Reportages

Des familles heureuses

À quoi ressemble une famille heureuse? À tout! Rencontres avec des gens qui ont choisi le bonheur.

Des liens à toute épreuve : Les Millette

Chaque jour, Benoit Millette quitte le travail à 16h30 pour aller chercher Anabelle, 11 ans, et Pierre-Luc, 6 ans. «Je fais la même chose que la majorité des parents séparés!» plaisante-t-il. Sauf que ses enfants ne sont pas en garde partagée. Ils ont perdu leur maman.

La pitié? Très peu pour lui. «Je suis veuf, et alors? Je poursuis mon cheminement.»

Le bonheur, il l’a connu avec Isabelle durant leurs 10 années de mariage. Ensemble, ils avaient construit leur univers avec les enfants, la maison de banlieue, l’école à deux pas, le camping en compagnie des voisins…

Jusqu’en 2007 quand, pour la première fois, le couple s’est envolé vers le Sud. «Une semaine en République dominicaine. C’était notre cadeau de Saint-Valentin.» Trois jours après leur arrivée, Isabelle éprouve un malaise. Pendant l’excursion au mont Isabel de Torres, face à Puerto Plata, elle paraît un peu fatiguée. Le soir, à table, elle agrippe le bras de son mari. «Je ne me sens pas bien.» Elle s’effondre : infarctus du myocarde. Elle a 37 ans.

Le lendemain, Benoit est rapatrié d’urgence à Montréal. Il tient à peine sur ses jambes.

Quand elle le voit arriver à l’école plus tôt que prévu, sa fille s’inquiète : «Où est maman?» Le papa essaie de trouver les mots : «Elle est restée là-bas, au mont Isabel…» Anabelle sent que quelque chose ne tourne pas rond. Elle a alors six ans et Pierre-Luc, même pas deux ans.

«Je n’avais plus envie de rien, mais je ne pouvais pas passer mon temps à brailler. Je me suis donné un gros coup de pied», dit Benoit sur un ton déterminé.

Sa mère s’installe chez lui le temps qu’il règle les funérailles, le notaire, la succession. Il devra apprendre à s’occuper seul de ses petits, leur faire à manger, les conduire à la garderie, à l’école. Devenir le père et la mère. Les trois années suivantes, Benoit va recoller les morceaux de sa vie, un peu en retrait.

Il se lance à corps perdu – et à son compte – dans le travail. Son entreprise d’entretien lui laisse la latitude voulue pour organiser ses horaires et être auprès des siens.

Récemment, il a quitté la banlieue nord de Montréal pour sa banlieue sud, question de se rapprocher de ses parents. Aux murs de sa nouvelle maison, des toiles d’Isabelle. Les photos de famille, il les a mises dans la chambre des jeunes. «Je veux qu’ils se souviennent d’elle, pas qu’ils vivent dans le passé.»

Bien sûr, la douleur est encore intense, mais Benoit ne veut pas s’y complaire. «Ça fait cinq ans maintenant. La vie continue. Je veux construire mon bonheur.» Et cela passe par plein de gestes au quotidien. Comme prendre davantage soin de lui, se permettre des petites gâteries, s’amuser avec Anabelle et Pierre-Luc – aller glisser, patiner, faire de la motoneige, regarder des films, se lever tard… L’après-midi de notre rencontre, il avait rendez-vous pour une séance de réflexologie. Et au moment où vous lisez ces lignes, en pleine semaine de relâche, il est sous le soleil du Costa Rica avec enfants et parents. «Je n’ai pas assez profité de la vie du temps d’Isabelle, regrette-t-il. Aujourd’hui, je n’attends plus.» Benoit veut aider sa fille et son garçon à «grandir le plus sainement possible», leur apprendre à ne pas avoir peur, à apprécier ce qu’ils ont. Même s’il y a place à amélioration.

Côté cœur, il recherche une complicité comme celle qu’il a connue. Et demeure convaincu de la trouver un jour. «Ce n’est jamais tout noir, dit-il. Mélange du rouge, de l’orange, du jaune, du vert, du violet : ça va donner un arc-en-ciel de couleurs. C’est ça, le bonheur.»

