Culture

Isabelle Boulay, la plus belle saison de sa vie

À 50 ans, bientôt 51, est-ce l’heure des bilans ? Pas pour la native de Sainte-Félicité, trop occupée par la vie qui passe vite et par ses hommes : Marcus, Éric et, depuis peu, Alain Bashung. 

Isabelle Boulay Châtelaine Été 2023

Photo : Andréanne Gauthier

As-tu soif ? Tu veux de l’eau ? Un café ? Court, long, crème, lait, latté ? Un jus de fruit ? Du vin ? » Mon hôtesse sait recevoir, une qualité héritée de son enfance gaspésienne. « C’est de naissance. Quelqu’un arrivait chez mes parents, et tout de suite c’était : as-tu faim, as-tu soif, as-tu besoin d’un lit ? »

Pas de lit dans cette garçonnière près de sa maison du Sud-Ouest, à Montréal, où elle m’a déjà invité il y a huit ans. Rien n’y a changé depuis : appareils ménagers, meubles, piano, étagères lourdes de trophées, murs couverts de disques d’or et de platine. « J’ai ce refuge depuis 2010. Je me suis souvenue récemment que, enfant, je me construisais des cabanes, j’avais besoin d’avoir un abri pour me retrouver seule. Une chambre à soi », précise-t-elle en me préparant un (excellent) allongé.

Une chambre à soi ? Isabelle fait un clin d’œil au célèbre roman de l’écrivaine britannique Virginia Woolf, qui se trouve sans doute quelque part dans son impressionnante bibliothèque. Des livres méticuleusement classés et traités avec soin, des auteurs pointus (Christian Bobin), controversés (Michel Houellebecq) ou populaires (Douglas Kennedy), et d’autres croisés sur des plateaux de télé français. L’interprète a étudié en littérature, il faut le rappeler, tout en courant les concours de chant. Les feux de la rampe ont gagné, mais sa passion des mots la consume toujours.

En cet après-midi, Isabelle n’est pas seule: un certain Gérard Raymond m’observe avec intensité et ronrons bienveillants. Ce beau chat tigré est tombé du ciel il y a deux ans. « C’était le 24 septembre, jour de l’anniversaire de mon père, et je lui ai donné son prénom. Je l’ai vu comme un cadeau. » Un matin, le félin est apparu dans sa cour, et n’est jamais reparti. « Je dis qu’il est un travailleur social. Il fait bénéficier tout le monde de sa présence, qui rassure et fait du bien. »

Un don que Gérard Raymond partage avec sa maîtresse, affable et à l’aise. « Quand j’ai recommencé à prendre le métro pendant la pandémie, je passais incognito avec mon masque, mon bonnet. Eh bien, toutes les personnes en détresse psychologique venaient s’asseoir à mes côtés. Il y a quelque chose chez moi qui les attire. Je les prends comme elles sont. »

Cette femme, par exemple, qui est entrée en criant et pleurant dans un wagon. Indisposés, des passagers l’ont sommée de se la fermer. « Je me suis rendue à ses côtés pour éteindre le feu de la colère et de la peine, je lui ai pris les mains avec mes gants d’hiver, on s’est accroupies ensemble, elle s’est rendu compte que je reconnaissais sa douleur. J’ai manqué ma station. Avant de la quitter, je l’ai fait asseoir sur un banc, et elle m’a dit I love you. »

Diane Coudé, une intime depuis 20 ans, reconnaît bien là son amie. « Isabelle est très bonne pour faire cesser les larmes. Elle aurait pu être ambulancière. Dans les moments d’urgence, elle agit », confie-t-elle.

Diane fait partie d’une constellation de femmes « formidables et inspirantes » toutes plus âgées qu’Isabelle – Lise, 78 ans, Suzette, 75, Jacqueline, 82 – dont les prénoms trouvent leur place dans la conversation, tout comme Charles (Aznavour), Carla (Bruni) et Johnny (Hallyday). « Il y avait aussi Pierrette, décédée à 97 ans, je lui parlais tous les jours. Le fait de vieillir me fait réaliser qu’elles vieillissent, elles aussi. » Cela l’attriste plus que les inévitables outrages du temps sur son visage encore (et naturellement) très lisse. Cela dit, perfectionniste comme elle l’est, Isabelle ne fait pas l’autruche. « Je vois toutte, lance-t-elle, en appuyant sur les t. Je le vois que j’ai pu 30 ans, que j’ai la paupière d’une femme de 50 ans. Mais quand je repense à celle que j’étais à 30 ans, je me sens bien mieux maintenant. »

Isabelle Boulay Châtelaine Été 2023

Photo : Andréanne Gauthier

Madame rêve

Elle a quitté son coin de pays à 16 ans, mais la Gaspésie n’est jamais loin, toujours à portée de souvenirs. « La première personne pour qui j’ai chanté, c’était un homme sourd, un ami de mon père, dit Isabelle, installée à une table ronde sous le regard doré de ses 19 Félix. Il était comme un animal blessé, souffrant. Il ne m’a pas entendue, mais il a senti la vibration de ma voix. » Et il a cessé d’avoir mal.

