Vêtue d’un simple jean et d’une chemise ample, sa chienne Sam sur les talons, Marie-Andrée Labbé m’accueille dans l’immense loft qu’elle partage avec sa copine, la journaliste et chroniqueuse Judith Lussier. Hauts plafonds, déco minimaliste, couleurs apaisantes, l’endroit inspire. Et c’est tant mieux, car les aventures de l’urgentologue Emmanuelle St-Cyr et de ses collègues de l’hôpital St-Vincent, c’est ici, sur la table de la cuisine, qu’elle les imagine. Quatorze heures par jour, sept jours sur sept.
Ce rythme de travail un peu fou, digne de la routine d’une athlète olympique, la comble. « Même si la discipline que je m’impose [NDLR : elle s’accorde une heure d’exercice par jour] peut paraître stricte, elle me donne une grande liberté. Mon horaire varie peu, mais mon imaginaire, lui, me transporte. Une seule journée dans l’univers de STAT me plonge dans toute la gamme possible des émotions. »
Et Marie-Andrée Labbé en a fait voir de toutes les couleurs au public québécois au cours des dernières années. Ses séries télé, empreintes de sensibilité et d’humanité, permettent à tous de se reconnaître, de rire d’eux-mêmes et, surtout, de sortir de leur zone de confort.
Dans Trop, comédie portée par Evelyne Brochu et Virginie Fortin, elle s’est attaquée au tabou de la santé mentale en mettant en scène un personnage attachant aux prises avec un trouble bipolaire. Dans Sans rendez-vous – dont la troisième saison est en cours d’écriture –, les aventures de Sarah, l’infirmière-sexologue incarnée par Magali Lépine-Blondeau, ont décomplexé la sexualité au féminin et sa diversité. « L’intimité est ma source première d’inspiration. Je place souvent mes personnages dans des situations d’empathie et d’amour qui me permettent d’explorer des zones plus délicates », explique-t-elle.
Ce n’est pas un hasard si ses trois plus récentes œuvres tournent autour de la santé – physique, mentale ou sexuelle. « L’influence que la télé a sur les gens et les mentalités est très puissante. Elle peut rassurer, permettre de comprendre, de s’identifier, de communiquer. Mon objectif premier est de divertir, bien sûr, mais pourquoi ne pas aussi essayer d’aider les gens à vivre ? »
Le petit écran a toujours été une grande source de réconfort pour l’autrice. Très jeune, elle se blottissait contre sa mère, dans leur maison de L’Anse-Saint-Jean, au Saguenay, pour regarder des téléromans québécois, dont Rumeurs, qu’elles ont toutes deux adoré. « Lorsque ma maman est décédée, en février dernier, c’est l’écriture de STAT qui m’a donné le courage de continuer. Cet intense exercice de scénarisation m’a permis de découvrir les forces insoupçonnées qui se trouvent en moi », lâche-t-elle.
Avec ses séries, l’autrice permet aussi aux téléspectateurs d’en apprendre plus sur eux-mêmes et sur les autres, dans le respect et la bienveillance. Depuis la diffusion de Trop, en 2017, les messages de gratitude ne cessent d’affluer. « Avec le personnage interprété par Virginie Fortin, je voulais montrer que les gens touchés par des problèmes de santé mentale ne sont pas que ça. Ils sont des amis, des sœurs, des amoureux, des rêveurs. »
Marie-Andrée se dit encore émue par le témoignage d’une mère qui a renoué avec son fils atteint d’un trouble bipolaire grâce à Trop. « C’est mon job de mettre des mots sur les choses qu’on n’est pas toujours capable de se dire dans la vraie vie. Si j’ai une responsabilité comme autrice, c’est celle-là. »
L’écriture d’une quotidienne représente un inestimable terrain de jeu pour mettre en opposition différents points de vue sur la société. « Quand j’écris, je suis d’abord guidée par mes propres envies et émotions. STAT me donne toutefois une liberté que d’autres formats, comme les comédies s’échelonnant sur quelques épisodes, ne permettent pas. »
Avec 120 épisodes par année à créer, la jeune femme à l’aube de la quarantaine a tout son temps pour introduire en douceur des situations atypiques. « Quand je fais entrer un personnage de drag queen à l’urgence, j’ai le luxe de disposer de plusieurs épisodes pour que le spectateur l’apprivoise. Je ne cherche jamais à protéger le public, je sais qu’il est capable d’en prendre. »
En tant que femme homosexuelle, elle comprend bien ceux et celles qui aimeraient voir davantage leur réalité portée à l’écran. « Mettre en scène des personnes marginalisées fait partie de la solution, mais c’est loin d’être suffisant. Pour que tout le monde se sente représenté, il faut d’abord penser à la diversité de voix. Il faut aussi donner de la place aux auteurs issus de différents milieux. »
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