Société

Yémen : Non aux mariages précoces

Près de la moitié des fillettes yéménites sont mariées de force. Mais depuis le divorce de la petite Nojoud Ali, il y a deux ans, la résistance s’organise.

Nous sommes des enfants, nous voulons jouer et étudier ! » On n’avait jamais vu cela. Fin mars, des centaines de femmes manifestaient, pancartes au poing, devant le parlement de Sanaa, la capitale du Yémen. Bravant les milieux traditionalistes et religieux, elles exprimaient leur opposition au mariage des fillettes. En 2004, Oxfam estimait que la moitié des paysannes et 40 % des citadines étaient mariées avant l’âge de 17 ans.

Parmi la foule bigarrée, des professeurs et leurs étudiants, des parents, des militants des droits de la personne, hommes et femmes. Et aussi la jeune Nojoud Ali, 12 ans, qui, en obtenant son divorce il y a deux ans (à 10 ans à peine), a réussi à briser ce tabou dans la péninsule arabique. S’inspirant de son histoire, d’autres épouses-enfants ont affronté la rigidité de la société yéménite et réclamé, à leur tour, le divorce. À ce jour, trois d’entre elles l’ont obtenu.

« C’est dur d’être une femme ici ! » affirme Chadha Nasser, avocate de Nojoud Ali et spécialiste du droit des femmes, rencontrée dans l’enceinte du tribunal à Sanaa. À 40 ans, elle est l’une des rares avocates dans cette contrée aride où les hommes gouvernent en maîtres. Oubliez le règne légendaire de la reine de Saba, symbole de courage et de force ! Le Yémen s’est depuis longtemps replié sur un système tribal et patriarcal régi par la charia (loi islamique) et cadenassé par une dictature qui sévit depuis plus de 30 ans.

« Nojoud a réveillé la société yéménite », déclare l’avocate coiffée d’un simple hijab qui tranche avec le voile intégral (niqab) de la majorité de ses compatriotes. Partout dans le pays, les associations travaillant pour les droits des femmes se multiplient et une vaste campagne de sensibilisation s’organise. Selon elle, le problème le plus sérieux, c’est que les femmes ignorent leurs droits. « C’est comme si elles n’étaient nées que pour devenir des épouses ! » lance-t-elle avec dépit. Seule une minorité accède à l’éducation et au travail. Dans certains villages, l’analphabétisme atteint les 70 %…

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Des nouvelles de Nojoud, jeune divorcée

Son témoignage, retranscrit dans Moi, Nojoud, 10 ans, divorcée (publié aux éditions Michel Lafon par une collaboratrice de Châtelaine, la journaliste Delphine Minoui) a été traduit en 20 langues. Son histoire, qui a fait le tour du monde, a ébranlé la société yéménite et provoqué un mouvement de contestation national. D’autres petites filles ont suivi son exemple et trois d’entre elles ont obtenu le divorce. La jeune Yéménite a été consacrée « Femme de l’année » par le magazine américain Glamour en 2008.

Depuis la parution du livre, Nojoud a repris le chemin de l’école et bénéficie d’un suivi psychologique. Elle a réintégré sa famille, qui a déménagé dans une plus grande maison. Au rez-de-chaussée, son père et ses frères, qui étaient jusqu’à présent au chômage, gèrent désormais une petite épicerie.

Devenue symbole de la lutte contre le mariage juvénile, Nojoud participe aux manifestations en faveur d’une réforme de la loi. Grâce à l’argent récolté par la vente du livre, elle souhaite aussi créer un fonds de soutien pour les victimes de ces mariages, afin d’empêcher que d’autres « souffrent comme j’ai souffert », dit-elle.

Delphine Minoui publie régulièrement des nouvelles de Nojoud sur son blogue.

Lisez l’histoire de Nojoud Ali.

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Au cœur de la campagne actuelle, une loi – votée en février 2009 grâce au lobbying des associations féministes – qui aurait relevé l’âge minimal du mariage des filles de 15 à 17 ans. Cette loi prévoyait imposer une amende d’environ 500 $ aux parents qui dérogeraient à la règle. Mais elle a été « suspendue » par le Parlement après avoir été rejetée par une poignée de députés ultraconservateurs (10 sur 301). Ces derniers en exigent maintenant la révision par le comité constitutionnel, qui doit juger de sa conformité aux préceptes de l’islam.

De toute façon, même la loi originale qui fixait l’âge minimum à 15 ans n’était pas appliquée ! À preuve, toutes ces épouses de 9, 10, 11 ou 12 ans…

Mais pourquoi s’acharner à marier de si jeunes filles ? Les raisons varient selon les provinces : honneur de la famille, coutumes tribales, tradition religieuse qui s’appuie sur l’exemple du prophète Mahomet – qui épousa Aïsha quand elle avait neuf ans… Toutefois, c’est surtout la pauvreté qui incite les pères à se « débarrasser » de leurs filles dès que possible. Or, dans l’ancienne « Arabie heureuse » – c’est ainsi que les Grecs et les Romains de l’Antiquité appelaient le Yémen –, la pauvreté est endémique : plus de 45 % des 24 millions de Yéménites subsistent avec moins de 2 $ par jour, et un tiers d’entre eux souffrent de malnutrition, selon le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). « Dans les familles nombreuses, le mariage d’une fille signifie une bouche de moins à nourrir », conclut Yasser Moubarak, responsable du programme de sensibilisation aux dangers des mariages précoces à Oxfam.

