Mode

Notre planète, victime de la mode?

Quelque chose ne tourne pas rond sur la planète mode. Surproduction, gaspillage, pollution, exploitation des travailleurs… Que faire pour renverser la tendance?

Planète Terre textile

Photo: iStock.com/Appfind (jeans). Illustration: iStock.com/smodj (planète Terre).

Sous les paillettes glam et les cascades de volants soyeux, l’univers de la mode cache sa part d’ombre. Depuis des lustres, cette industrie aux revenus annuels de 1 700 milliards de dollars a contourné les enjeux environnementaux et éthiques en toute impunité, polluant à outrance et offrant des conditions déplorables à ses travailleurs. Mais aujourd’hui, les mailles du tricot se resserrent sous la pression des activistes (merci, Greta!) et des citoyens soucieux de l’avenir de la planète.

Car il y a péril en la demeure. Chaque année, de 80 à 100 milliards de vêtements neufs sortent des usines du monde entier. Un secteur d’activité qui génère à lui seul 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre (GES) – soit davantage que les industries aérienne et maritime réunies – et qui compte pour 20 % de la pollution de l’eau, selon une étude menée par les Nations unies. Tout ça pour fabriquer des vêtements qui, pour la plupart, aboutiront à l’incinérateur ou au dépotoir après avoir été portés en moyenne… sept fois!

À vitesse folle

À qui revient la faute? Difficile à dire. Mais une chose demeure: la fast fashion porte une grande part du blâme. Cette pratique carbure à la surproduction de fringues à coûts dérisoires et dans des conditions précaires. «La mode éphémère contribue à la dégradation autant de l’environnement que de la qualité de vie des ouvriers qui la produisent. Les écosystèmes ont des limites bien réelles. La logique de la mode éphémère est simplement insoutenable», déclare Diego Creimer, porte-parole de la Fondation David Suzuki et coauteur du livre sur la transition écologique Demain, le Québec (Éditions La Presse). Elle est une conséquence directe de l’abolition, en 2005, des barrières commerciales par l’Organisation mondiale du commerce. Depuis, rien n’empêche les grandes marques de délocaliser leur production dans des coins du globe où les coûts de fabrication et les salaires sont infimes. Bienvenue en Chine, au Bangladesh, en Inde, au Vietnam… L’ouragan de la fast fashion souffle. Et il souffle fort.

Désormais, il n’y a plus de limites au nombre de nouvelles collections qui entrent dans les boutiques. La suédoise H&M, par exemple, en pond jusqu’à 16 par année. Et l’espagnole Zara, 24! Cette cadence infernale n’a pas épargné des designers influents comme le regretté Karl Lagerfeld, qui a fait voler en éclats le cycle semestriel des défilés de prêt-à-porter. Place aux collections «pré-automne», «croisière», et ainsi de suite. «Nous avons créé un produit dont personne n’a besoin, mais que les gens désirent», a déjà déclaré Lagerfeld, non sans cynisme.

Mais pour certains acteurs de l’industrie, pas question de se laisser emporter par la tempête. La designer Léonie Daignault-Leclerc, fondatrice de la griffe écologique Gaia & Dubos, de Québec, et autrice du livre Pour une garde-robe responsable (Éditions La Presse), crée des minicollections qu’elle met d’abord en prévente. Elle planifie ensuite la production selon les styles, les tailles et les couleurs les plus populaires. «Nous ne concevons pas d’immenses collections chaque saison. Nos nouvelles pièces s’intègrent à la gamme existante. Nous n’avons jamais un gros stock d’invendus», dit-elle.

Non contentes de surproduire, nombre de grandes marques brûlent leurs invendus. De 2013 à 2018, un géant de la «mode accélérée» a envoyé à l’incinérateur 60 tonnes de vêtements défectueux au lieu de les solder ou de les donner. La créatrice Émilie Rioux, de la bannière écoresponsable Meemoza, ne voit qu’une explication à cette destruction volontaire des marchandises. «C’est fait par peur que la clientèle ne vienne plus en boutique et aille plutôt dénicher ses marques préférées dans les friperies», affirme-t-elle.

