La première cause des kilos en trop, c’est notre rapport malsain avec la nourriture, affirme la nutritionniste québécoise Guylaine Guèvremont. Son ouvrage Mangez !, rédigé en collaboration avec la journaliste Marie-Claude Lortie, paraît ce mois-ci aux Éditions La Presse. Nous lui avons posé quelques questions.
Châtelaine : À ceux qui veulent perdre du poids, vous dites : « Mangez ce que vous voulez, quand vous le voulez. » On croit rêver !
Guylaine Guèvremont : Mes clients sont toujours surpris, en effet ! Cette façon d’aborder la perte de poids et le maintien d’un poids santé n’est pas nouvelle. Elle est préconisée en France par le docteur Jean-Philippe Zermati, et connue aux États-Unis sous le nom d’Intuitive Eating, l’alimentation intuitive. Elle est beaucoup plus efficace que les régimes amaigrissants classiques. Nous savons toutes que la grande majorité des personnes qui suivent ces régimes finissent par reprendre le poids perdu, et souvent davantage.
Les principes de base sont : manger quand on a faim ce qu’on a le goût de manger, et s’arrêter quand on n’a plus faim. Mais cela est moins simple qu’il n’y paraît, surtout pour les abonnés (des femmes en général) des régimes traditionnels.
Pourquoi est-ce si difficile de reconnaître les signaux de la faim ?
Dès la naissance, notre corps nous envoie des signaux clairs de faim et de satiété. Un bébé sait quand il a faim, et quand il est rassasié, il cesse de se nourrir. Cependant, ces signaux sont perturbés par les régimes yo-yo, de même que par les pressions de toutes sortes auxquelles nous sommes soumises. À force de se faire dire de manger ceci et de fuir cela, on ne sait plus quand on a faim et quand on n’a plus faim.
Il faut réapprendre à faire confiance au signal de la faim et comprendre qu’il est sain d’y répondre. Autrement dit, l’appétit est le meilleur allié du poids santé. Cette notion va à l’encontre de tous les régimes qui clament essentiellement que plus vous souffrez de la faim, plus vous maigrissez.
Votre méthode est-elle efficace à long terme ?
Bien sûr. Réapprendre à reconnaître sa faim, c’est comme réapprendre à marcher. Il faut y aller étape par étape, et je ne prétends pas que c’est facile. Il faut y mettre le temps, mais cela marche. L’autre choix, c’est de perdre 15 kilos en six mois, puis d’en reprendre 20. Tandis que lorsqu’une personne réapprend à manger, elle sait manger pour le reste de sa vie.
Comment s’effectue la rééducation ?
Pour commencer, je dis à mes clientes de manger toutes les trois heures pendant deux semaines, ce qui évite de sentir la faim. Puis je leur demande de prendre seulement la moitié d’un petit-déjeuner le matin. Une heure et demie plus tard, puis de nouveau à chaque demi-heure, elles doivent se demander : « Ai-je faim ? » De cette manière, elles vont sentir leur faim augmenter et détecter de mieux en mieux son signal.
Dans un premier temps, je leur demande de s’asseoir à table seulement une fois affamées, afin qu’elles réapprennent à reconnaître ce signal. Cela ne doit durer qu’un temps, car le signal de satiété, lui, est difficile à percevoir quand on a résisté trop longtemps à la faim. Elles apprennent donc peu à peu à la reconnaître de plus en plus tôt. L’étape suivante consiste à procéder de manière analogue pour retrouver le signal de satiété. Périodiquement au cours du repas, elles doivent se demander : « Suis-je rassasiée ? »
Vous n’imposez jamais de restrictions quant au choix des aliments ?
Il n’y a que les gras trans que je conseille d’éviter, car ils sont très nocifs pour le cœur. Il est important que les gens s’écoutent et pensent à ce qu’ils ont envie de manger. Si j’y mêle la notion de santé – par exemple, si je leur dis de manger du poisson pour profiter des oméga-3 –, ils ressentiront une pression qui nuira à cette sensibilité naturelle aux signaux de leur corps. Au début, ce qui compte, c’est d’apprendre quand manger et quand s’arrêter. Une fois les réflexes rééduqués, si une personne a envie d’un filet de saumon plutôt que d’un steak, libre à elle de choisir le saumon.
Ces temps-ci, on place la saine alimentation sur un piédestal. J’ai des réserves au sujet de cette mode. C’est comme si la maladie était inévitable quand nous ne nous conformons pas au dogme – et ce sera notre faute, en plus ! D’autres facteurs que l’alimentation jouent un rôle dans la maladie. Il est vrai que je pratique au Québec, où les gens se nourrissent plutôt bien. Si je vivais aux États-Unis, où le junk food est beaucoup plus répandu qu’ici, mon approche changerait peut-être.
Notre rapport psychologique avec la nourriture a donc été faussé ?
