On lui doit Québec–Montréal, Tout est parfait, 1981, Requiem pour un beau sans-cœur, Les aimants, 1987, Anna, mais aussi, on l’oublie, La guerre des tuques – son tout premier film – et la série La vie, la vie ! En King Dave, la productrice Nicole Robert, présidente de Go Films, a certainement trouvé son projet le plus ambitieux : une pièce coup de poing, écrite et interprétée par le comédien Alexandre Goyette, transformée en un plan-séquence réalisé par Podz (en salle le 15 juillet). L’histoire ? Un blanc-bec se retrouve pris dans la spirale violente des gangs de rue. Le résultat : impressionnant.
Vous avez déjà affirmé que L’affaire Dumont (2012) était le film le plus complexe que vous ayez dû produire, entre autres parce que les répliques en cour devaient être fidèles mot pour mot à la réalité. Vous étiez en manque de défi pour décider de transformer une pièce solo en un plan séquence de 91 minutes ?
Je dois aimer les gros bardas ! (rires) L’affaire Dumont était un drame judiciaire basé sur l’histoire vraie d’un innocent emprisonné (incarné avec brio par Marc-André Grondin). J’ai failli perdre tout ce que j’avais. On a reçu une requête en injonction, car certaines personnes ne voulaient pas que certaines choses se disent. Il a donc fallu négocier virgule par virgule le film avec des avocats. Une frustration de tous les jours.
Mais King Dave, c’est autre chose, c’est un défi de production. Le projet est né il y a 10 ans, quand Alexandre Goyette jouait la pièce sur la scène du théâtre La Licorne. Il avait déjà pris contact avec Podz pour en faire un film. Après la représentation à laquelle ils m’avaient invitée, ils m’attendaient avec une bière et Podz m’a dit : « Tu sais comment on va le faire ? En un seul plan-séquence… » Et j’ai répondu : « Wow, j’embarque. »
Pourquoi opter pour un plan-séquence ?
Pour préserver le rythme de la pièce, dans laquelle Alexandre jouait tous les personnages et simulait tous les lieux. On a beaucoup travaillé en amont, on a pris quelques libertés par rapport à l’original en créant trois temps : celui où Dave se revoit enfant, qui est la première scène du film, avant que le plan-séquence commence, celui où il est en prison et celui où l’histoire se déroule. Dave nous raconte la même histoire, dans un seul souffle, en s’adressant aux spectateurs et aux personnages.
Et techniquement, comment en êtes-vous arrivés à réaliser cette prouesse ?
Au départ, on pensait tourner en studio. Ça me semblait plus prudent que d’avoir à gérer les intempéries. On a donc fait appel à une prévisualisation, c’est-à-dire qu’Alexandre a enregistré sa pièce sur un fond vert, des techniciens ont construit le décor numériquement et ont fait s’y déplacer Alexandre. C’est là qu’on a réalisé qu’il n’y avait pas de studio assez grand : ça prend une certaine profondeur, sinon les caméras sont trop collées sur les acteurs. Construire les décors nous aurait coûté une fortune.
Le directeur artistique, André Guimond, s’est alors promené dans la ville pour dénicher un quartier qui répondrait aux exigences du scénario. Il a trouvé un circuit dans l’est de la ville, qu’il a élaboré à partir de bouches de métro.
Alors qu’un film au Québec se tourne sur une vingtaine de jours, nous on tournait en une nuit, sur un parcours de neuf kilomètres, dans plus de 20 lieux. On en a utilisé des vrais, mais on a aussi bâti une réplique de l’appartement de Dave dans une cour entre deux maisons, et on avait des décors ambulants, le bar et la chambre d’hôtel. Il fallait une équipe extraordinaire : chaque lieu devait être prêt, éclairé en tout temps, chaque figurant en place, les acteurs devaient être dans l’émotion au moment où l’équipe arrivait. Une fois que l’acteur avait fini sa scène, quelqu’un le transportait en voiture dans son autre lieu, en passant hors du périmètre de tournage – les neuf kilomètres étaient barrés pour nous, on a eu un soutien policier constant. Personne ne voulait être celui qui ferait rater le plan-séquence. Tout le monde a dû réinventer son métier. On a fait cinq prises et chaque fois, quand Podz lançait son seul et unique « Action ! », on était tous sur l’adrénaline.
Sans parler du principal interprète, qui n’a pas de pause, lui, puisqu’il est de toutes les scènes…
Il a livré une performance hallucinante. À la fin de chaque tournage, il était exténué. Des cinq prises, c’est la dernière qu’on a retenue. Quand il pleure lors de la dernière scène, ce sont de vraies larmes, parce que, pour lui, c’était la fin de toute cette aventure, et il savait que la prise était bonne. Ç’a été une expérience unique. On avait un plateau à l’américaine, avec tous les figurants et les techniciens mobilisés pour la totalité du tournage, et on a fait ça avec un budget inférieur à cinq millions.
