Culture

Hélène Florent : le charme discret d’une grande actrice

Hélène Florent a-t-elle besoin d’être présentée  ? Actrice touchante, bourrée de talent,  elle collectionne les rôles marquants depuis  des années, tant à la télé qu’au cinéma. Pourtant, elle doute toujours. Portrait d’une femme toute en nuances.

Hélène Florent

Photo : Andréanne Gauthier

Le sourire d’Hélène Florent illumine la pièce. Pelotonnée au creux d’une causeuse grise dans son salon aux vastes fenêtres, elle parle depuis plus d’une heure de sa carrière, quand elle s’interrompt d’un rire sonore. « Ma carrière ! » s’exclame-t-elle en levant les mains en l’air, comme si elle venait d’échapper une énormité. « Ça me fait drôle de dire ça ! »

Cette modestie, c’est tout Hélène Florent. Depuis deux décennies, l’actrice a beau avoir enchaîné les rôles marquants à la télé comme au cinéma, de La galère à Unité 9 en passant par Café de Flore et Maria Chapdelaine, rien n’y fait. Que ce soit sur un tapis rouge ou chez elle, dans son pimpant cottage en banlieue sud de Montréal, la comédienne de 48 ans refuse de se prendre au sérieux.

« Je fais mes petites affaires, je ne suis pas exceptionnelle, je n’ai pas de talent caché, je n’ai pas de leçon de vie à donner », énumère-t-elle avant d’évoquer avec admiration des copines « hors du milieu », l’une ergothérapeute, l’autre professeure, des boulots bien plus « utiles », à son avis.

Son métier à elle, elle a encore du mal à l’assumer totalement. À preuve, sa gêne persistante à s’identifier comme actrice. « Je trouve que ça fait prétentieux. Alors je dis toujours que je suis acteuse, une petite acteuse, comme pour diminuer le truc », explique-t-elle en haussant les épaules alors que quelques mèches brunes s’échappent de son chignon. Chez elle, aucune prétention. Même dans sa tenue : une marinière extralarge, un jean et de grosses chaussettes de laine.

Hélène Florent

Photo : Andréanne Gauthier

Muse malgré elle

Elle n’a pas d’ego, et ses proches le savent bien. « Dans la vie, Hélène fait tout pour ne pas attirer les regards, pour ne pas parler plus fort que les autres. Mais elle a un charisme, une grâce inimitable, un magnétisme dont elle n’est même pas consciente. On est tout de suite happé par elle », souligne la comédienne Myriam LeBlanc, sa grande amie.

Brigitte Lafleur, qui lui a donné la réplique dans la série La galère et, 10 ans plus tard, dans le film Une femme respectable qui sortira cet été, reste impressionnée par ce trait de caractère. « C’est rare, chez des actrices aussi en vue, d’être à ce point humble, prête à travailler et à écouter », lance-t-elle.

Le réalisateur Sébastien Pilote, qui l’a dirigée dans Maria Chapdelaine, abonde. « Elle est si discrète sur un plateau qu’on peut l’oublier », dit-il, ajoutant que travailler avec elle a été un véritable « privilège, même si ça sonne cliché ».

C’est qu’en groupe, la comédienne préfère toujours observer les autres et l’environnement autour. Hypersensible, elle capte tout. « Si elle détecte que quelqu’un n’est pas bien, elle essaiera de l’aider », confie Myriam LeBlanc.

Pour la taquiner, son agente la qualifie parfois de travailleuse sociale des plateaux de tournage. « Mais elle exagère », lance Hélène, l’air amusé.

La question se pose tout de même : comment une fille aussi peu friande d’attention a-t-elle réussi à aboutir sur tous nos écrans, grands et petits ? En fait, la carrière d’Hélène Florent est un bel accident. « Je pensais seulement faire du théâtre à Québec dans la vie », assure-t-elle. C’était sans compter le flair d’une agente, Micheline St-Laurent, qui l’a remarquée à sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec.

