Sexologue réputée, communicatrice hors pair, elle a écrit Le sexe en mal d’amour (2005) et Les femmes vintage (2010). À Châtelaine qui lui demandait son top 5, elle a répondu : « Ce ne sont pas forcément mes livres préférés. Ce sont ceux qui ont donné un axe à ma vie. »
Histoire de la reine de Bohême et de ses sept châteaux (1906)
J’ai huit ans lorsque je suis éblouie par cet objet d’or et de papier, écrit par Charles Foleÿ. Cela se passe au vieux presbytère, pendant que la servante du curé tamponne une profonde blessure que je viens de m’infliger au genou. Un livre si grand qu’il contient terres et royaumes, vassaux rebelles et sujets fidèles. Il frétille des aventures sans fin d’une jeune reine et de son chevalier. Je l’ai lu mille fois, rituellement… Jeanne, reine de Bohême, je te dois mon coup de foudre pour les mots et les histoires, le voyage et l’aventure.
L’amant de Lady Chatterley (1928)
Soir d’automne monotone. Seule à la maison, je me cale dans mon lit avec ce livre prohibé de D. H. Lawrence. J’ai 14 ans et me voici transportée dans la cabane du garde-chasse Oliver Mellors à contempler fiévreusement ses ébats avec Constance Chatterley. En faisant des ronds avec la fumée de ma cigarette interdite, je me consume. Assister au big-bang ne m’aurait pas chamboulée davantage. L’impitoyable pouvoir des lettres, évocatrices, brûlantes, pénétrantes, me bouleverse. Allez donc savoir pourquoi j’aurai tant de misère à cesser de fumer plus tard et pourquoi j’aurai toujours ma cabane dans le bois !
L’avalée des avalés (1966)
Je votais pour la première fois l’année où ce roman m’a avalée. Bérénice Einberg, élevée dans la religion juive, forme, avec son frère Christian, futur lanceur de javelot, un couple tout démantibulé par les adultes. La jeune héroïne m’a rendue folle d’émotion, de bonheur lancinant, par sa beauté en révolte. En portant notre littérature par monts et par mers, la fougue et l’inventivité de l’écriture de Réjean Ducharme ont gonflé à bloc ma fierté identitaire. Il nous « déghettoïsait » et, ce faisant, j’ai cru qu’il libérait Bérénice et Christian, la paire d’ados recroquevillés. J’ai fermé ce livre comme on surmonte le désespoir.
Le deuxième sexe (1949)
Simone de Beauvoir avait 41 ans, moi 1 an, lorsqu’elle a lancé ce pavé dans la mare. C’est 24 ans plus tard, pendant les siestes de ma fille, que j’ai suivi ce retentissant procès du patriarcat. Pendant 1 000 pages, elle a éclairé ce qui sourdait confusément en moi : l’oppression de la femme est un fait de culture et pas de nature. Je trouvais, par cet ouvrage, ma parenté d’idées : féminisme, humanisme, existentialisme. J’ai feuilleté de nouveau des passages de l’essai pour écrire ce texte. Comme chaque fois que j’ai lu Beauvoir, j’ai cru entendre sa voix rauque et son débit précipité.
Trois essais sur la théorie sexuelle (1905)
J’ai lu cet ouvrage un week-end où je traînais chez un ami qui se prenait pour Freud. Si contestable soit-elle, cette théorie de la sexualité fut la première à montrer combien Eros est un moteur de croissance ou d’appauvrissement. Mais Sigmund Freud a mal compris les femmes, ce « continent noir », et a fondé toute sa doctrine sur le substrat masculin. En terminant son traité, j’ai décidé que je lui donnerais désormais la réplique. Un an plus tard, fin vingtaine, je suis retournée aux études et j’ai déposé une « lettre posthume à Sigmund Freud » en soutien à ma demande d’admission universitaire en sexologie.