Le trouble du déficit de l’attention n’est pas réservé aux petits tannants des classes du primaire et du secondaire. Il peut toucher tout le monde, même les adultes.
Geneviève s’inquiète pour ses fils. Loïc, cinq ans, est une véritable tornade, et Zacharie, sept ans, pique des colères pour un rien. Elle consulte donc un spécialiste. Peut-être souffrent-ils d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)? Mais voilà, ce n’est pas eux qui reçoivent ce diagnostic... c’est elle! «Je suis tombée des nues, dit-elle. Contrairement à mes garçons, je suis plutôt tranquille, dans la lune.» Cette affection est héréditaire, mais, pour l’instant, elle ignore si ses enfants sont atteints: «L’évaluation prend du temps, mais nous connaîtrons bientôt les résultats.»
Geneviève Jolicoeur, 33 ans, a toujours éprouvé des problèmes de concentration. Et, pour compliquer les choses, son métier, interprète auprès d’enfants malentendants en milieu scolaire, lui demande une attention soutenue. «Avec le TDAH, c’est comme si les sons avaient tous la même importance. Avant de prendre des médicaments, je devais sans cesse me répéter que c’était la voix de l’enseignant qui comptait, et non le bruit des crayons des élèves. Je faisais tellement d’efforts pour rester concentrée que j’en avais mal aux épaules.» Fatigue, irritabilité, autant dire que ses journées de travail l’exténuaient.
Le TDAH est un problème neurologique qui affecte deux neurotransmetteurs impliqués dans le mécanisme de l’attention: la dopamine, qui facilite le maintien de l’intérêt, et la noradrénaline, qui, entre autres, filtre les stimulus inappropriés. Ces messagers chimiques permettent aussi d’organiser ses idées et de rester concentrée sur la tâche. «À l’école, je passais de justesse, ajoute-t-elle. Mais je me suis tout de même rendue à l’université.»
Le déficit d’attention est souvent associé à des problèmes d’apprentissage. «Pourtant, des personnes atteintes décrochent des doctorats, note la psychiatre Annick Vincent, une des rares spécialistes au Québec. Tout dépend des stratégies mises en place pour les aider.» Et cela n’a rien à voir avec le quotient intellectuel. Les gens ayant un TDAH ont souvent un QI dans la moyenne ou élevé.
Environ un adulte sur 20 est touché mais seuls 10 % d’entre eux reçoivent un diagnostic... la plupart du temps quand ils consultent pour leur enfant! Jusqu’au milieu des années 1990, on croyait que ce trouble se résorbait avec les années. Mais les chercheurs ont observé que les jeunes patients, lorsqu’ils atteignent leur majorité, restent distraits, brouillons et désorganisés, malgré l’absence d’hyperactivité.
Ainsi, ils oublient leurs rendez-vous, arrivent en retard, gèrent mal leurs affaires personnelles. Certains sont rêveurs, absents, alors que d’autres sont impulsifs: ils mènent de front plusieurs activités, mais ne terminent pas ce qu’ils ont commencé, agissent sur des coups de tête ou disent tout haut ce qu’ils pensent. Ils ont parfois du mal à conserver leur emploi. Et la routine les ennuie.
Un portrait qui décrit bien Marie-Michèle Lemaire, 46 ans. «On m’a souvent répété que je n’étais pas reposante, dit-elle en riant. Au cégep, j’attendais la veille de l’échéance pour commencer mes travaux. Une fois installée en appartement, je laissais les comptes s’accumuler sur le pas de ma porte.» La vie sentimentale de Marie-Michèle a été houleuse: plusieurs séparations, deux divorces, quatre enfants nés de trois pères différents. Trop éparpillée, trop agitée, trop prise par le tourbillon de ses émotions, elle n’a pu se consacrer comme elle l’aurait voulu à son rôle de mère. Des années difficiles, elle en a connu. Sa fille refusait de lui parler et deux de ses fils flirtaient avec la délinquance.
