Chroniques

Une mère adéquate? Un texte d’Erika Soucy

Ah! La culpabilité maternelle! L’écrivaine Erika Soucy se demande pourquoi il est encore si difficile pour elle de mener sa carrière sans avoir le sentiment d’être une mauvaise mère.

Erika Soucy (Photo: Atwood Photographie)

Assez tôt dans ma vie, j’ai fondé une famille. J’avais 23 ans quand j’ai mis notre fils au monde et je me suis mariée avec son père peu de temps après. Notre fille, elle, est arrivée quatre ans plus tard, juste après qu’on a acheté une maison en périphérie de la ville de Québec. (Je refuse le terme «banlieue». J’habite un village à la périphérie d’un grand centre, c’est différent.) Mon mari et moi sommes toujours amoureux après 10 années de vie commune, et nos deux enfants sont le centre de notre univers.

Je n’ai pas grandi dans une famille nucléaire. Mes parents ont divorcé quand j’étais jeune et j’ai été élevée par ma mère. La stabilité familiale, une seule maison où grandir, une dynamique de couple saine et inspirante, je n’ai rien eu de tout ça. Je suis partie en appartement à 17 ans pour étudier, boire et multiplier les amants.

Une vie de famille rangée ne faisait pas partie des avenues auxquelles je pouvais rêver.

Quand j’ai rencontré mon mari (appelons-le mon chum), je savais que je tombais amoureuse d’un gars à l’enfance heureuse. Je défie quiconque ne croit plus au concept du couple de passer une soirée avec mes beaux-parents sans les envier! Je savais que l’homme avec qui je voulais faire un bout de chemin, il croyait à ça, lui, l’amour qui ne meurt jamais.

Fair enough. J’envisageais l’engagement à long terme comme un truc exotique où tout était à construire; selon des paramètres à l’image de nos histoires, de nos blessures, de nos expériences de vie. Et c’est ce qu’on a fait.

À part être une blonde qui reporte ses deadlines pour un apéro en amoureux (avant la fermeture du service de garde, c’est magique!), je suis une mère de famille qui gagne bien sa vie, a du succès, cuisine très peu. Si je suis une femme qui ne ratera jamais une occasion de faire garder ses p’tits pour sortir avec son homme, je suis aussi celle qui raconte les histoires les plus longues avant le dodo… mais qui supervise les leçons via Skype deux soirs par semaine parce qu’elle travaille à des heures atypiques loin de la maison.

Je m’occupe du lavage, ne conduis pas et pars à l’occasion dans des festivals littéraires où on me traite aux petits oignons, pendant que mon chum rentre du travail et se tape seul le souper, les bains, les lunchs. Je suis la mère qui va à tous les rendez-vous médicaux, celle qui pense aux inscriptions aux cours, celle qui gagne plus cher. Je suis la femme qui refusera toujours de rester au foyer et qui sait que le jour où ce sera possible de payer les comptes avec son seul salaire, le père de ses enfants pourra retourner aux études et finir par gagner sa vie grâce à son amour de la rénovation. Le lavage, je risque de ne jamais y échapper, mais pour le reste, c’est 50/50.

Et puis là, maintenant qu’on y est, que je vis l’idéal du modèle hétérosexuel de famille nucléaire, je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise. Je m’en veux de ne pas cuisiner, d’être le parent qui découche pour le boulot, de n’être jamais celle qui s’occupe de la marmaille toute seule, parce que papa, lui, fait du neuf à cinq. Chaque tâche dévolue d’emblée à la mère que je n’exécute pas au quotidien déclenche chez moi un réflexe d’autoflagellation. Je me sens si vite inadéquate.

Photo: iStock.com / boonchai wedmakawand

Et vous dire que ma condition de «femme libérée» (gros roulement d’yeux) ne m’attire aucun jugement extérieur serait mentir. Je fais l’objet de remarques de mon entourage qui, ça me désole de l’écrire, viennent surtout d’autres mères. Elles aussi, j’imagine, se mettent beaucoup de pression.

J’aurais tendance, ici, à accuser le modèle auquel j’ai adhéré: celui de la famille ordinaire de banlieue (de la périphérie, pardon); la famille qu’on croit sans histoire, avec une carte de membre exécutif de Costco.

Je plaiderais qu’il s’agit d’un des derniers modèles à redéfinir. On pourrait repenser un entre-deux, quelque chose d’assez simple qui décloisonne le rôle des sexes sans revendiquer l’éclatement complet du couple et de ses balises.

Je veux qu’une mère qui allie carrière atypique et famille ne soit plus considérée comme marginale, spéciale, «vraiment chanceuse d’avoir un chum qui endure ça». Et si c’était mon mari qui découchait pour le boulot? Je sais, je sais… vous l’avez entendu cent fois cet argument du double standard. N’empêche qu’on dirait de lui qu’il est tout simplement en voyage d’affaires 

Mais au lieu d’attendre que ça tombe du ciel et que les autres changent d’opinion sur mon rythme de vie, il faut que moi, je travaille à m’accepter. Que je cesse de me marteler que je suis adéquate dans mon rôle de «mère différente», et que je commence à y croire.

Et à en être fière.

***

L’écrivaine Erika Soucy est codirectrice artistique de L’Off-Festival de poésie de Trois-Rivières, qu’elle a fondé en 2007. Son roman Les murailles (VLB éditeur, 2016) a été adapté pour les planches et a tenu l’affiche du Théâtre Périscope, à Québec, en avril.

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