Psychologie

Dire merci, ça ne tue personne !

Rose-Marie Charest, notre psychologue préférée, propose ici 15 pistes de réflexion sur la gratitude. À lire et à méditer.

1. Qu’est-ce que la gratitude ?
Il y a deux composantes dans le processus de la gratitude. La première est l’évaluation. La personne qui reçoit se rend compte, reconnaît qu’on lui donne quelque chose. Elle le comprend. Et elle est capable d’évaluer ce qu’elle reçoit, de l’apprécier, parce qu’elle a au moins un point de comparaison lui permettant de voir la différence entre un cadeau, une attention particulière et un simple objet ou un geste quelconque. C’est une démarche fondée sur l’expérience. C’est pour cela que les parents enseignent tôt aux enfants non seulement à dire merci, mais à distinguer ce qui est dû de ce qui est donné, à reconnaître que quelque chose de gratuit leur est offert. Un cadeau.

La deuxième composante est affective. C’est la capacité de ressentir, de se mettre à la place de l’autre et de reconnaître ainsi ce qu’il a fait. C’est l’empathie. Cette qualité n’est pas donnée à tout le monde. Elle peut toutefois se développer avec le temps. C’est le cas des enfants qui mettent des années avant de comprendre, de reconnaître et d’apprécier ce que leurs parents ont fait pour eux.

2. Incapables de reconnaissance
Les personnes qui sont incapables d’empathie banalisent les cadeaux qu’on leur fait : « Bah ! c’est un objet qu’elle avait déjà dans ses tiroirs » ou « C’est facile pour lui, il a de l’argent »… Elles ne peuvent pas imaginer l’élan affectif, la générosité, l’esprit de don à l’origine du cadeau. Finalement, elles tiennent le cadeau pour acquis, n’en ressentent pas de réel plaisir ni, bien sûr, de gratitude. Un exemple ? Un enfant passe des heures à réaliser un bricolage de carton. Ce cadeau n’a pas de réelle valeur en lui-même, il n’a que celle de la reconnaissance de son destinataire. Si ce dernier sait se mettre à la place de l’enfant, il sera grandement touché par le cadeau. Mais s’il est incapable d’empathie, il ne verra que la pauvreté du matériau et la maladresse de l’exécution. Jamais l’amour qu’il représente.

D’où vient l’incapacité de certaines personnes à se mettre en état d’empathie ? Souvent de leur extrême sensibilité à la frustration, qui prend chez elles toute la place. Elles sont sans cesse sur la défensive. Aveuglées par leur souffrance, leurs manques, leurs rancœurs intimes, elles ne reconnaissent que ce qui est mauvais. Elles n’ont aucune prédisposition au bonheur. Elles ne voient pas ce qui leur est favorable. Jamais vous ne les entendrez dire : « Tiens, la vie a été bonne pour moi aujourd’hui. »

3. Pas facile de recevoir !
Il y a des gens qui n’acceptent un cadeau que de mauvaise grâce, en marmonnant à peine un merci. Des gens à qui on ne peut rien donner. Souvent, c’est qu’ils ressentent le cadeau ou le geste gentil des autres comme une dette. Cela devient un poids. Un stress. Ils refusent de recevoir parce qu’ils refusent d’être responsables. Impossible pour eux de se mettre en simple état de recevoir, donc de gratitude, puisqu’il leur est impossible de reconnaître ce que les autres font de bon envers eux. Ce n’est pas toujours, comme on pourrait le penser, parce qu’eux-mêmes sont incapables de donner. Au contraire, ce sont souvent des individus très généreux. On peut se rendre indispensable et ne jamais accepter d’être un poids pour les autres… C’est plutôt qu’ils souffrent d’une grande insécurité, ils craignent de ne pas en faire suffisamment en retour. Ils redoutent aussi d’être rejetés, abandonnés s’ils ne sont pas à la hauteur. Peut-être s’agit-il en plus de perfectionnistes, de ces personnes qui se diront : jamais je ne pourrai remettre autant et aussi bien que j’ai reçu. Quand on reçoit en pensant qu’il faut rendre dans la même mesure, on calcule tout le temps. Ce peut être très lourd. Alors on préfère ne pas recevoir du tout.

4. Quand recevoir est humiliant…
Admettre qu’on a besoin des autres ou que les autres peuvent faire quelque chose pour soi représente, pour certains, une expérience humiliante. Leur image d’eux-mêmes, leur confiance en soi portent sur le fait qu’ils n’ont besoin de personne. Ce sont souvent des gens qui n’ont pas pu prendre suffisamment appui sur les autres au cours de leur vie. Un jour, ils réagissent en décidant de ne plus compter que sur eux-mêmes désormais.

Quand on est généreux envers eux, c’est comme si on les plaçait dans l’obligation de reconnaître que, oui, quelqu’un peut leur apporter quelque chose. Alors on imagine bien qu’il leur est très difficile de dire merci, vraiment difficile de reconnaître l’apport des autres. Ce sont des personnes qui vont banaliser ce que vous avez fait pour elles, le critiquer, le nier ou encore s’empresser de vous rendre la pareille et même plus.

5. Un jeu de pouvoir
Il se trouve des gens qui donnent dans le seul but d’assurer leur pouvoir sur les autres. Ils se servent de la gratitude des autres. Ce sont ceux-là qui vous rappellent sans cesse ce qu’ils vous ont donné. Qui vous font comprendre que vous avez une dette envers eux. Qui exigent donc toujours quelque chose de vous. Pire, qui décident pour vous. Leur générosité est une façon détournée de vous dominer, de vous manipuler en vous forçant à une reconnaissance sans fin.