Approvisionnement, étapes de production… la marque canadienne KOTN est très soucieuse de la transparence Photo: Instagram@kotn). | Du plastique et du caoutchouc recyclés pour cette sandale écolo de la boutique Spring, disponible dès le mois de mai 2020.

Un bilan accablant

Appauvrissement des sols, pollution de l’eau, contamination des terres cultivables: l’industrie de la mode est sans pitié. La fabrication d’un seul jean, par exemple, exige 10 000 litres d’eau, soit l’équivalent de 250 douches! Et ça ne s’arrête pas là.

Les plantes qui fournissent la matière première sont aspergées de pesticides. Le filage et le tissage nécessitent de l’énergie. Les traitements comme le blanchiment des fibres, le délavage des textiles et l’application de divers apprêts (pour imperméabiliser ou rendre infroissable) requièrent des produits chimiques très puissants. Les teintures contiennent des métaux toxiques – du mercure, du plomb, du nickel, du cadmium… Et où tous ces beaux produits aboutissent-ils? Dans l’environnement, en compagnie des microparticules de plastique, gracieuseté des tissus synthétiques comme le nylon, le polyester et l’acrylique. Lorsqu’on les lave, ces fibres fabriquées à base de pétrole relâchent des molécules trop fines pour être filtrées par les stations d’épuration des municipalités. Elles filent donc sans entraves vers les rivières, les fleuves et les océans, où elles sont avalées par la faune aquatique et aviaire. Les assauts contre la planète arrivent décidément de tous les côtés.

À gauche: Dexter et Byron Peart, les entrepreneurs derrière Goodee (Photo: Instagram@goodeeworld). À droite: La firme montréalaise Frank and Oak s’est mise à la technologie Hydroless pour traiter son denim. Le volume d’eau utilisé est réduit de 95 %.

La riposte s’organise

En octobre 2019, Montréal s’est doté d’un Plan directeur de gestion des matières résiduelles, qui compte interdire aux industries de textiles et aux commerces de détail de jeter leurs déchets et leurs invendus. Objectif: désengorger les sites d’enfouissement. L’échéancier de réalisation vise 2021-2022. Du côté provincial, le plan d’action de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles est échu depuis 2015 et n’a pas encore été renouvelé. L’automne dernier, le Parlement français a adopté un projet de loi qui proscrit l’élimination des invendus non alimentaires (vêtements, chaussures, produits de beauté et électroménagers), sous peine de sanctions financières. Une initiative dont on pourrait s’inspirer.

L’industrie cherche aussi à faire mieux. Pendant que l’activiste suédoise Greta Thunberg débarquait en Amérique du Nord en août 2019, 32 entreprises de la mode et du textile ratifiaient à Biarritz le Fashion Pact, suivies par 24 autres – ces 56 signataires représentaient ensemble plus de 250 marques. Elles se sont engagées à faire des efforts pour enrayer le réchauffement climatique, restaurer la biodiversité et protéger les océans.

Des exemples? Pour fabriquer ses sacs-cultes en nylon noir, Prada s’approvisionnera en matières recyclées et en déchets récupérés dans les océans d’ici la fin de 2021. Chez Louis Vuitton, Marc Jacobs et Fendi, 70 % du coton sera bio d’ici 2025. Même date butoir pour Zara, qui a pris l’engagement d’employer du coton et du lin biologiques. H&M vise à devenir 100 % «circulaire» d’ici 2030, c’est-à-dire à utiliser des matériaux qui existent déjà pour confectionner les produits, au lieu d’avoir recours à des matériaux neufs.

Les grandes capitales ont également sauté dans le train. Depuis 2017, Milan accueille les Green Carpet Fashion Awards, qui récompensent les marques et les personnalités les plus impliquées dans la cause de l’environnement. La ville de Stockholm, en Suède, a annulé sa Fashion Week en août 2019 pour protester contre la pollution textile. Chez nous, Vancouver a tenu pendant huit ans son Eco Fashion Week qui mettait en lumière les créations des artisans de la mode conscientisée. Faute de soutien financier, l’événement a tiré sa révérence en 2018.