« Micheline était venue aux auditions du Théâtre de Quat’Sous pour voir Rémi-Pierre Paquin, et je passais tout de suite après lui. Elle a eu un coup de cœur et m’a contactée. Je me demandais ce que j’allais faire d’un agent ! Ça va faire 23 ans qu’on travaille ensemble… »

Hélène a grandi à Québec avec une sœur aînée, Catherine, elle aussi comédienne. Enfant, elle ne rêve ni de gloire ni de couvertures de magazine. Le théâtre est arrivé dans sa vie à l’école secondaire, au sein d’une petite troupe qui comprenait aussi Pierre-François Legendre et Catherine Allard. « Je n’avais pas des notes très fortes, aucune matière ne me passionnait vraiment, mais j’allais à l’école pour le parascolaire, confie-t-elle. C’est ce qui a sauvé mon secondaire. » À ce souvenir, Hélène se lève d’un bond et va chercher un volumineux album photo. On y voit le groupe costumé et maquillé pour ses nombreuses productions.

L’acteur Sébastien Ricard, qui a fréquenté, lui aussi, le collège Saint-Charles-Garnier, à Québec, se rappelle bien le dynamisme des jeunes artistes. « Cette troupe prenait des initiatives vraiment formidables », dit-il.

Bien avant d’incarner son époux dans Maria Chapdelaine, il avait remarqué son grand talent… et sa grande beauté. « Elle était absolument magnifique », ajoute-t-il. D’un an son aîné, il avait d’ailleurs invité la blonde adolescente à son bal de finissants. « J’avais l’impression, non, la certitude d’avoir à mon bras la plus belle fille de la soirée ! »

Le compliment fait bien rigoler la principale intéressée. Elle ouvre un autre album photo. Le duo apparaît à l’après-bal, lui en costard, elle en robe blanche paysanne, à la fois confiants et un peu gauches.

Hélène Florent

Photo : Andréanne Gauthier

De l’ombre à la lumière

Après ses études secondaires, Hélène s’inscrit en théâtre au collège Lionel-Groulx, à Sainte-Thérèse. Mais un an plus tard, elle décroche, incertaine de sa vocation. Elle traverse alors, selon ses mots, une légère dépression. « J’ai eu une phase où je ne m’aimais pas du tout, souffle-t-elle. Me regarder dans le miroir et m’haïr, faire des régimes, me sentir lourde pour mes amis. Je suis allée chercher de l’aide. »

À la même époque, elle bosse sur les plateaux de tournage. Elle s’occupe du café, de la cantine, du transport des acteurs… « Je me cherchais, mais j’aimais les arts. » Puis, alors qu’elle se trouve à la régie d’un spectacle, c’est la révélation : « J’ai regardé mes amis sur scène et j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire. » Elle est finalement prête à sortir de l’ombre.

Hélène est au beau milieu d’une phrase lorsque son visage s’éclaire. Son amie, la comédienne et metteure en scène Marie-Josée Bastien, vient de surgir du deuxième étage. « Jojo, je peux te présenter ! s’exclame-t-elle. Marie-Josée habite à Québec, mais elle a sa chambre ici quand elle a des contrats à Montréal. »

Les deux amies se lancent quelques blagues avant que « Jojo » file. « J’aime qu’il y ait de la vie ici », confie Hélène. Puisque son fils, Joseph, sept ans, vit en garde partagée avec son père, le comédien Danny Gilmore, c’est pour elle le meilleur des mondes : la maison est rarement vide.

Difficile de ne pas faire un parallèle entre cette cohabitation amicale et La galère, la série de Radio-Canada grâce à laquelle sa popularité a explosé en 2007. L’histoire, imaginée par Renée-Claude Brazeau, était celle de quatre copines dans la trentaine qui décident d’emménager ensemble, marmaille incluse. En résultait un joyeux bordel, et un vif succès de cotes d’écoute. Encore aujourd’hui, pas une semaine ne passe sans qu’on lui parle de Stéphanie, son personnage d’autrice brouillonne à lunettes.

« L’amitié qu’on voyait à l’écran, elle était vraie », affirme Brigitte Lafleur, qui incarnait Mimi, la romantique finie du quatuor. « On était peu connues à l’époque, et on savait qu’on avait une chance inouïe d’avoir été choisies. Je pense que ça a beaucoup aidé à nous souder », poursuit-elle.

Les péripéties des quatre copines seront diffusées pendant six saisons, de 2007 à 2013. Trois ans plus tard, l’émission fait l’objet d’une pièce de théâtre. Signe de l’amour du public : 70 000 billets s’envolent avant même la première.

Hélène Florent

Photo : Andréanne Gauthier

Se choisir, partir

Mais à ce moment-là, Hélène, elle, fait naufrage. Mère depuis quelques mois, elle se sent incapable de monter sur scène, rattrapée à la fois par des années de tournage au rythme effréné et ses nuits blanches de nouvelle maman.

