Chroniques

Ma découverte des CHSLD

Une histoire d’horreur, les CHSLD? J’étais persuadée que oui, sans aucune nuance. Jusqu’à ce que ma mère y soit hébergée.

Photo: iStock.com / Squaredpixels

«Finalement, ça va bien partout!» Ce commentaire ironique, je l’ai lu sur Twitter en réaction aux visites-surprises que multiplie Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, depuis qu’elle est en poste.

Sur place, devant la ministre, on déchire bien moins sa chemise que dans les reportages et les commentaires sur les réseaux sociaux. Mais comme le faisait valoir à juste titre le fils d’un résident d’un établissement visité, les gens atteints d’Alzheimer ou même légèrement confus ne sont pas toujours les meilleurs guides pour évaluer l’état des lieux.

C’est vrai. Mais je réalise aujourd’hui que le vrai drame, c’est la loterie du système: va-t-on tomber sur le bon numéro?

Dans ma famille, nous n’étions que craintes et suspicions quand nous avons appris l’automne dernier que la santé de notre mère, hospitalisée depuis des semaines, s’était tellement dégradée qu’elle ne pouvait plus retourner à la maison. Elle avait beau demeurer avec ma sœur, devenue proche aidante aguerrie!, les soins désormais requis rendaient la chose impensable.

La destination était donc claire: le CHSLD, avec passage en «ressource intermédiaire» en attendant qu’une place se libère. Et si nous avions le choix de l’établissement final, nous n’avions pas un mot à dire sur la «RI», ce passage «en attendant» où notre mère se retrouverait à quelques heures d’avis. Bienvenue dans un univers parallèle dont nous ignorions tout!

Je me suis donc découvert un intérêt tout neuf pour les gens de mon entourage qui avaient, ou avaient eu, un membre de leur famille placé en RI ou en CHSLD. Et ça ne m’a pas rassurée!

Pour plusieurs, le passage en ressource intermédiaire avait été particulièrement éprouvant: chambres à deux trop petites, minimum de soins, pas de loisirs ni soutien, le tout dans des endroits à l’autre bout de la ville! Juste à entendre ça, je tempêtais déjà.

Faut-il croire aux miracles? Une fois son séjour hospitalier complété, ma mère a été dirigée vers une ressource intermédiaire située à un coin de rue du CHSLD qu’elle a choisi et pas très loin de ce qui avait été, pendant des décennies, son «chez elle». Soulagement, elle restait dans son quartier!

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Cette RI se trouve par ailleurs dans une aile d’un petit hôpital, où l’on a aménagé une unité d’hébergement – en gros l’équivalent d’un CHLSD – où logent résidents temporaires comme permanents.

Qu’y avons-nous trouvé? Larges corridors joyeusement décorés, des fenêtres qui laissent entrer la lumière, de grandes chambres même si elles sont partagées et, surtout, du monde! Du personnel attentif même si affairé, des bénévoles et des responsables d’activités variées. Bref, tout ce qui fait sourire une ministre!

Depuis, nous n’avons qu’un souhait: que maman reste là pour de bon! Pas de réponse encore (la bureaucratie est une des plaies du système de santé), mais au moins on apprécie chaque jour les services qu’elle reçoit.

En fait, je considère d’un autre œil l’existence même des CHSLD. Je n’arrive plus à mordre dans le cliché du lieu qui regroupe des vieux abandonnés par des familles sans cœur, aux mains d’un personnel insouciant.

Je vois plutôt essentiellement des gens très très âgés (même si se glissent dans le lot des individus plus jeunes) et qui sont en grande perte d’autonomie. À moins d’installer l’hôpital à la maison, même la famille la plus dévouée échouerait à la tâche. L’extrême dépendance, c’est la contrepartie – que l’on refuse de voir – de notre espérance de vie qui allonge. C’est un choc pour la personne âgée et pour son entourage d’être tout à coup confrontés à ce tabou.

Je constate aussi que là où est ma mère, le noyau de l’équipe est d’une grande stabilité, même si s’y greffe aussi du personnel d’agence. Et ça c’est reposant après deux mois d’hôpital où l’on avait droit à la rotation incessante des équipes de médecins et d’infirmières – avec qui il fallait en plus chaque fois tout reprendre depuis le début, parce que ces gens débordés n’avaient pas le temps d’ouvrir l’épais dossier médical de notre mère. (Plus je les fréquente, plus ma liste de griefs contre les hôpitaux s’allonge!)

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Mais là, Chantal, Julie, Talia, Mohamed…, autant de repères pour ma mère et pour nous. Les soins se donnent, des liens se créent. J’ai en tête les deux préposées aux bénéficiaires croisées la semaine dernière, alors que je quittais le chevet de maman. Elles s’en allaient justement la voir, chansons d’Édith Piaf dans les poches, parce que ma mère aime chanter. On était loin de l’horreur…

Et puis, j’ai des nouveaux héros: le «calleux» de bingo, la dame aux chiens, la délicate coiffeuse, les chanteurs, les musiciens – toutes celles, tous ceux, qui viennent adoucir les jours de résidents qui se déplacent avec peine, ne parlent plus beaucoup, ne sont pas «toutte là».

Avant, je l’avoue, j’aurais trouvé pitoyables leurs efforts pour changer les idées d’un public qui leur porte peu d’attention. J’aurais même rigolé en douce des carrières de chanteur de CHSLD. Plus maintenant.

J’inviterais plutôt ceux qui se demandent à quoi servent les artistes à venir faire un tour. Quand la vie s’étire ou s’en va doucement, un pianiste, une chanteuse a plus d’importance que tous les ingénieurs, avocats, médecins et le reste réunis. Le sourire qui s’esquisse, la petite étincelle qui traverse soudain un regard égaré…, bien sûr que c’est l’art le fondement de la vie!

Et je me dis que cette chance qu’a ma mère d’être dans un tel endroit devrait être garantie à tous plutôt que livrée au hasard. On peut compter sur des centres de la petite enfance de qualité dans tout le Québec; il faut désormais l’équivalent pour tous ceux, toutes celles qui, par grand âge ou maladie ou handicap, doivent loger dans un CHSLD, ou ses équivalents. Tant mieux si Marguerite Blais y voit personnellement.

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

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