Vous ne devinerez jamais le clou de mon premier Salon du livre de Montréal à titre d’auteure. Bien sûr, j’ai fait des rencontres mémorables lors de mes séances de dédicaces. Et j’ai évidemment adoré participer à un panel pour parler de féminisme avec trois femmes que j'admire : l’essayiste et journaliste Pascale Navarro, la dramaturge Catherine Léger et l’écrivaine Julie Bosman.
Mais mon moment coup de cœur, celui qui génère encore une dose de chaleur rayonnante dans ma cage thoracique près de deux semaines plus tard, reste ma rencontre avec cette toute petite fille à la foire alimentaire de la Place Bonaventure.
Du haut de ses deux ans et des poussières, elle se promenait avec bonhomie dans la grande cafétéria presque vide, sa petite bedaine la précédant. Ses deux minuscules jambes étaient légèrement chambranlantes, mais qu’à cela ne tienne, elle trouvait l’équilibre comme elle le pouvait avec ses bras.
Elle m’a un peu rappelé la fillette de ce diplomate britannique momentanément célèbre pour avoir fait irruption dans le bureau de son père, alors en plein direct avec la BBC.
Alors que je mangeais tranquillement mes sushis en lisant le journal, la petite m’a gratifiée de magnifiques sourires et m’a lancé un «Bonjour, madame» capable de faire fondre le cœur de Voldemort en personne.
Ça peut vous sembler d’une banalité sans nom, mais, voyez-vous, c’est moi la solitaire dans les transports en commun dont le visage s’égaie lorsque les portes du métro s’ouvrent sur une quelconque poussette. C’est moi aussi qui vous observe (et vous envie) à l’heure d’aller chercher vos trésors au CPE à deux pas de chez moi. Je n’ai l’air de rien, trop occupée que je suis à promener mon pitou pas toujours obéissant, mais je vous observe.
J’emmagasine ces moments, je les collectionne. Une fois gravés dans ma mémoire, ils m’illuminent un peu, surtout en ce temps de l’année où il fait noir beaucoup trop tôt. À un point tel que je dois parfois me raisonner et me rappeler pourquoi au juste j’ai fait le choix de ne pas avoir d’enfant.
La raison est bien simple : concilier «travail-famille-anxiété» me semble au-dessus de mes forces. Eh oui, les parents, vous êtes mes idoles. Je compatis à votre fatigue, au dur labeur qui est le vôtre, à votre épuisement passager ou durable. (Et quand je dis parents, je pense beaucoup aux mères, sur qui repose encore énormément la charge mentale nécessaire au bien-être familial.)
L’art de la contemplation
Si mon cœur se serre à l’occasion lorsque je vous vois embrasser vos bambins ou même lorsque je passe devant une vitrine remplie de minisacs à dos colorés, j’apprécie néanmoins la liberté dont je jouis, que j’ai choisie et que j’assume, avec tout ce que cela comporte de bien et de moins bien.
Et, parmi les aspects positifs, il y a le fait, après avoir échangé des sourires et des tatas avec une charmante «deuzan», de pouvoir simplement me lever de ma chaise, les mains dans les poches, et partir errer où bon me semble, perdue dans mes pensées. Eh non, je ne me taperai pas la «crise de bacon» qui ne manquera pas de suivre, tôt ou tard, ce moment de grâce infantile dont j’ai été témoin...
Je ne déteste pas cette impression d'être totalement seule au monde parmi la foule, les familles, les clans. Que ce soit pour aller au cinéma en solo, boire un pot au bistrot du coin en compagnie d’un bon livre ou rentrer me faire couler un bain mousse bien chaud, mon indépendance est plutôt confortable.
C’est pourquoi j’ai survécu une fois de plus cette année à l’avalanche de «cutitude» composée de vos photos de rentrée scolaire. J’ai ressenti de la joie devant tant de splendeur, tout en soupirant mélancoliquement, étrangement nostalgique d’une vie que je ne connaîtrai jamais.
Peu de choses s’apparentent dans mon imaginaire à la pureté et à la profondeur de l’amour qu’un parent éprouve pour son enfant. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse d’un passage obligé ou que tout le monde soit fait pour la vie de famille.
Entendons-nous bien, je ne souffre pas d’anxiété incapacitante, mais cela pourrait bien m’arriver si je devenais responsable de l’éducation et du bien-être d’un petit être vulnérable. Il y a donc là un véritable enjeu de qualité de vie en ce qui me concerne. C’est un fait que j’apprends à accepter.
Je n’ai pas d’enfant et j’admire les gens qui en ont. J’aime beaucoup ma vie. Après tout, on n’en a qu’une seule, aussi bien en profiter à sa façon.
Journaliste indépendante, conférencière et auteure, Marilyse Hamelin dirige le blogue féministe La semaine rose. Son premier essai, Maternité, la face cachée du sexisme, vient tout juste de sortir en librairie.
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.
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Écrivaine, éditrice, chroniqueuse et animatrice, entre autres, Marilyse Hamelin a fait paraître en 2023 Une détresse contrôlée (Hamac) et, en 2024, Solitudes, une décennie de réflexions féministes (Somme toute). Elle écrit aussi l’infolettre Quelques mots sur…, qui traite du processus créatif et, plus largement, du milieu littéraire québécois.
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