Société

Relations mère-fils : une complicité à redéfinir

Les liens unissant les mères à leurs garçons sont aujourd’hui bousculés par une nouvelle génération de féministes. Leur objectif ? Faire des hommes de demain de meilleurs alliés.

Tant que son fils Logan a fréquenté la garderie, Vanessa Giguère s’efforçait d’élever son fils et sa fille de la même manière. «Pour moi, la base, c’était de m’assurer que je leur donnais à tous deux une éducation propre à en faire des humains sensibles et gentils», lance-t-elle avec un sourire.

Pourtant, l’an dernier, le passage du petit garçon à l’école l’a obligée à réévaluer sa façon d’être mère. «Je ne saurais pas vous dire ce qui s’est passé, mais à mesure que les enfants grandissent, on se rend compte que, bien malgré nous, ils adoptent des comportements, des façons d’aborder le monde qui nous dépassent», explique-t-elle. Vanessa a alors senti que quelque chose lui échappait. «Même si la personnalité des enfants entre en ligne de compte, les parents ont à faire des efforts pour déconstruire les stéréotypes qui existent partout.»

Rencontrée dans un café montréalais, la jeune femme de 33 ans pose un regard lucide sur son rôle de mère et sur la manière dont son bagage féministe influe sur sa relation avec son fils. «Pendant plusieurs années, j’ai considéré que mon féminisme devait se traduire justement par cette absence de différences dans mon approche éducative, en proposant, par exemple, les mêmes jeux à mes deux enfants ou en veillant à ce que l’un et l’autre s’impliquent dans la maison», dit-elle, les yeux brillants derrière sa frange coupée carré.

Aujourd’hui, Vanessa se rend compte que, au contraire, ces mêmes convictions la poussent à insister davantage sur certains sujets avec lui. « Ce peut être le fait de passer des commentaires sur l’apparence des autres. C’est comme si je sentais que j’ai une responsabilité supplémentaire vis-à-vis du monde quand j’élève mon garçon.»

Cette prise de conscience a également changé sa relation avec son plus jeune. «Au final, je pense que ça nous rapproche, parce que je dois faire un effort plus grand pour comprendre comment il appréhende le monde maintenant et comment cela pourrait teinter l’homme qu’il deviendra. Tout ça est empreint d’un amour profond!» s’exclame-t-elle.

Des mythes contestables

De tout temps, les représentations populaires des relations mère-fils ont été très différentes de celles des relations mère-fille, qu’on conçoit nourries par une grande complicité ou, à l’opposé, marquées par une étrange forme de jalousie.

Entre les mères et leurs fils, on imagine plutôt volontiers des liens d’amour fusionnels, voire étouffants. Tirée de la mythologie grecque, puis reprise par celle des Romains, cette image de la mère qui protège et couve son garçon avec dévotion jusqu’à l’âge adulte a d’ailleurs trouvé écho dans la psychanalyse freudienne (voir l’encadré, à la fin).

Au fil des décennies, cette représentation a été quasi sanctifiée dans nombre d’œuvres littéraires, dramatiques et cinématographiques.

«On entretient ce mythe de la mère amoureuse de son fils, avec les torts et les travers destructeurs que cela implique», décrit Fanny Britt, dramaturge et autrice féministe des percutants essais sur la maternité Les tranchées (2013) et Les retranchées (2019), publiés aux éditions Atelier 10.

Elle-même mère de deux garçons de 10 et 18 ans, Fanny Britt a parfois l’impression que ces idées reçues, mille fois entendues, rassurent les mères. «Mais ces modèles, pour ne pas dire ces clichés, sont peu compatibles avec toutes les nuances qui sous-tendent vraiment ces relations.»

Louise Cossette, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), abonde aussi dans ce sens. Depuis des décennies, l’image des relations maternelles qu’on propage est réductrice. «Qu’on les dépeigne comme étant fusionnelles ou castratrices, on a tendance en fin de compte à toutes les mettre dans la même boîte. En limite-t-on la teneur pour avoir l’impression de mieux les comprendre? Peut-être…» Or, rappelle-t-elle, il s’agit de «relations humaines: elles sont donc complexes par définition et il n’en existe pas deux pareilles!»

