Ma parole!

Entre réalité et fantasme

Partout on nous dit qu’il faut avoir des rêves si l’on veut accéder au bonheur. Ce discours exerce une certaine pression sur nous, écrit Geneviève Pettersen.

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Quand j’étais petite, je rêvais d’être vétérinaire. Après, j’ai voulu devenir astronaute, princesse, chanteuse d’opéra, dompteuse de lions, maîtresse d’école, designer de mode et chirurgienne cardiaque. C’est pas compliqué, enfant, j’avais un nouveau plan de carrière toutes les deux semaines. Je dois avouer que ça n’a pas beaucoup changé. J’aspire à plein d’affaires tout le temps. Je ne partagerai pas mes rêves du moment avec vous parce que je pense qu’ils sont comme les vœux. Si on les révèle, ils ne se réalisent pas.

Par contre, il y a une chose qui m’énerve avec les rêves. La plupart d’entre eux sont irréalisables. Je n’aurais pas pu devenir astronaute ni chirurgienne cardiaque. Je suis poche en sciences. Et impossible pour moi de me réveiller un beau matin avec un diadème sur la tête. Je n’ai pas de sang royal, et les princes se font rares et s’avèrent souvent décevants. J’aurais sans doute pu faire maîtresse d’école ou dompteuse de lions. C’est un peu la même affaire. Mais je me suis découragée en cours de route parce que je suis allergique aux chats et que je n’ai pas de patience. Me restaient le design de mode et le chant classique, mais mon père n’a jamais voulu que j’étudie là-dedans.

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Photo: Plainpicture / Cultura

Partout on nous dit qu’il faut avoir des rêves si l’on veut accéder au bonheur – le vrai. Oui, les deux sont étroitement liés : l’un ne va pas sans l’autre, du moins si l’on se fie à tous les livres consacrés au sujet. Je ne sais pas pour vous, mais ce discours exerce une certaine pression sur moi. Comme si j’étais obligée de cultiver des rêves. Et pas n’importe lesquels. Des gros. Parce qu’il paraît que les petits, ça ne suffit pas. Il ne faut pas se contenter de souhaiter finir de rembourser son hypothèque ou courir 10 km en moins d’une heure. Nos désirs ne sont pas nés pour un petit pain. Il faut rêver à plus, aspirer à mieux et réaliser tous ses fantasmes, même les plus fous, au risque d’échouer sa vie.

L’échec est un concept un peu moins populaire, mais néanmoins indissociable de nos quêtes. Et de ça, on parle beaucoup moins. Pas un mot sur ce moment de lucidité, celui où l’on se rend compte que le projet que l’on caressait depuis des années ne se réalisera pas, ou pas comme on l’espérait. À force de vivre dans une culture qui tente de nous faire avaler que tout est possible, on finit par le croire. Si vous en doutez, vous n’avez qu’à allumer votre télé et à écouter l’une des cent douze émissions qui montrent un jeune homme autodidacte devenu milliardaire du jour au lendemain en inventant une application pour iPhone. Vous aurez beau changer de chaîne, pas un mot sur les obèses qui, après avoir perdu 200 lb avec un coach privé et une armée de nutritionnistes, en ont regagné 250 une fois les caméras éteintes. Pas un mot non plus à propos des perdants de La Voix ou des candidats qui ont été refoulés aux portes du Vol 920. L’échec, on ne veut pas le voir. Et c’est compréhensible. Personne n’aime s’avouer que la réalité gagne souvent contre le rêve.

Dans la préface de Danse macabre, de Stephen King, l’auteur John D. MacDonald y est allé d’une anecdote révélatrice sur notre rapport au rêve. Quand il assistait à des réceptions mondaines, il arrivait que des invités l’abordent en lui confiant que leur rêve aurait été d’écrire des romans. L’écrivain avait toujours la même réponse : il aurait aimé être un chirurgien du cerveau. Des fois, quand je me surprends à entretenir des fantasmes exagérés, je me dis que réaliser ses rêves, au fond, c’est juste les transformer en réalité. Et la réalité, ce n’est jamais tout à fait un rêve.

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

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