(Texte par Mylène Tremblay)

Les gens heureux ont une histoire : Les Beaumier-Boulanger

L’histoire de Mario et Marie-Andrée a pour décor le Première Moisson du populaire marché Jean-Talon. «J’étais cliente, raconte Marie-Andrée Beaumier. Je voyais souvent Mario, qui était gérant à l’époque.» Lui aussi avait remarqué cette jolie femme friande de pain (ce qui tombe bien, parce que le jeune homme s’appelle Boulanger). Puis un jour de 1998, elle a fait les premiers pas : «J’ai remis un petit mot à une employée pour qu’elle le lui donne.» Treize années plus tard, Mario Boulanger est devenu proprio de la boulangerie et fier papa de Camille et Lucas.

La famille habite la banlieue montréalaise, à Mascouche, possède une piscine, un chien (Poco) mais pas d’abri Tempo («Ce matin, j’aurais bien aimé en avoir un», glisse Marie-Andrée). La jeune femme est homéopathe et accompagnante à la naissance et son bureau se trouve à 10 minutes de la maison. «J’organise mon horaire pour être là quand les enfants reviennent de l’école, quand ils font leurs devoirs. Nous avons choisi d’avoir une qualité de vie – ce que toutes les familles n’ont pas.»

Camille et Lucas, plus sages que des images, écoutent les adultes, répondent posément aux questions.

«Trouvez-vous que votre famille est heureuse?»

«Oui!» répondent-ils tous les deux en chœur.

Lucas : «On s’aime, on n’est pas toujours en chicane.»

Camille : «On a une belle maison, on est au chaud, on est bien nourris, on s’aime.»

«Avez-vous peur de voir vos parents se séparer?»

Camille : «Non, on sait qu’ils vont rester ensemble. Ça paraît qu’ils s’aiment, ils se regardent en amoureux.» Maman rit, papa, lui, est ému.

«L’argent, c’est important pour être heureux?» Marie-Andrée prend la parole : «Bien sûr, on est plus à l’aise qu’il y a 10 ans. Oui, on vit dans une société de consommation, mais on n’est pas des acheteurs de bébelles. Les enfants n’ont ni iPad, ni iPod, ni ordinateur. On a résisté le plus longtemps possible à la Wii parce que, quand on commence, ça ne finit plus. Mais on n’a pas 15 000 jeux vidéo.»

Mario ajoute, en regardant ses enfants, qui approuvent : «C’est important de les laisser développer leur imaginaire.» Et leur sens des responsabilités, aussi.

«Moi, dit Camille, je remplis le lave-vaisselle, je fais mon lit.

– Moi, dit Lucas, je sors les poubelles.

– Et on garde l’argent que nos parents nous donnent quand on les aide», poursuit Camille.

Mario, sourire en coin, réclame une copie de l’enregistrement.

Camille et Lucas, soudain affamés, s’éloignent pour avaler un sandwich. «Nous sommes privilégiés et nous le savons, dit Marie-Andrée. Nous avons deux premiers de classe qui aiment l’école…» Mario complète : «On est conscients aussi de la fragilité de tout ça. Les enfants nous voient heureux dans notre travail. Ce serait ça, le plus bel héritage : qu’ils soient capables de faire des choix et de choisir d’être bien. Ça paraît simple, mais c’est ce qu’on a fait. On a choisi d’être heureux.»

Le lendemain de l’entrevue, Marie-Andrée précise par courriel : «J’ai oublié de parler d’une chose que l’on fait souvent en famille : rire. Ça paraît banal, mais c’est un des ingrédients qui font que nous sommes bien ensemble. Dans la famille de Mario, ça rit beaucoup. C’était moins présent chez moi. J’ai appris avec Mario. Nos enfants sont comme nous et ils sourient beaucoup. Un sourire peut faire tellement de bien dans une journée…»

(Texte par Jean-Yves Girard)