Depuis, elle soigne les âmes. « Chanter, c’est ma façon de réparer le monde. Je ne suis pas Mère Teresa, mais je me demande ce qu’on peut faire pour que les choses aillent un peu mieux.» De plus en plus, elle a envie de chanter pour elle, pour se faire plaisir.

« Un cadeau pour moi-même. » Ce cadeau, c’est son récent album, Boulay chante Bashung. Qui ? se sont interrogées plusieurs personnes, dont Marie- Lyne Joncas, l’une des coanimatrices de Tout le monde en parle. « Il y a deux jours, je n’avais aucune idée de qui était Alain Bashung », a avoué Marie- Lyne devant une Isabelle un brin étonnée lors de son dernier passage à l’émission.

« Bashung est le chanteur qui m’a fait le plus triper. Tout me plaisait chez lui, je m’en étais un peu amourachée…» dit-elle, rêveuse. « C’est quelqu’un avec qui je me serais bien entendue, un peu triste, mélancolique, comme les garçons qui sont mes amis ou que j’aime. » Je résume, car Isabelle est intarissable sur ce rockeur sophistiqué, cet artiste « fantasmagorique », décédé en 2009, véritable mythe en France. Jamais rencontré, mais croisé, une fois, en coulisses : il a frôlé son manteau, elle a frôlé l’apoplexie.

L’annonce qu’une interprète québécoise connue pour ses ballades sentimentales reprenait les grands titres de « l’intouchable » Bashung a fait sourciller quelques aficionados. Isabelle en était consciente. « Elle aime les défis, et aime surtout les relever », dit Thierry-Maxime Loriot, ex-mannequin, auteur et commissaire d’exposition, qui la côtoie depuis 25 ans et qu’elle a baptisé « mon ami porte-bonheur ». « Isabelle a beau mesurer 4 pieds 11 pouces et demi, elle est la personne la plus rebelle que je connaisse. C’est une fille très rock, qui n’a pas froid aux yeux. »

Enregistrer l’album serait un cauchemar, croyait- elle au départ. « Je pensais qu’après trois chansons, j’écouterais le résultat et je dirais non. » Il est vrai que les paroles de Bashung, truffées de mots rares et de messages cryptés, sont très loin du style de « Je t’oublierai, je t’oublierai ». Dans « Osez Joséphine», il ferait allusion à son pénis. Puis au plaisir féminin dans « Madame rêve »: Madame rêve d’atomiseurs / Et de cylindres si longs / Qu’ils sont les seuls / Qui la remplissent de bonheur…

– « Comment fait-on pour chanter cela, Isabelle ? C’est difficile ? »

« C’est jouissif. » Ses yeux brillent. « En studio, au début, je refusais de faire “Madame rêve”. Proposer ça ? Personne ne va me croire. » Claude Larrivée, son nouvel agent, l’appelait tous les jours : puis, « Madame rêve » ? « Isabelle ne l’aurait peut- être pas chantée si je n’avais pas insisté, dit celui qui est aussi son producteur à La Tribu. Je trouvais ça très bien qu’une femme dise ces mots. Sa personnalité est si forte que cette chanson, comme les autres de Bashung, se fondent bien dans son répertoire. »

Des deux côtés de l’Atlantique, la critique a été plutôt positive. « Isabelle Boulay n’a jamais l’air parachutée dans cet univers qui, visiblement, l’habite » (La Presse) ; « Très réussi » (Le Figaro). « Tout ce que les gens peuvent dire de cet album ne me touche pas vraiment, j’ai passé mon propre sceau d’approbation, dit Isabelle, très zen. Musicalement, dans la force des textes, je voulais ce niveau-là, cette franchise, depuis longtemps. Ça signe quelque chose de nouveau chez moi. »

Isabelle Boulay Châtelaine Été 2023

Photo : Andréanne Gauthier

J’ai deux amours : Marcus…

Pendant qu’elle donne des détails de sa présente tournée, D’Amériques et de France, qui la mènera de Gatineau à Genève, Isabelle va de la table à l’îlot de cuisine quérir son téléphone. « Marcus a terminé ses cours, il s’en vient. Pourvu que je le repère », dit-elle au sujet de son fils de 14 ans, en consultant l’écran.« Il est proche. »

Elle se décrit comme maladivement « inquéteuse ». « Quand j’étais jeune, j’ai été obligée de me faire soigner tellement j’étais inquiète pour mon frère et ma sœur. » Le traitement n’a pas tout guéri. « Sans ça, ajoute-t-elle au sujet du logiciel de localisation, je serais morte de trouille. »

La vie est une loterie, et tout indique que Marcus a pigé le bon numéro : mère (très) attentionnée, milieu artistique et aisé, avenir rempli de possibilités… Isabelle apporte des bémols. « Il a ses défis, c’est un être hypersensible, et il doit composer avec cette chose-là. » C’est-à-dire une mère dont le métier est inhabituel, international et très public. « Je voulais qu’il porte le nom de son père [Marc-André Chicoine, son ex-agent et producteur télé, dont elle est séparée depuis des années], pour qu’il puisse se faufiler comme il veut.» Bref coup d’œil sur son cellulaire.« Quand ses copains dans la cour d’école ont su qui j’étais, il a eu droit à des commentaires du genre : elle doit être riche, ta mère. Et ça le gênait beaucoup. Je n’ai pas une vie jet-set. »