Doit-on élever de façon différente nos filles et nos garçons ? Pas forcément…
(Photo: iStock.com/imgorthand)

Au-delà des clichés

Pas étonnant que la science, toutes disciplines confondues, ait autant de mal à définir cette filiation particulière: les plus récents articles scientifiques à ce sujet datent d’au moins 20 ans, note Louise Cossette, également chercheuse au Réseau québécois en études féministes. «Et déjà, à ce moment-là, on ne pouvait que constater qu’il n’y avait pas vraiment de données à analyser. La littérature scientifique se concentre plutôt sur les relations mère-enfant, ou tout simplement parent-enfant», fait-elle valoir.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de différences de fond entre les relations qu’entretient une mère avec son fils et celles qu’elle établit avec sa fille. Ces distinctions sont avant tout d’ordre social et non psychologique ou biologique, juge l’autrice Fanny Britt.

«Les mères se font dire très tôt qu’elles ne devraient pas agir de la même manière avec leurs garçons et leurs filles, souligne-t-elle avec une pointe d’agacement. Qu’avec le sexe de l’enfant vient une certaine attitude à adopter ; que les garçons sont plus turbulents et que c’est plus simple – plus doux! – d’élever des filles. Pourtant, quand les enfants arrivent, on se rend bien compte qu’ils sont des individus à part entière. Et qu’ils ne répondent pas forcément à tout ce qu’attend d’eux la société.»

Jointe au téléphone entre deux séances de création théâtrale, Fanny Britt analyse les multiples stéréotypes auxquels elle s’est heurtée lorsqu’elle est devenue mère. «Quand on attend un garçon, on se fait dire à quel point ça va être difficile. Qu’un gars, ça déplace de l’air, c’est bruyant, ça fait des dégâts. Qu’on va passer toutes ses fins de semaine dans des arénas. Alors, imaginez quand vous en avez plusieurs!»

Un paradoxe 

On dit aussi aux futures mères que les garçons sont moins compliqués, que leurs émotions ne sont pas difficiles à comprendre. «Mais qu’est-ce qu’on fait quand on a un ou des garçons qui ne correspondent pas à ces images de la masculinité?» s’exclame-t-elle.

Quand on pose la question du rapport de son fils à ces modèles, Marjorie Champagne, qui travaille dans les médias, éclate de rire. «Philémon est tellement loin du “gars typique”! lance-t-elle, fière. C’est un grand sensible avec le cœur sur la main, plus artiste que sportif. Est-ce que ça vient de moi? Peut-être un peu… Mais je pense surtout que son père et moi avons laissé sa personnalité s’exprimer. Nous lui avons donné l’espace nécessaire pour qu’il découvre quel genre de garçon il est.»

Quinze ans plus tard, cette liberté d’être semble avoir porté ses fruits. «Ma mère et moi avons toujours été proches, dit l’adolescent, un sourire dans la voix. Je suis proche de mon père aussi, mais comme ils sont séparés depuis que je suis tout petit, c’est différent. Avec ma mère, j’ai toujours eu l’impression que je pouvais être complètement qui je veux.»

Fille ou garçon, les liens entre les enfants et leur mère tiennent donc davantage de la personnalité que du genre.

«Je m’entends bien avec mes deux parents, mais j’ai un lien particulier avec ma mère», relate Dominique Poirier, 25 ans, qui, depuis deux ans, agit comme bras droit de sa mère entrepreneuse, Danielle Gélinas. Celle-ci a fondé la Boutique 5e Avenue, située rue Laurier Ouest, à Montréal, où l’on propose une mode contemporaine depuis maintenant 30 ans. «Je me reconnais en elle, dit-il. C’est une gestionnaire qui a une tête forte et qui sait ce qu’elle veut et ce qu’elle vaut. On se ressemble.»

Assis côte à côte dans un restaurant à un jet de pierre de la boutique, la mère et le fils se racontent sans réserve, livrant tour à tour leurs impressions sur les liens familiaux et professionnels qui les unissent.

