Générale

La vérité toute nue

Vous irez la lire sur la vérité et la fiction. Vaste question qui me passionne depuis toujours étant donné que je fais souvent dans l’auto-fiction journalistique quand ce n’est pas dans l’auto-friction tout court. Durant les vacances, une affectueuse amie-lectrice de longue date (elle me connaît depuis avant ma naissance, c’est dire!) me disait: « on a souvent l’impression que tu nous charries ». Ça m’a fait sourire. Non seulement je ne vous charrie pas mais je vous épargne. Si j’étais une banque, je serais riche. Avec une seule véritable histoire, je suis capable de faire fructifier et d’en tirer un billet de blogue, un article dans Le Devoir, un commentaire à la radio et un chapitre de mes mémoires intimes qui seront publiées après ma mort pour le plus grand bonheur de mon seul et unique héritier.

Par soucis de ménager les protagonistes impliqués, ma progéniture, la réputation de la famille (déjà assez salie même si on s’appelle Blanchette) et le peu de crédibilité qui me reste, je dois ménager, couper les coins ronds, amputer le récit, n’en raconter qu’une partie, me censurer un brin (imaginez tout le crunchy qui vous échappe, j’ai de la peine, vraiment), me reposer un peu.

Oui, oui, me reposer. Parce que raconter, c’est revivre. Et vivre ma vie est assez épuisant comme ça. La vivre deux fois chaque fois, je ne sais pas si j’en aurais la force. Bien payée, peut-être. J’attends des offres d’Hollywood et on s’en reparle.

addenda: « Être est une activité de fiction, ça veut dire qu’on ne peut penser et parler, penser et transmettre, penser et agir que grâce à la puissance fictionnelle de la langue elle-même et qu’on invente sa vie avec la fiction de la langue. Si nous pouvions, comme espèce humaine, intégrer cette petite chose si simple, nous ne verrions plus jamais ce que nous pensons ni ce que nous croyons de la même manière. Mais l’appareil narratif qui nous sert à créer nos histoires ne veut pas de cette petite chose très simple. C’est une idée qui l’empêche de fonctionner comme il sait devoir le faire pour la survie et le maintien de l’espèce. Nous ne pouvons pas reconnaître la nécessité de croire à nos propres histoires et nous tombons toujours des nues lorsque nous entendons parler des croyances des autres. Nous nous voyons comme des êtres affranchis de toute croyance à un moment où notre foi à l’imminence d’une réponse technologique définitive à la souffrance, à la maladie et à la mort est plus forte que jamais. Chaque individu, puis chaque grouppe d’individus, ne peut survivre sans les fictions qui le constituent, qui lui permettent d’entreprendre de génération en génération ses versions du monde. » Tiré de « Histoires de s’entendre », essai sur la provenance des histoires, comment elles naissent, ce qu’il faut faire pour qu’elles résonnent en nous, de Suzanne Jacob, Boréal (en librairie février 2008).

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