Le directeur photo Jérôme Sabourin a dû s’entraîner plusieurs semaines avant le tournage, puisqu’il se déplace en suivant Alexandre Goyette à l’aveugle, parfois en courant ou en reculant. Quelqu’un devait le surveiller constamment pour l’empêcher de trébucher. On voit l’acteur en compagnie de Mylène St-Sauveur, qui incarne une amie de la copine de Dave (jouée par Karelle Tremblay).
La magie du cinéma, c’est aussi de recréer un bar dans une roulotte afin qu’Alexandre Goyette puisse rejoindre le lieu de tournage suivant sans avoir à parcourir en temps réel la distance. Les verres étaient collés sur le comptoir pour s’assurer que tout reste en place malgré les cahots sur la route.
Si certains détails ont été réglés en post-production, comme le sang qui macule le visage d’Alexandre Goyette après une bataille, d’autres dépendaient de facteurs imprévisibles. Comme ici, alors que l’acteur devait exécuter un mouvement précis. Sur une des prises, la barre utilisée a cassé… fermez les moteurs, il a tout fallu recommencer le plan-séquence.
Podz donne ses directives dans l’appartement de Dave (Alexandre Goyette), qui a été entièrement construit dans une cour entre deux maisons, encore une fois pour limiter les déplacements de l’acteur, puisque le film se déroule en temps réel.
Un aperçu de l’équipe mobilisée pour le tournage, qui s’est fait entièrement de nuit. En tout, 62 acteurs, 175 figurants et 130 techniciens ont participé à King Dave.
Votre prochain film, Nelly (sortie en 2016), ne manque pas d’audace lui non plus : une seule actrice pour interpréter quatre facettes de l’écrivaine Nelly Arcan…
En effet ! Une tout autre histoire. L’écriture d’Anne Émond (scénariste et réalisatrice) est très forte. Elle est arrivée avec cette idée de la présenter en quatre aspects : l’écrivaine, la putain, la star à la Marilyn et l’amoureuse jalouse, le tout, librement inspiré de la vie et de l’œuvre de Nelly Arcan. Ici, c’est davantage un défi de costumes et de décor, parce qu’on a tourné à plusieurs endroits, dont Paris. Et un défi de jeu. Mylène Mackay l’a amplement relevé, elle est exceptionnelle. Ce ne sera pas un biopic traditionnel, on ne voulait pas que ce soit people ni inscrit dans une chronologie. La structure est déconstruite.
Nicole Robert en vrac
Votre meilleur coup perso : Difficile de choisir ! Québec–Montréal (2002, de Ricardo Trogi), ç’a quand même été marquant. Et Tout est parfait (2008, d’Yves Christian Fournier) aussi, puisque le sujet, un pacte de suicide entre ados, était difficile.
Un échec qui vous a permis de rebondir : J’ai commencé avec un succès (La guerre des tuques, 1984, d’André Melançon). Après, j’ai fait Laura Laur (1989, de Brigitte Sauriol), qui a été planté par la critique. C’est là que j’ai vu qui étaient mes vrais amis ! Mais chaque écueil me fait rebondir, me stimule à remonter le creux de la vague. Ça reste toujours dur quand des films ne marchent pas au box-office. Les mauvaises critiques ont une influence indéniable sur la fréquentation en salle.
Le moment le plus décourageant dans l’aventure King Dave : Quand j’ai réalisé qu’on fonçait dans un mur financier à 300 km/h, j’ai angoissé. On dépassait les coûts, j’avais sorti des sous de ma poche. Ça a des conséquences sur ma maison de production, mon équipe, ça prend de l’argent pour avoir une continuité. Si j’en perds, je suis obligée de restructurer.
Votre diagnostic sur l’industrie du cinéma québécois : On est sur la corde raide. En questionnement à plusieurs niveaux : ça coûte cher, on ne peut pas dépenser des millions si nos films ne sont pas vus par le public. On ne peut pas non plus imposer une façon d’écrire, les œuvres doivent continuer de partir de leurs créateurs, que le résultat soit sombre ou joyeux. Du côté des distributeurs aussi, il faudrait qu’on laisse les créateurs amener leur vision à l’écran au lieu de décider de ce qui va se produire au Québec. Le manque de financement nous limite, est-ce à dire qu’on doit se tourner uniquement vers le web ? Il faut prendre le temps de s’interroger sur ces points.
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