«La clé de notre relation, c’est la communication, soutient le jeune homme, sous le regard entendu de sa mère. Chez nous, l’heure du souper a toujours été un moment privilégié pour échanger librement sur tout, sans censure.» Des discussions franches et ouvertes au cours desquelles le féminisme de Danielle – même si elle n’aime pas le terme – s’est transmis à ses fils.

«Leur père et moi avons offert à Dominique et à son frère un modèle où les deux partenaires sont égaux et se respectent mutuellement, insiste-t-elle en replaçant la délicate écharpe posée sur ses épaules. Je pense que c’est le plus important quand on élève des enfants.»

Un devoir féministe?

La question des modèles est fondamentale, selon Louise Cossette, de l’UQAM. Sur ce front, il est encourageant de les voir changer, même si cette évolution ne concerne que certaines sphères de la société.

«On sent qu’il y a une nouvelle sensibilité par rapport aux enjeux d’égalité, particulièrement dans les milieux plus éduqués, souligne la chercheuse. Ce n’est pas partout, ce n’est pas tout le monde… Mais les discussions collectives des dernières années – charge mentale, violences sexuelles subies par les femmes ou effets pervers de la masculinité toxique, etc. – ont ouvert une brèche.» Cette perspective implique un nouveau devoir féministe: celui de faire des hommes de demain de meilleurs alliés. Les mères le sentent bien.

Même Fanny Britt dit avoir moins ressenti cette pression à la naissance de son aîné qu’en ce moment. «Depuis quelques années, j’ai l’impression que le monde bascule. Comme mère de garçons, j’ai une responsabilité accrue envers la société, mais aussi envers eux. On doit faire éclater le carcan de la masculinité étroite dans laquelle on a longtemps emprisonné les hommes!» lance-t-elle.

Un renouveau bienvenu

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire? Ne pas avoir peur de dénoncer les stéréotypes toxiques, comme ceux qui supposent que les hommes ne peuvent pas pleurer ou que les femmes sont meilleures pour s’occuper des enfants.

Les modèles offerts aux garçons doivent aussi se diversifier, croit Fanny Britt. Un exemple : le père de son plus jeune est très tactile dans ses marques d’affection et il n’a pas peur de montrer à ses proches qu’il les aime. «On ne s’en sortira pas: il faut leur enseigner qu’il y a plus d’une façon d’être un homme, que la sensibilité et la vulnérabilité ne sont pas en contradiction avec la masculinité. Les mères doivent leur inculquer cette idée, et les pères aussi», lâche-t-elle.

Chez Vanessa Giguère, les discussions familiales ont ainsi pris une nouvelle tangente au cours de la dernière année. «Mon conjoint et moi nous sommes rendu compte qu’il était temps de passer de la parole aux actes. Alors, oui, on continue de parler de la charge mentale, mais mon chum essaie aussi maintenant de prendre les rendez-vous chez le médecin ou de prévoir les menus de la semaine. On travaille pour qu’il s’implique davantage dans toutes les sphères de notre vie quotidienne.»

Une belle façon de prêcher par l’exemple. «En leur montrant que leur père et moi sommes des alliés, ils en deviendront à leur tour», conclut-elle.

Le complexe d’Œdipe déboulonné

Désignant une étape cruciale dans le développement de l’identité sexuelle de l’enfant, le complexe d’Œdipe n’a jamais fait l’unanimité auprès des psychologues et autres experts de la petite enfance. Ce concept central de la psychanalyse, élaboré par Sigmund Freud à la fin du 19e siècle, se manifesterait par une passion de l’enfant pour son parent de sexe opposé entre l’âge de trois et six ans. «Cette approche est très réductrice des filiations familiales, dit Louise Cossette, professeure de psychologie à l’UQAM. Elle constitue une façon assez sexiste de voir le monde qui nous entoure, qui reflète en quelque sorte l’époque à laquelle le concept est né.» Alors, il serait temps de passer à autre chose.

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