Sa cofondatrice Myriam Laroche, aujourd’hui stratège et créatrice de contenu en mode écoresponsable, note une différence dans la mentalité des entreprises. «Le discours a évolué. L’intégration des pratiques durables et basées sur l’économie circulaire n’est plus considérée comme un fardeau financier par les organisations, mais bien comme un investissement stratégique», souligne-t-elle.

Défilé Dior: les cheveux tressés à la Greta Thunberg. (Photos: Imaxtree)

L’effort citoyen

Et si on commençait par porter ce qu’on possède déjà? Tant de vêtements dorment dans nos tiroirs… Envie d’une nouveauté? D’accord, mais définissons d’abord nos vrais besoins.

La qualité doit primer, selon la designer écolo Léonie Daignault-Leclerc. «Il n’est pas normal qu’un t-shirt coûte l’équivalent d’un latté. Un tel bas prix cache toujours quelque chose», précise-t-elle.

Benjamin Lafaille, de la griffe québécoise Laugh by Lafaille, abonde dans son sens. «Il faut penser à long terme lorsqu’on achète du neuf», lance-t-il.

Bien des entreprises qui veulent nous vendre leurs fringues font état de leurs efforts en faveur de l’environnement sur leur site web. Suffit d’ouvrir l’œil. Ainsi apprend-on que le groupe Aldo a été le premier de l’industrie de la chaussure à être certifié carboneutre au monde. Et que la marque canadienne KOTN assure la traçabilité de ses basiques, depuis les fertiles champs de coton de la vallée du Nil, en Égypte, jusqu’à leur arrivée sur les cintres des boutiques.

Préoccupée par les conditions de travail dans les usines? Par l’implication sociale des entreprises? Les jumeaux ontariens Byron et Dexter Peart, établis à Montréal, ont humé l’air du temps et ont lancé, en mai 2019, la plateforme électronique Goodee. Leur but: offrir des objets triés sur le volet en donnant des détails sur leur histoire, le choix des matières, les créateurs, etc. «Après deux décennies exaltantes dans le milieu de la mode, nous étions de plus en plus frustrés par les cycles saisonniers, le gaspillage, la dépendance aux tendances, disent-ils. Nous avons voulu briser le statu quo en créant une destination design inspirationnelle et éducative pour une communauté engagée de consommateurs et de fabricants, et ce, partout sur la planète.»

L’étiquette à la loupe

Selon Léonie Daignault-Leclerc, il y a bien sûr des matières plus écolos que d’autres, mais il est difficile d’élire la plus que parfaite. «La culture, la production et même le recyclage des textiles demanderont toujours un minimum de produits chimiques, d’énergie ou d’eau. Et certaines fibres naturelles sont désastreuses au point de vue environnemental. Les opérations nécessaires pour passer d’une tige de bambou verte à un tissu soyeux sont très polluantes», fait-elle remarquer.

Alors, quelle fibre privilégier? Le chanvre et le lin, qui sont très résistants et dont la culture nécessite peu d’eau. À l’inverse, la soif du cotonnier est impossible à étancher. On choisit donc un coton bio. Le lyocell (ou Tencel), fabriqué à partir de la pâte de bois, est peu exigeant en eau et en produits chimiques lors de sa teinture. En prime, il est biodégradable. Côté innovations, les déchets végétaux comme les feuilles d’ananas, les pelures d’orange et les fibres de banane sont convertis en textiles étonnants. La société québécoise Quartz Co. a remplacé le duvet en plumes de ses doudounes par de la fibre d’asclépiade, une plante herbacée, tout comme la très branchée marque de streetwear Pangaia, qui a lancé une collection de parkas isolés avec des fleurs séchées!