Avant d’aborder ce chapitre, elle prend une profonde inspiration. « Au début, ça ne devait être qu’un spectacle d’été, puis c’est devenu une tournée de deux ans à travers le Québec. C’était énorme, et je me rendais compte que j’étais encore fatiguée de l’accouchement. Mais on avait fait les photos de promo, les billets étaient vendus, je me sentais redevable. J’allais aux répétitions malheureuse, mes pieds ne voulaient plus avancer. » Voyant se profiler l’épuisement professionnel, elle se résout à abandonner le projet. Son amie Myriam LeBlanc se remémore avec beaucoup d’émotion cette période. « Je me rappelle lui avoir dit : Hélène, je t’en supplie, pour une fois, sois égoïste. »

Peu de temps après, Hélène fait aussi une croix sur District 31, série dans laquelle elle devait jouer l’un des rôles pivots. Une décision difficile. « Je savais que je prenais un risque, car c’est un métier où on peut disparaître rapidement. Est-ce que les gens allaient me réembaucher un jour ? Est-ce que je serais toujours vue comme la fille au bord de la dépression ? J’avais accepté l’idée que ça puisse se terminer. Et même si c’était difficile, j’étais fière de mon choix. J’allais me reposer, prendre soin de moi et de mon garçon. C’était très épeurant, mais quand je le tenais dans mes bras, ma décision avait un sens. » Son regard s’arrête sur un cadre accroché au mur. On la voit soulevant un Joseph encore bébé, tout en risettes et en rondeurs.

Sa pause professionnelle dure un an, période pendant laquelle elle se consacre à sa famille et à sa propre reconstruction. Elle reprend des forces. Puis, le téléphone se remet à sonner. Les propositions reviennent. Unité 9, Eaux turbulentes, L’homme qui aimait trop… Non, le milieu n’avait pas l’intention de se priver de son talent.

« En tant que comédienne, elle est capable de dire beaucoup sans parler. Plus la scène est émotive, importante, prenante, plus Hélène brille », résume la réalisatrice Lyne Charlebois, qui l’a dirigée dans la série judiciaire Toute la vérité (TVA) et dans la minisérie Eaux turbulentes (ICI ARTV et ICI TOU.TV). « Oui, Hélène est travaillante, bonne, extrêmement gentille, belle, mais quand elle joue, on sent sa fragilité, on sent sa faille. Et c’est beau, une faille », relève Sébastien Ricard. Hélène enchaîne aussi deux films aux partitions délicates : Les oiseaux ivres et Maria Chapdelaine sortis en salle quasi simultanément, à l’automne 2021. Ses performances lui vaudront d’être doublement récompensée au Gala Québec Cinéma, l’an dernier. Du jamais-vu.

« C’était énorme », dit-elle, encore stupéfaite par cette reconnaissance, qui venait en quelque sorte confirmer qu’elle, la « petite acteuse », avait toujours sa place.

Plus tard cette année, on la retrouvera au cinéma, dans le rôle principal d’Une femme respectable, qui se déroule dans le Trois-Rivières des années 1930. Hélène se pince encore d’avoir été choisie par le cinéaste Bernard Émond. « Il n’y a pas beaucoup de dialogues dans ses films, tout est dans les regards, les respirations… C’est plus que faire de la dentelle. Bernard disait qu’on faisait de l’aquarelle », s’émerveille-t-elle.

Sa pause d’un an lui aura appris à s’écouter, et à sélectionner ses projets selon ce que lui dicte son cœur. Les coups durs qu’elle a vécus, ses failles, elle ne les renie pas. « Je pense que mon expérience personnelle, mon vécu, mes deuils, mes joies, ce gros bagage de vie me donnent encore plus d’outils pour mes personnages. »

Elle réfléchit. Sourit. « J’ai plus d’histoire », glisse-t-elle. Des paroles qui, quoi qu’elle en pense, sont dignes d’une grande actrice.

Hélène Florent est en vedette dans le film Une femme respectable, au cinéma à compter du 18 août 2023, et dans la minisérie Eaux turbulentes, sur ICI TOU.TV et ICI ARTV. On peut aussi la voir dans la deuxième saison de Je voudrais qu’on m’efface, sur ICI TOU.TV.

 

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