Le cheik Mohammed al Hazmi est l’un des 10 députés opposés à la loi. Interrogé dans la mosquée Rahman, qu’il dirige à Sanaa, il dénonce ce « programme imposé par les Occidentaux ». Ce père de 11 enfants issus de trois unions estime que le mariage juvénile appartient à la culture yéménite. « Une jeune fille devient femme dès qu’elle a ses règles, explique-t-il. À partir de ce moment, c’est à son père de décider quand elle est prête psychologiquement à quitter la maison. On ne peut pas fixer d’âge minimum. » Et pourquoi pas ? Vaguement mal à l’aise, le cheik replace son turban blanc sur sa tête avant de répondre. « Parce qu’ici la sexualité avant le mariage est interdite. Alors, en attendant, comment freiner les pulsions sexuelles de la jeunesse ? »

Les organisations humanitaires n’ont pas la même opinion. Elles insistent plutôt sur les risques que courent les fillettes mariées de force. Au lycée Al Furhat, près du centre de Sanaa, une intervenante de la Democracy School, qui milite en faveur des droits des enfants, tente de sensibiliser une trentaine d’étudiantes de 16 à 18 ans – dont quatre sont déjà mariées – à ce problème. « Quels sont les risques de se marier trop jeune ? » demande?t?elle avec entrain. Les mains se lèvent. « Interruption de la scolarité ! » répond une étudiante. « Risque de mourir en couches en cas de grossesse prématurée ! » dit une autre. « Séquelles psychologiques ! » affirme une troisième. Toutes semblent désapprouver le mariage des très jeunes filles. « Malheureusement, dit l’animatrice, rares sont celles qui peuvent défendre ces principes à la maison… »

Le combat contre ce phénomène est loin d’être gagné – encore en avril, une Yéménite de 13 ans est morte d’une hémorragie peu après sa « nuit de noces ». Il se bute à une résistance féroce, souvent menée par les femmes elles-mêmes. Ainsi, plusieurs milliers de Yéménites voilées sont descendues dans la rue, à l’appel des milieux islamistes conservateurs, contre la hausse de l’âge minimal du mariage.

Mais déjà on enregistre ici et là des « petites victoires ». « Avant, dans les villages, on se faisait lancer des pierres ou on recevait des menaces tous les jours, déclare Yasser Moubarak, d’Oxfam. Aujourd’hui, nous avons le soutien de nombreux Yéménites de toutes les couches sociales et même de certains chefs religieux. » L’an dernier, des militants sont parvenus à interrompre un mariage forcé, au moment de la cérémonie, et à faire emprisonner le père et l’époux.

Témoignages

« Quand mon père m’a donnée en mariage à cet homme, je ne pouvais pas imaginer ce qui m’attendait. »

Sally, 12 ans, tremble en racontant son histoire. « J’ai dû partir au nord, loin de ma famille, dans la maison des parents de mon mari et là… Il s’est jeté sur moi. Je me débattais, mais il me frappait. C’est ainsi que j’ai perdu ma virginité. » Elle s’arrête, détourne le regard. « Je ne désire qu’une chose : divorcer. »

C’était en janvier dernier. Depuis ce temps, son combat a porté fruit. Le 27 mars, le tribunal de Sanaa a prononcé le divorce. La fillette est donc libre, grâce à son avocate et à des militants des droits de la personne. Jusqu’au bout, son mari lui a mené une vie infernale. Alors qu’il tente de la ramener de force au domicile conjugal, Sally se réfugie à un poste de police où elle porte plainte contre son mari et son père. Les deux hommes sont emprisonnés durant trois jours. Pendant ce temps, l’avocate Chadha Nasser saisit le tribunal. Le mari finit par accepter le divorce contre une compensation de 200 000 rials (1 000 $), soit, selon lui, l’équivalent de la dot et des dépenses qu’il a engagées. Or, le père de Sally n’est qu’un pauvre vendeur d’épices qui gagne trois dollars par jour. L’affaire est vite médiatisée et les associations se mobilisent. Deux donateurs (une Américaine et une fondation dédiée à la jeunesse) versent la somme : le divorce est enfin prononcé.

« Le Coran ne nous impose pas de nous marier si tôt. »

Perché sur les hauteurs des montagnes d’al-Mahwit, à 200 km de la capitale yéménite, le bourg de Hada domine les plaines arides. Le long de la route sinueuse, les femmes transportent des branchages sur leur tête, les enfants traînent de lourds seaux d’eau et les hommes, à dos d’âne, marchandent le qat – l’herbe euphorisante locale.

C’est ici qu’habite Elham, dont l’expérience est en train de révolutionner la mentalité des villageoises. À 15 ans, elle a été donnée à un homme qu’elle n’a jamais réussi à aimer. Désireuse d’obtenir le divorce, elle se bute au refus catégorique de son mari, ce qui l’empêche de refaire sa vie, tandis que lui ne s’est pas privé de prendre une deuxième épouse.

Par rébellion, Elham a décidé de devenir sage-femme et de sensibiliser les jeunes filles aux risques des mariages précoces. Âgée de 25 ans, elle porte bien son nom : Elham, en arabe, signifie « inspiration ».

« Le Coran ne nous impose pas de nous marier si tôt, explique-t-elle aux villageoises. Au contraire, cette tradition cause du tort, physiquement et psychologiquement. » Elle parle en connaissance de cause : elle a failli perdre une patiente de 14 ans qui ne pouvait accoucher naturellement. « Son corps était trop petit, son vagin, trop étroit… »

La charia (loi islamique) autorise même la femme à divorcer, ajoute Elham. À condition que celle-ci abandonne tous ses droits et rembourse la dot à son mari.

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