Sarah Burton, directrice artistique de la maison Alexander McQueen, a récupéré des dentelles d’anciennes collections. (Photos: Imaxtree)

À portée de (seconde) main

Écumer les friperies n’est plus un phénomène marginal, mais bien une tendance de fond, essentielle dans un modèle d’économie circulaire. Myriam Laroche sait très bien à quel point ces boutiques constituent des mines d’or. «Au moins 70 % de ma garde-robe est composée de pièces usagées. Je crois que c’est la façon la plus simple d’être écolo», lance-t-elle.

C’est aussi dans les friperies que bien des créateurs soucieux de l’environnement trouvent une partie de leurs matières premières. Apprêter les «restes» avec inventivité: c’est la mission du suprarecyclage (upcycling), qui revalorise des matériaux ou des objets condamnés à la poubelle. Par ici vêtements invendus, pièces vintage, chutes de tissu, textiles d’ameublement! On les élève à un nouveau niveau d’esthétisme.

Chez les designers de mode, l’iconoclaste belge Martin Margiela s’est révélé un pionnier du suprarecyclage à la fin des années 1980 en fabriquant des vêtements à partir de sacs de plastique. Marine Serre – sensation actuelle des défilés parisiens – a récupéré des stocks de foulards pour les transformer en robes drapées. Aux invités de son défilé d’adieu, en janvier 2020, Jean Paul Gaultier a livré un message visionnaire: «Dans mon premier défilé comme dans le dernier, il y a des créations faites avec des jeans que j’ai portés. […] Adieu le flambant neuf, bonjour le flambant vieux!» a-t-il écrit dans le communiqué de presse de l’événement.

Le défi pour les créateurs est de se procurer les matières qu’ils vont ressusciter. Émilie Rioux, de Meemoza, s’approvisionne en textiles non utilisés auprès de manufacturiers. Le designer montréalais Benjamin Lafaille fait des miracles avec de vieilles cravates et des t-shirts récupérés dans les friperies. Et pour les consommatrices qui se sentent d’attaque, l’application Upcycli, conçue par une jeune pousse montréalaise, propose entre autres des tutoriels de suprarecyclage. Prêtes à plonger?

Démarche écolo de Vogue Italia pour son numéro de janvier 2020: que des illustrations au lieu de photos. Pas d’énergie gaspillée pour les éclairages, pas d’avion pour déplacer les équipes… (Photos: Instagram@vogueitalia)

Petit soin va loin

Une autre manière de protéger la planète: sortir ses bobines de fil et ses aiguilles! Recoudre un bouton, refaire un ourlet, repriser une chaussette: tous des gestes qui éviteront d’envoyer un vêtement aux poubelles. Si la vue d’une aiguille nous fait frémir, nous pouvons confier les réparations à un professionnel.

Quant aux chaussures, elles méritent aussi notre amour. Faire ressemeler ou reteindre un modèle qu’on aime peut prolonger son existence de quelques années.

«Chacun doit trouver sa propre recette écolo selon ses valeurs, sa culture et ses ressources financières, matérielles ou technologiques. Nous devons tous investir du temps ou de l’argent, car rien ne se fera par magie», explique Myriam Laroche.

À eux seuls, ces efforts ne suffiront pas à sauver la planète, concède Léonie Daignault-Leclerc. Mais ils y contribueront. «J’espère que les gouvernements du monde entier imposeront des lois environnementales strictes aux industries et aux consommateurs. Si nous n’effectuons pas un changement radical dans notre façon de vivre, nous sommes foutus», conclut-elle.

La marque de baskets Cariuma s’est associée à Pantone, le temps d’une série limitée en «Classic Blue», la couleur de l’année.

Laver plus proprement

Faire notre lessive de façon écoresponsable est l’un des gestes les plus concrets que nous puissions accomplir au quotidien pour aider notre planète. De bonnes habitudes à prendre: diminuer le nombre de lavages, choisir le cycle court à l’eau froide, opter pour des produits naturels biodégradables et utiliser des pochettes spéciales pour retenir les microparticules de plastique, qui peuvent se dégager de tissus synthétiques, comme l’acrylique.

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