La joie des petites choses : Les Audet-Boutin

Une gaieté de gamine. Voilà ce qu’on remarque tout de suite. Marie-Claude rit beaucoup. Même confinée à la maison à Saint-Jean-sur-Richelieu avec Édouard, qui, comme elle, se remet d’une gastro. «On a attrapé ça à l’hôpital», dit-elle au téléphone, en s’esclaffant bien sûr. L’hôpital est presque un deuxième chez-soi pour le garçon de trois ans et demi. À un an, il a subi une opération au crâne pour corriger sa trigonocéphalie. «Il est né avec une tête pointue. Son père et moi, on le trouvait cute, mais le pédiatre n’était pas de cet avis.» L’intervention a duré huit heures. «Au lieu de rester dans la salle d’attente de Sainte-Justine à nous ronger les ongles, on est allés magasiner. On a dépensé, on a déconné… Je pleurais dans la salle d’essayage… La vendeuse nous a fait de bons prix.»

Le bobo au coco réglé, restait le vrai casse-tête qui souvent vient avec la trigonocéphalie : apprendre à vivre avec un enfant atteint du rarissime syndrome Opitz-C. «Édouard est venu au monde comme un ordinateur vide, sans logiciel, dit Marie-Claude. Ce qu’un autre enfant fait naturellement, lui doit se le faire enseigner encore et encore. Il se déplace à quatre pattes, mais pas de lui-même. Je dois l’attirer vers moi. C’est beaucoup d’énergie.» Ce syndrome n’est pas dégénératif : Édouard s’améliore de jour en jour, mais il pourrait atteindre un plateau et donc cesser d’apprendre. Il ne parle pas non plus, mais il émet des sons, que Marie-Claude réussit souvent, pas toujours, à décoder. «Il dit “Guy”, sauf qu’on ne connaît personne de ce nom. Mon conjoint s’appelle Fred, alors, à la blague, j’insinue que ça pourrait être mon amant. Car comme il part souvent en voyage d’affaires (il est représentant en librairie), je suis la plupart du temps toute seule avec Édouard.»

Marie-Claude l’avoue sans fausse honte : les premiers mois n’ont pas été drôles. «Il faut du temps pour accepter un enfant comme Édouard. Au début, on est en colère : pourquoi lui, pourquoi nous? Est-ce qu’on devrait le donner? Et si je me jetais par la fenêtre…» Un jour, une amie lui suggère «fortement» de créer un blogue. «J’ai une maîtrise en écriture et j’écrivais des nouvelles. Je me voyais bien écrire un livre, mais je levais le nez sur ce genre.» Pourtant, Marie-Claude a suivi le conseil. Et, depuis le 16 novembre 2009, elle nourrit d’une plume alerte et pleine d’humour (sous un pseudo) un blogue dans lequel elle ne se censure absolument pas. «Écrire m’a remise à flot, m’a sortie d’un certain marasme.»

La jeune femme aimerait préparer, à l’intention des parents d’enfants «différents», un guide qui indiquerait à qui s’adresser, combien de fois il faut téléphoner pour obtenir une réponse. «On doit se battre dans ce milieu», soupire-t-elle. En attendant, on vient de la sélectionner pour participer à Lettre à mon enfant (Éditions De Mortagne), un recueil de textes de 50 vedettes et de 50 personnes du public qui paraîtra l’automne prochain. «Sans Édouard, ce ne serait jamais arrivé.»

Elle se dit heureuse, «beaucoup plus qu’avant», quand elle était animatrice en bandes dessinées dans les écoles. «Mon enfant, c’est mon plus beau boulot. C’est gratifiant. Je n’ai pas de mercis, mais des câlins. Il est affectueux ça ne se dit pas!» Le bonheur, ajoute Marie-Claude, «c’est rien, ça n’existe pas, c’est un concept; si on ne sait pas apprécier les petites choses, on ne saura pas apprécier les grandes. Quand Édouard me regarde et me donne son toutou tout mâchouillé, ça m’émerveille! Lui, il n’a pas d’attentes, il veut juste être bien.»

Son fils émet un son étrange. «C’est son rire. À chaque nouveau son qu’il fait, je deviens folle de joie. “Édouard, tu ris encore? T’es ben mignon!”» Elle rit, bien sûr.

(Texte par Jean-Yves Girard)

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