pas été facile pour tout le monde, bien au contraire, mais pour certains, ça a vraiment été un soulagement, dit Geneviève Beaulieu-Pelletier. Si c’est votre cas, peut-être est-il temps d’agir en conséquence ? Après tout, malgré les traditions, Noël, ce n’est qu’une journée comme les autres. »


Cet article est paru dans notre numéro de novembre/décembre.
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