Entrevues

Pascale Bussières : Beauté unplugged

Avec ses traits racés et ses yeux félins, elle fait tourner les têtes. Pourtant, la comédienne se considère comme une fille ordinaire. Elle nous dévoile sans détour ni artifice sa perception de la beauté.

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Ta photo en couverture est superbe. Te trouves-tu belle?
En gros plan, je constate à quel point mon visage est asymétrique. Comme s’il y avait deux Pascale : l’enthousiaste et la solaire versus la troublée et la lunaire. Sinon, je me considère comme ordinaire. Je dirais que c’est davantage ma personnalité ou ma façon d’aller vers les gens qui font que ma carrière a bien marché. Mais je n’ai jamais eu l’impression de me servir de la beauté.

Pourtant, tu joues beaucoup avec la séduction…
Tout le monde veut plaire! Mais, pour une actrice, la question se pose différemment. J’ai un Kodak dans la face depuis l’âge de 13-14 ans! [Son premier film, Sonatine, de Micheline Lanctôt, est sorti en 1984.] J’avais conscience d’être vue et j’observais ce regard sur moi. C’est assez troublant. Il y avait un malaise que je n’identifiais pas à l’époque. Mais le plateau agissait comme une zone protectrice. Ça m’a rendu service.

Comment mesurer sa propre beauté?
Par l’écho que l’on reçoit. Les femmes sont très sensibles aux têtes qui se tournent, à l’onde qu’elles laissent dans leur sillage. C’est comme un gage de beauté. Une femme qui vieillit ne dira jamais qu’on ne se retourne plus sur son passage. Il m’arrive de rentrer à la maison déprimée à cause de ça. Mais, à un moment donné, il faut arrêter de se regarder dans la glace quand on marche sur le trottoir.

La beauté, cadeau divin?
C’est une arme à double tranchant. On peut en souffrir et faire souffrir. C’est le signe d’une grande injustice aussi. Jean Leloup le dit bien dans ses chansons : il y a les moches et les hyper moches, puis les beaux et les belles. Leur vie est différente. On sait que les gens beaux accèdent plus facilement à certains postes. Et puis, si t’es pas cute, il faut que tu sois drôle ou que tu développes des compétences transversales majeures! Pour moi, la beauté ne crée pas le bonheur.

Comment te vois-tu à l’écran?
En général, je ne me regarde pas à l’écran, je trouve ça violent! Se voir vieillir sur un écran de 12 pieds sur 12, ça prend du courage! Quand j’étais plus jeune, mes directeurs photo avaient moins de travail à faire. Aujourd’hui, je me rends compte qu’ils m’accordent une attention particulière quand on me filme en gros plan! Au cinéma ou à la télé, on se voit comme l’autre nous perçoit. Ouch! C’est fou comme la perception qu’on a de soi est décalée. En tant que comédienne, j’ai un côté caméléon : j’ai tendance à être conciliante. J’ai l’impression que mes contours sont encore flous. En vieillissant, j’ai envie de les clarifier. Je pense que les grandes beautés sont très affirmées.

Tu as soufflé tes 43 bougies en juin dernier. C’est dur de vieillir?
Certains jours, oui, surtout dans mon métier. Mais de plus en plus d’auteures et de réalisatrices écrivent pour des femmes dans la quarantaine. C’est là qu’on maîtrise le mieux son outil de travail. On a vécu suffisamment de choses pour avoir de l’épaisseur et de la profondeur. Les deuils, les joies, les déceptions… Tout ça bonifie le jeu. Peut-être que le Botox y est aussi pour quelque chose…

As-tu succombé à l’appel de l’injection et du scalpel?
Non. Et si c’était le cas, je n’en parlerais pas. C’est quelque chose d’intime, de tabou. Reste qu’avec la haute définition, il faut compenser. Tu n’as pas le droit de trop te maquiller parce qu’on voit tout. Tu dois être en bonne santé – ne pas boire, ne pas fumer, te coucher de bonne heure – et être heureuse.

Es-tu heureuse?
J’ai mes hauts et mes bas, mais j’ai une grande capacité à rebondir, à rire et à tourner les situations difficiles à la blague. C’est la joie qui transparaît le plus dans l’épiderme.