On confond santé et perte de poids en répétant que manger des fruits et des légumes est bon pour la santé et que cela fait maigrir. Alors que manger et perdre du poids sont deux choses bien distinctes. On dit : « Je ne mange pas de frites, ce n’est pas bon pour la santé », alors qu’au fond, la vraie raison pour laquelle on évite les frites, c’est souvent qu’elles font grossir. On divise les aliments en deux catégories, les bons et les mauvais, au lieu de penser : « Je mange tel aliment parce qu’il est savoureux ; quand je n’ai plus faim, j’arrête. » Une bonne façon d’y parvenir est de prendre des repas satisfaisants. Un poisson poché avec une salade sans vinaigrette ne comblent personne. Lorsqu’un repas est satisfaisant, on a tendance à manger moins. De plus, je suis persuadée que le principe de privation auquel on se soumet contribue à l’épidémie d’obésité. À s’imposer une salade alors qu’on rêve de frites, on finit par craquer – et par engloutir une tonne de frites, sans égard au signal qui dit : « Je n’ai plus faim. »
Puis on prend la résolution de bannir les frites à jamais…
Voilà ! En plus, on les engloutit à toute vitesse parce qu’on ne veut surtout pas admettre qu’on est en train de tricher ! Ensuite, on se sent mal (physiquement et psychologiquement) d’avoir trop mangé et on demeure accablée par la culpabilité. Bref, les frites, on ne les a même pas appréciées ! Le plaisir de savourer les aliments est ainsi totalement gâché.
Mais si on se laisse aller à consommer des aliments tels que des frites, n’y a-t-il pas risque de dérapage ?
Les gens traversent généralement une période de « délinquance ». Cela ne dure qu’un temps. Lorsque l’aliment jadis interdit devient permis, il perd de son attrait. Les premières fois, on se rue sur le chocolat. Mais du chocolat matin, midi et soir, ça finit par lasser. L’autre crainte est celle de prendre 15 kilos dès qu’on lève les restrictions. Là aussi, mes clients constatent avec plaisir que cette crainte n’est pas justifiée. Tout est dans la tête. Il faut cesser d’avoir peur, apprendre à s’écouter.
Une fois qu’on a réappris à manger, devient-on plus attiré qu’auparavant par les aliments sains ?
Consulter une nutritionniste suppose une certaine préoccupation de la qualité de la nourriture. Les gens que je reçois sont donc généralement bien informés sur la nutrition. Cependant, je pense que même les personnes qui consomment beaucoup de gras et de sucre finiraient par en réduire les quantités si elles se sentaient libres de manger ce qui leur plaît. Dans ma pratique, les gens apprennent à reconnaître les signaux que leur envoie leur organisme. Par conséquent, ils constatent qu’ils se sentent plutôt bien après avoir consommé certains aliments, et plutôt mal après en avoir consommé d’autres. Surtout, ils sont tentés de découvrir de nouveaux aliments.
Vous savez, les gens mangent souvent mieux qu’ils ne le croient. La culpabilité ambiante (« Le jus de fruit, c’est trop sucré, la vinaigrette, c’est trop gras… ») finit par les persuader qu’ils se nourrissent mal, alors que leur régime n’est pas si mauvais. Au Québec, on est très ouvert aux cuisines du monde, et c’est un avantage. L’huile d’olive est passée dans les mœurs, la majorité des gens pensent à mettre une salade au menu, à consommer beaucoup de fruits et de légumes, à manger du poisson. Mais ils se sentent terriblement coupables s’ils font cuire leur steak au beurre !
Certains sont naturellement plus enclins que d’autres au surplus de poids…
Chaque corps est programmé pour avoir tel ou tel poids, selon les antécédents familiaux – c’est le « poids génétique ». On l’atteint lorsqu’on mange quand on a faim et cesse de manger quand on est rassasié. Si mon poids génétique est de 65 kilos, ce sera à moi d’apprendre à m’aimer à ce poids, une fois que je l’aurai atteint.
Quelle est la part de l’exercice ?
L’exercice aide à acquérir du tonus musculaire, à améliorer la circulation, à rester en forme, mais il ne fait pas maigrir. Si on écoute les signaux de faim et de satiété, on ne consommera que les calories dont on a besoin : plus on bougera, plus on mangera, et inversement – et ce, sans grossir. On comprend souvent la notion d’exercice à l’envers. Après avoir trop mangé, on se dit : « Je vais courir pour brûler ces calories excédentaires. » Le champion cycliste, lui, consomme 4 000 ou 5 000 calories par jour parce qu’il a déjà brûlé cette quantité de calories dans la journée. Ce n’est pas la même chose !
Le corps est fait pour bouger. Mais il est impératif que chacun pratique une activité qui lui plaît, plutôt que le sport qui brûle le plus de calories et dont il se lassera au bout de quelques mois. L’activité physique ne doit pas être une source de stress supplémentaire. Certaines personnes marchent 30 ou 40 minutes par jour pour se rendre au travail et elles croient qu’elles ne font pas vraiment d’exercice parce qu’elles ne sont pas inscrites à un gym ! Alors qu’elles sont plus actives que la majorité des gens.
Consommez les aliments que vous aimez. Pratiquez un sport que vous aimez. Vous forcer à manger des aliments ou à pratiquer des activités qui vous déplaisent vous mènera à l’échec. Le secret, c’est le plaisir.