Culture

Émile Proulx-Cloutier: un gars, 30 vies et 5 métiers

Acteur, parolier, musicien, réalisateur, interprète, alouette: rencontre avec l’homme qui fait tout (bien).

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Ce matin-là, je n’aurais su dire lequel des Émile – broue dans le toupet et yeux cernés, les deux mains serrées autour d’un café – se trouvait en face de moi. Le nouvel enseignant de 30 vies, dont le tournage commençait la semaine suivante ? Le chanteur qui se préparait à monter trois jours plus tard sur la scène de l’Outremont ? Le réalisateur qui terminait le mixage d’un documentaire ? Ou tout bonnement un gars de 31 ans qui court après le temps sans jamais le rattraper, papa de deux bambins « et d’un troisième qui s’en vient », artiste multitalentueux que tout le monde s’arrache ?

Un mélange de toutes ces réponses.

Puisqu’il fallait bien lancer la discussion, on a choisi 30 vies. Les fans de cette quotidienne viennent de découvrir Samuel Pagé, professeur de musique à l’École du Vieux-Havre. Émile a participé à la « création » de ce personnage, après avoir accepté l’offre de Fabienne Larouche. « Pendant cinq ans, j’ai joué Maxime [l’un des avocats de Toute la vérité, téléroman qui vient de quitter l’antenne de TVA], un gars très, très gentil, qui se faisait marcher dessus. J’avais envie d’une énergie plus brute. Souvent, on accepte d’emblée que les entraîneurs sportifs soient exigeants et parlent fort, alors qu’on a l’impression que les enseignants en arts doivent être des calinours. » Pas dans le cas de Samuel, prévient le comédien. « C’est sûr qu’il va être “confrontant” pour certains. On n’est pas habitués à voir des profs durs comme ça. »

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Avec Fabienne Larouche, auteure de 30 vies.

Pour la première fois de sa carrière, Émile est la tête d’affiche d’une émission de télé suivie par plus de 600 000 personnes, quatre jours par semaine. Et si 30 vies ne figure pas sur la liste de vos envies, vous pourrez le voir dans le téléroman sans doute le plus attendu de la rentrée hivernale, Boomerang, à TVA. « Je suis le beau-frère d’Antoine Bertrand, qui a fait de l’argent vite et qui est désagréable. Je n’avais pas joué la comédie depuis Sophie Paquin, et j’ai redécouvert le plaisir d’en faire. En plus, c’est l’fun d’incarner un trou du cul ! »

Émile l'acteur dans Boomerang à TVA.

Émile l’acteur dans Boomerang à TVA.

Cette visibilité fera sûrement passer Émile Proulx-Cloutier de l’étiquette « Le nom me dit quelque chose… » à « Ah oui, lui ! ». Une reconnaissance qui ne vient pas seule : l’intérêt médiatique augmente, et il faut savoir jouer le jeu, qu’on n’enseigne pas sur les bancs d’école. Tout un apprentissage. « Je ne suis pas très bon en entrevue. » Disons qu’il garde une distance entre le magnéto et lui, qu’il pèse ses mots, réfléchit avant de répondre. « Je n’ai pas de leçon de vie à donner à personne, et je n’ai pas envie de faire l’étalage d’un quelconque bonheur, explique-t-il calmement. Si on me demande ce que je chante à mes enfants le soir pour les endormir, c’est non. Je l’aime, mon cocon. Je ne veux pas “photoshopper” ma vie et je ne veux pas qu’on la “photoshoppe”. »

La notoriété est pour lui un concept familier. Et familial. Émile est né de l’union de deux acteurs qui ont fait toute leur carrière devant public. Raymond Cloutier, au CV long et touffu, a été directeur du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, où Émile, son fils unique, a étudié (mais après que son paternel eut quitté le poste). Danielle Proulx, dont il parle avec une admiration touchante, a entre autres interprété la maman parfaite dans le film C.R.A.Z.Y. et le « chien vétérinaire » dans l’émission pour enfants Cornemuse. « Ma mère est une belle femme qui n’a pas eu peur de s’enlaidir pour jouer l’itinérante dans Unité 9. » Qu’est-ce que ça change d’avoir des parents artistes hautement respectés par leurs pairs ? Ça ouvre des portes ? « Pas vraiment. C’est de les avoir vus tous les jours se relever les manches, sans savoir vraiment comment ils allaient réussir la mission qui leur incombait, mais le faire avec courage et humilité. Les soirs exaltants, les matins difficiles, les creux de carrière, les rôles dont tu rêves mais qui te passent sous le nez : j’ai su tôt ce que c’est, je l’ai vécu à travers eux. »

Comme Obélix

Émile n’y peut rien, il est tombé dans la profession : « Ce métier, tous les gènes de mon corps savent qu’il est difficile. » Et pourtant. À 13 ans, il tourne déjà un film avec Marc Labrèche, Matusalem, s’y amuse, fait un peu de télé, puis s’interroge : « Hum, est-ce vraiment là, ma place ? J’aimais beaucoup de choses, je ne savais pas quoi faire vraiment, mais je savais que ce serait en arts. » Il s’inscrit en cinéma, une autre passion. Un jour, c’est certain, il signera un long métrage. En attendant, il coréalise des documentaires avec son amoureuse, Anaïs Barbeau-Lavalette, issue elle aussi d’une famille d’artistes (Manon, sa mère, est réalisatrice, et Marcel Barbeau, son grand-père, un des signataires du manifeste Refus global, est l’un des peintres québécois importants du 20e siècle). Le plancher des vaches, leur dernière collaboration, pour laquelle ils ont suivi pendant un an des jeunes inscrits dans un programme « ferme-école », sera lancé ce mois-ci aux Rendez-vous du cinéma québécois.

Émile l’enchanteur

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Ouf ! Il nous restait encore à aborder le volet « auteur-compositeur-interprète », cette nouvelle voie empruntée par Émile. Qui a surpris tout le monde en 2011 en se présentant au Festival de Petite-Vallée, et en revenant du joli hameau du bas du fleuve avec sept prix et une grosse tape dans le dos. Un CD a suivi, récoltant des critiques enthousiastes.

Voici comment Émile, qui a le sens des mots – une évidence quand on lit ses textes, décrit son disque, Aimer les monstres: « Il y a une tension entre la pulsion de mort des textes et la pulsion de vie de la musique. » C’est d’ailleurs là qu’il se révèle le plus, endossant des personnages, hommes ou femmes, pour chaque pièce, créant des univers, troubadour moderne mariant son talent de comédien à celui de chanteur. Demandez-lui s’il est un artiste engagé, il vous répondra : « En tout cas, je ne suis pas dégagé. » Monsieur Émile en a d’ailleurs contre ceux qu’il appelle « les éteigneurs, ceux qui disent que les mouvements sociaux ne servent à rien. Ce discours sape l’énergie. » Il leur lance au visage Race de monde, sa diatribe « pétage de coche » qui clôt l’album :

Cale ta bière de moron libre / Mords la poussière, c’est riche en fibres / Je vois les beaux atours dont tu te fardes / Si je touche ta langue, je vais pogner des échardes / Tu veux que je fasse comme toi, que j’rentre dans’ parade / Mange donc un char allégorique de marde… 

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