L'édito

Seuls ensemble?

Je me branche, tu me reçois, nous «connectons». Ensemble, nous engageons la discussion, un soir comme un autre, chacun derrière son écran.

Monic Richard

Je sirote un verre de blanc, tu laisses infuser une tisane au gingembre. De mon côté, j’amorce un ballet entre l’ordi et la boîte à lunch à préparer pour le lendemain. Du tien, tu valses entre nos échanges et un survol des journaux du week-end abandonnés sur la table du salon. Ensemble, nous commentons les dernières prouesses vocales des aspirants chanteurs en vedette sur le plateau de The Voice. La coupe de cheveux de Pénélope McQuade. Le résultat des élections en Alberta. Ensemble. Vraiment?

Une phrase de l’auteur Bernard Werber me revient souvent en tête : « Nous sommes à une époque où la communication va prendre énormément d’importance et où il faudrait avoir une réflexion : on communique quoi? quelles idées? » Pour moi qui participe avec ferveur au phénomène Twitter et qui défends farouchement la pertinence de ces gazouillis en 140 caractères, la question mérite que je m’y attarde. À quoi me sert mon « hyperconnectivité »? « Connecter », oui, avec plaisir, mais pourquoi au juste ?

Je ne suis pas la première à m’interroger sur le sujet. Nombre de blogueurs, de chercheurs, de pourfendeurs s’y sont intéressés avant moi. Certains pour dire que les contacts humains trouvaient un nouveau sens en cette ère numérique, d’autres pour déplorer le manque de profondeur inhérent aux relations virtuelles. Une chose est certaine : le train, en marche depuis longtemps, roule beaucoup trop vite pour qu’on puisse même tenter de le ralentir. Il a bouleversé notre mode de vie, métamorphosé nos échanges, refaçonné notre rapport à la démocratie (pensons au printemps arabe) et remodelé les contours de notre participation citoyenne (de quoi aurait eu l’air le rassemblement du 22 avril dernier sans les médias sociaux ? Et la grève étudiante aurait-elle bénéficié de la même fougue sans ces rendez-vous de dernière minute, retracés en deux clics ?) Le 2.0 a changé nos vies. Simplement et définitivement.

Le mois dernier, le journaliste Stephen Marche signait un reportage passionnant dans lequel il rapportait que de récents estimés ont évalué la valeur potentielle de Facebook à quelque 100 milliards de dollars, soit plus encore que la valeur estimée de l’industrie du café (« Is Facebook Making Us Lonely ? », The Atlantic, mai 2012). Subtilement, Marche évoquait l’idée qu’une dépendance – la connexion au cyberespace – était en train d’en devancer une autre – la caféine. Pour moi qui bois mon premier café chaque matin devant mon écran d’ordi, l’affirmation est troublante.

Si j’embrasse avec joie les multiples possibilités du monde numérique, je veille du même coup à exercer mon libre arbitre. Gare à l’envahissement! que je me répète chaque matin. « Connecter » derrière mon écran, je veux bien. Si vous saviez le nombre de rencontres enrichissantes que j’ai faites sur ce nouveau terrain de jeu. « Connecter » avec vous, c’est la mission que je me suis donnée. Mais je garde en tête que « connecter » à la table d’un resto, ça transcende toutes les discussions virtuelles. Alors, à nous toutes, je souhaite de « connecter » avec plaisir. Pour les bonnes raisons. Et sans perdre la tête.

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