6. La rencontre de deux générosités
Quand on y pense bien, la gratitude, c’est la rencontre de deux générosités. La générosité de celui qui donne et la générosité de celui qui reconnaît le don. En effet, il faut être ouvert à l’autre pour apprécier son geste à sa pleine valeur.

7. La gratitude authentique
On connaît tous une personne qui vous dit toujours un merci gros comme le monde, même si vous n’avez fait qu’une toute petite chose pour elle. Qui saute de joie, s’exclame que vous êtes extraordinaire, vous embrasse pour un rien. Une telle expression de gratitude, excessive, finit par perdre de sa crédibilité. On se demande alors : mon Dieu, comment reconnaître ce qui lui ferait vraiment plaisir ? Ce genre de réaction tient de la flatterie. Il ne faut pas s’y laisser prendre. La gratitude authentique s’exprime simplement, sans excès ni calcul.


8. Un rapprochement
La gratitude constitue un rapprochement affectif. Une forme d’affection. En effet, être capable d’exprimer à quelqu’un ce que son geste nous a apporté, ce qu’il a remué en nous, c’est lui ouvrir notre cœur. C’est aussi lui dire qu’on l’a compris, accepté pleinement.

9. Des regrets
Ne pas avoir exprimé sa gratitude peut susciter d’amers regrets. On voit ça très souvent au décès d’un parent, surtout si le décès est arrivé brusquement. Les enfants vont dire : « Je n’ai pas eu le temps de lui dire merci, de lui dire que je l’aimais. » Nous croyons que notre désir le plus grand, dans les derniers moments d’un être cher, serait de vouloir résoudre les conflits entre lui et nous. En réalité, on voudrait plus que cela : avoir l’occasion de lui dire merci.

10. Donner à son tour
La gratitude peut s’exprimer autrement que par des mots et pas toujours directement. Par exemple, des gens rendent de grands services ou font de gros cadeaux aux proches d’une personne qui les a aidés et qu’ils n’ont pas pu remercier comme ils l’auraient voulu. Ce peut être le cas aussi de ceux qui s’investissent dans de grandes causes. « J’ai beaucoup reçu, disent-ils, alors je vais donner à mon tour. » Une façon de dire merci à la vie. Faire circuler le bonheur qu’on a reçu est un mouvement naturel, assez fréquent. Comme dans l’émission Donnez au suivant.

11. Au travail
Si on fait volontiers preuve de reconnaissance envers ses proches, on oublie parfois que la gratitude a aussi sa place au travail. Est-ce qu’on n’a pas tendance à tenir pour acquis ce que nos collègues, nos employés, voire nos patrons, font pour nous ? Or, il y a plusieurs façons de travailler. Et s’il y a des gens qui font tout juste ce qu’ils sont obligés de faire, d’autres en font spontanément un peu plus. Ils y mettent du cœur. Ils s’informent de la santé de votre petit dernier, vous offrent un coup de main, vous font un compliment, vous donnent leurs trucs, des conseils judicieux. Ce ne sont parfois que de petits gestes, mais ils peuvent avoir pour nous une grande valeur. Sachons les reconnaître et dire merci !

12. La gratitude citoyenne
Trop peu de citoyens s’intéressent à la politique. Et trop peu de jeunes ont envie d’y consacrer leur vie. C’est dire que nous ne reconnaissons pas beaucoup la valeur du travail de nos élus. Pourtant, si personne ne s’occupait de faire du service public, nous serions bien mal pris et la démocratie aussi. Méritent aussi notre reconnaissance tous ces bénévoles qui travaillent dans les milieux communautaires, ces simples citoyens qui se battent pour faire évoluer la loi, changer les mentalités, vaincre la misère. Après tout, toute la société profite de leur dévouement.

13. Un bonheur de plus
Oui, ça s’acquiert, l’attitude gratitude. La première chose à faire, c’est de se demander : « Qu’est-ce que j’ai, qu’est-ce que la vie m’a apporté ? » au lieu de : « Qu’est-ce qui me manque ? » Puis, sans nier les souffrances que la vie nous a imposées, reconnaître les dons qu’elle nous a faits. Comme c’est réjouissant, alors, de découvrir qu’on est plus riche qu’on ne le croyait et, par le fait même, que la gratitude est un plaisir de plus dans la vie !

14. L’apprentissage
Nous qui voulons rendre nos enfants heureux, nous ferions bien de les éduquer à la gratitude. Comment ? D’abord en leur apprenant (comme nos parents l’ont fait avec nous) à dire merci. Belle leçon de politesse, mais aussi de reconnaissance, c’est-à-dire de conscience.

Ensuite, en ne leur donnant pas tout. L’enfant qui a toujours vu ses parents laisser de côté leur propre vie pour s’occuper de lui ne voit là rien d’extraordinaire. Il ne peut pas apprécier ce dévouement. Comment, en effet, peut-il prendre conscience de ce qu’il reçoit s’il ne connaît jamais le manque ? S’il n’est pas en mesure de voir que ce qu’il a n’est pas gratuit, universel ou naturel comme l’air qu’il respire ?

15. La part du ciel
Il peut y avoir une dimension spirituelle à la gratitude. Le sentiment de reconnaissance envers la vie — ou la Vie – est un chant venu du cœur, une joie profonde, une forme de prière.

Or, la recherche a établi que les gens qui prient sont mieux dans leur peau ; cela ne prouve pas l’existence d’un dieu, mais le lien entre un état d’esprit comme la gratitude et le bien-être physique et psychologique. Si on ne sait pas reconnaître ce qu’on a, on sera toujours en manque. On aura toujours un sentiment de vide. Voilà une autre raison d’apprendre la reconnaissance aux enfants.

 

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