Et c’est la grande hypocrisie : d’un côté, on nous bombarde d’images de femmes idéales. De l’autre, on nous dit de miser sur notre beauté intérieure…
Ça crée une pression énorme. Je comprends les femmes de mon âge, célibataires avec des enfants, qui cessent de se battre pour être belles à tout prix. Bizarrement, c’est souvent là qu’elles rencontrent quelqu’un. Je pense que les hommes trouvent ce « lâcher prise » séduisant. La vitrine devient plus transparente. Quand tu vis à la campagne [elle possède une maison en Estrie], ça relativise beaucoup. Les gens sont moins préoccupés par leur apparence. C’est très urbain, la mode vestimentaire.

Pourquoi court-on ainsi après la beauté?
On cherche la grâce, l’accord parfait entre la pensée, le geste, le mot. Prends le syndrome de Stendhal. C’est un état de con­fusion extrême devant la beauté des œuvres d’art : l’individu plonge dans un état catatonique qui peut durer plusieurs jours. La beauté a la faculté d’élever la conscience. Des fois, ça ne redescend plus!
Au musée Rodin, à Paris, j’ai vécu des émotions comme rarement auparavant. La notion de beauté se transforme selon ce qu’on vit. Il y a des moments où le regard s’ouvre et où tout ce qu’on voit devient beau, un peu comme quand on est enceinte. Tu regardes le tableau accroché au salon et, tout à coup, tu en saisis toute la beauté. Ou alors tu te rends compte qu’il t’a agressée pendant 10 ans et tu le jettes aux vidanges! La beauté demande une attention particulière, comme la rose du Petit Prince. La majeure partie du temps, on ne la voit pas.

La beauté pour toi, c’est quoi?
Elle réside dans l’invention, l’unicité. Aujourd’hui, tout est formaté. Il y a une normalisation de la conscience, de la consommation, de l’âme. Ça devient plate en cr… La beauté, ça peut être un iris versicolore qui s’ouvre le matin et va mourir le soir même. Ce caractère éphémère contribue à notre fascination. En fait, on croise le beau mille fois par jour. C’est hallucinant comme les filles de 20 ans sont belles. Moi, je n’étais pas du tout dans la féminité à cet âge-là. Aujourd’hui encore, je suis intimidée par la beauté des femmes. Le fait d’avoir eu des enfants m’a aidée. N’empêche, je trouve qu’on est dure vis-à-vis de soi-même et des autres. On se regarde, on se compare.

L’éducation a beaucoup à voir avec la façon dont on se perçoit…
Ma mère était une femme belle, mais pas obnubilée par les apparences. Mon père était très masculin, mais équitable. C’est lui qui faisait la cuisine, les courses. J’allais à la pêche à la grenouille avec lui. J’étais très tomboy. Et je me suis toujours tenue avec des garçons. Puis bon, j’ai eu des gars! (Antoine, 8 ans, et Raoul, 10 ans.)

Qu’est-ce qui t’attire aujourd’hui?
J’ai longtemps été attirée par la beauté macabre. La beauté qui cache un trouble. Je possède moi-même un côté délinquant… Maintenant, à quoi j’aspire? À la beauté paisible, à la plénitude.

Qui sont les icônes actuelles au Québec?
J’ai l’impression qu’ici, on est beaucoup moins assujetti à ça. Je trouve Amir Khadir extrêmement beau et inspirant. C’est un gars du Moyen-Orient qui a quelque chose d’exotique. Il est intelligent, drôle, et il a une espèce de détachement. Ils sont rares ceux qui, comme lui, arrivent à sortir du discours formaté. J’ai toujours eu un penchant pour les voix discordantes.

Pascale a dans ses cartons un projet de scénario de film. Elle a réalisé un court métrage l’an dernier et, en 2005, le documentaire Ne fais pas ci, ne fais pas ça, sur l’autorité parentale. Cet automne, on la verra à la télé dans Belle-Baie et Mirador, au cinéma dans Marécages et French Immersion. Après? « Je ne sais pas. Il faut que je sois dans de bonnes dispositions pour entreprendre tout ce que je veux. Ce sera mon défi… »

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