Ici, non. À Paris, c’est une autre histoire. « Les gens au Québec ne se rendent pas compte de la place qu’occupe Isabelle en France, dit Thierry-Maxime. La plupart des couturiers veulent l’habiller. Même Schiaparelli, associé à Adele, qui lui a confectionné un ensemble magnifique pour son spectacle à L’Olympia l’été dernier, pour ses 50 ans. »

Elle a beau manquer d’espace pour entreposer sa collection de vêtements griffés, la vedette reconnaît ne pas être une « sorteuse ». « Je n’aime pas me montrer, je suis mal à l’aise avec tout ça. » Elle se conditionne mentalement, se concentre au point d’en oublier le brouhaha environnant. « Un ami m’a appris qu’à un défilé de Jean Paul Gaultier, les photographes se sont bousculés quand deux invitées sont arrivées, Catherine Deneuve et moi. » Même aller au Gala de l’ADISQ exige un effort. « J’y vais, parce que je pense à mon public. Sinon…»

Autre confession : malgré sa photogénie évidente, prendre la pose n’est pas un exercice qu’elle envisage avec joie. Sauf le jour où elle s’est retrouvée devant l’objectif de Peter Lindbergh, un fantasme de dévoreuse de magazines de mode qu’elle avait classé dans la section « impossible ». Et la voilà qui fonce vers sa bibliothèque et en revient sur un nuage avec, dans ses mains, un livre imposant – édité par son « ami porte-bonheur » – rassemblant les clichés emblématiques de ce photographe légendaire. Elle le feuillette : Kate Moss, Nicole Kidman, Cate Blanchett… et, surprise, mon hôtesse. Cette photo, étonnante – une Isabelle pas glamour, pas coiffée, sans maquillage et cigarette aux doigts, elle qui ne fume pas – « c’est moi, affirme-t-elle, c’est vraiment moi. Et c’est ma préférée de toutes. »

Isabelle Boulay Châtelaine Été 2023

Photo : Andréanne Gauthier

… et un ogre

Son statut social en France a bondi de quelques crans depuis que des paparazzis ont dévoilé en 2016 qu’elle est la compagne d’Éric Dupond-Moretti.

C’est grâce à des amis communs qu’elle a rencontré cet avocat-criminaliste redoutable, devenu l’impétueux ministre de la Justice. « Emmanuel Macron lui-même l’a appelé pour lui offrir le poste le 7 juillet 2020, jour de mon 48e anniversaire. Et ce n’était pas le plus beau jour de ma vie. » Le sujet est sensible et Isabelle, visiblement, pèse chaque mot, chaque intonation. « Dans le couple, la star, ce n’est pas moi, c’est lui », dit-elle en souriant.

Puis, plus sérieuse : « Je voulais que rien ne change, et rien n’a vraiment changé, à part les gardes du corps. Ils sont formidables et d’une discrétion absolue. Quand je fais mon épicerie, il y en a deux qui m’attendent à la sortie. J’ai l’impression que deux maris m’attendent.» Une situation qui lui est moins étrangère qu’on pourrait le croire. « Tu sais quoi ? J’en ai un peu l’habitude. J’ai été en tournée avec Johnny Hallyday et Charles Aznavour, des environnements où ce genre de protection existait. Il y a des années, pour visiter Euro Disney avec mon neveu de six ans, j’ai eu besoin d’un garde du corps qui se faisait passer pour un photographe. »

Elle dit bien s’accommoder d’un amour à distance. « J’ai l’impression que je vis ici et que je vais là-bas. Les hommes qui chantent ont ce “privilège” que leurs femmes les suivent : Paul Daraîche, sa femme est tout le temps avec lui. Charlebois, Laurence est souvent là. Ce privilège, nous, les chanteuses, on ne l’a pas. Parfois, ça arrive, mais pas longtemps. On n’est pas des femmes traditionnelles…» Son amoureux n’est pas très conformiste non plus. Les médias français le décrivent souvent comme « enragé », on le surnomme « l’Ogre du Nord ». Ça fait peur… lui dis-je. La belle rousse rit de bon cœur. « Penses-tu que j’ai peur ? Éric a une personnalité débordante dans un monde étriqué. Les gens qui ne dépassent jamais les lignes, en entend-on parler ? Jamais. Lui, il dépasse les lignes, il colorie en dehors des lignes. Ça me plaît. Ah, il arrive. »

Pas l’Ogre, ouf ! mais Marcus. Sa mère me le présente, c’est un ado timide et bien élevé. Ils échangent trois mots, il repart. « Il est grand, il m’a dépassée. » Et moi, j’ai dépassé le temps alloué pour l’interview. Comme toujours, je quitte la chanteuse enchanté.

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