Autant les entraînements de groupe sont motivants, joyeux et stimulants, autant la course en solitaire est l’expérience la plus enrichissante qu’on puisse s’accorder.
Pas de distractions. Pas de téléphone. Pas d’échappatoires. Un rendez-vous en tête à tête avec la personne qui nous exaspère le plus au monde, mais à qui on n’a pas vraiment le choix de faire confiance.
Soi.
Une occasion de s’offrir un luxe rare. Du temps, du silence et le corps en mouvement, sans linge à plier, sans vaisselle à faire. Parfaitement disponible. Le moment idéal pour se poser une question de la plus haute importance… Et alors, comment tu vas, toi?
Tiens, oui, c’est vrai. Comment vais-je?
Heu…
Il y a longtemps qu’on ne s’est pas posé la question, et soyons francs, il y a longtemps que la réponse a intéressé quelqu’un pour vrai.
Comment je vais? T’es sûre que tu veux entendre la réponse, fille?
J’ai quinze kilomètres à mettre au compteur ce matin, j’ai tout mon temps, vas-y, je t’écoute.
Et c’est ainsi qu’au fil du macadam ou de la terre battue, le petit ruisseau né d’une question toute simple devient un fleuve qui prend toute la place. Sur quinze kilomètres. Sans personne pour vous interrompre (ça vous arrive dans la vraie vie, ça? Moi, non. Alors 15 kilomètres d’écoute active, c’est un miracle).
On avance, épatée de ne pas avoir senti les kilomètres passer. On en avait des affaires à se dire! Un truck de gros vécu à « déloader »! La grande lessive! Le ménage de printemps en automne!
Quelques kilomètres de plus, et on pourrait même se parler dans le casque. Rendu là, allons-y pour la totale… Go, shoote-le ce que tu as à me dire, fille, je suis capable d’en prendre.
Oui? Très bien, tu l’auras voulu. Dis-moi, combien de temps tu vas t’entêter dans ce rôle, ce boulot, ce mariage, cette amitié, sans te questionner sur ta part de responsabilité dans cette situation, cette relation? Il faut que ça change, non?
Oui. Il faut que ça change. Sinon, tu vas tuer quelque chose de précieux et ce sera irrémédiable.
Ce moment crucial se situe au 17e kilomètre (allez savoir pourquoi, ça doit être de la numérologie sportive). C’est comme un roman policier. Impossible d’arrêter, même sanglante, on veut la suite.
Alors on prend un détour qui nous rallonge et au 18e kilomètre, on a une illumination. Oui, oui, et oui, c’est le colonel Moutarde l’assassin!
Maintenant pour savoir quel usage on fera de cette révélation, il faut pousser un peu plus loin. Juste un peu, quelques kilomètres, allons, allons, on y est presque.
Alors on se rajoute un bon 3 km de plus. Pendant lesquels ça déboule. On trouve, non pas une, mais plusieurs solutions, qui, ma foi, sont toutes plus pertinentes (et quelquefois sanglantes… ) les unes que les autres.
Voici les actions que je dois entreprendre pour changer ce qui me gâche la vie. On le voit. Clairement. Et une fois qu’on a vu, impossible de retourner en arrière.
Et c’est comme ça, mesdames et messieurs, qu’on se retrouve à courir des marathons. Parce qu’on avait besoin de temps pour penser.
Personne pour nous venir en aide, personne pour nous motiver, personne pour nous tenir compagnie. Et personne pour nous interrompre!
En parfaite autonomie.
Seuls au monde devant l’horizon qui ne demande qu’à s’ouvrir.
C’est la beauté des courses en solitaire. Parce que c’est seulement dans cette solitude que se présentent à nous les solutions les plus lumineuses.
Je plains les gens qui ne savent pas courir seuls…
Ils ne sauront jamais qui était l’assassin.
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