Sa vie professionnelle, par contre, a été moins chaotique. Un diplôme en éducation spécialisée lui a permis de travailler pour une commission scolaire, puis de diriger un organisme d’aide aux personnes atteintes de sclérose en plaques. Elle cumulait souvent plusieurs emplois. «J’avais une drive d’enfer que je ne savais pas canaliser.»
On entend souvent dire que le trouble déficitaire de l’attention altère la capacité de se concentrer, mais c’est plutôt un problème de freinage et de modulation, selon la Dre Vincent. Organisation des idées, des stimulus, des gestes, des émotions. Tout se bouscule, dans le désordre. Et la dernière idée est toujours la meilleure.
L’imagerie par résonance magnétique permet de voir les effets du TDAH sur le cerveau. «Pour exécuter une tâche, les personnes aux prises avec ce syndrome n’utilisent pas les mêmes circuits cérébraux que les autres, explique la psychiatre. C’est comme si, au lieu de passer par l’autoroute, la transmission de l’information empruntait des petites routes secondaires.» Heureusement, des médicaments peuvent venir à la rescousse.
Pour Marie-Michèle comme pour Geneviève, la médication a changé leur vie. «Le brouillard que j’avais dans la tête s’est dissipé, raconte Marie-Michèle. Pour la première fois, je voyais les choses clairement. Au lieu de courir dans toutes les directions, j’étais en mesure de prendre des décisions.» Mais les psychostimulants sont-ils toujours nécessaires? La réponse est non. Des personnes faiblement touchées s’en tirent grâce à certaines stratégies – comme tout noter dans leur agenda –, indique la Dre Vincent. Et puis, les médicaments ne règlent pas tout. Il peut s’avérer utile de consulter un psychologue, de faire partie d’un groupe de soutien ou de se faire superviser par un coach.
C’est d’ailleurs ce qui a donné à Marie-Michèle la détermination de concrétiser les projets qui lui tenaient à cœur. Après avoir reçu son diagnostic, elle s’est engagée à changer les choses. En 2011, elle a lancé une pétition demandant au gouvernement du Québec un meilleur accès aux traitements pour les adultes. «Car les ressources manquent», note-t-elle. Puis, en 2012, elle a fondé, à Drummondville, la Clinique multidisciplinaire TDA/H Mauricie/Centre-du-Québec. On peut y consulter une cinquantaine de professionnels, dont des neuropsychologues, des psychologues, des orthophonistes, des ergothérapeutes et des éducateurs spécialisés.
Sur le marché du travail, le TDAH peut se révéler un atout, selon la psychologue américaine Kathleen Nadeau, directrice du Chesapeake ADHD Center du Maryland, qui œuvre auprès de jeunes adultes. L’énergie, l’enthousiasme et la spontanéité que manifestent les hyperactifs font souvent d’eux des candidats de choix dans des domaines comme la vente, le marketing et les relations publiques.
Ceux qui réussissent bien sur le plan professionnel ont souvent choisi un domaine qui laisse une large part à la créativité, poursuit la psychologue. Certes, les oublis, les retards et l’impulsivité ne sont pas toujours appréciés au boulot... «Pour ceux qui vivent des problèmes au travail, la solution, c’est souvent de changer de branche.»
Certains chercheurs prétendent que les gens atteints du TDAH utilisent davantage leur cerveau droit, qui interviendrait dans la pensée intuitive. «Mais ce n’est pas prouvé, réplique Annick Vincent. Par contre, on sait qu’ils pensent out of the box: autrement dit, comme ils utilisent d’autres circuits du cerveau, ils sont capables de voir les problèmes sous un angle neuf et d’apporter des solutions créatives.» Il faut toutefois oublier le mythe selon lequel les gens ayant un TDAH excellent dans le multitâche. «Ils ont tendance à faire plusieurs choses en même temps, c’est vrai, mais ils ont aussi l’habitude de ne rien terminer», ajoute la psychiatre en riant.
Josée Mireault, 48 ans, est à la tête d’une équipe de 40 personnes qui travaillent dans la vente directe. Elle a découvert qu’elle souffrait d’un déficit de l’attention il y a 18 ans, à une époque où on en parlait très peu. Ce qui ne l’empêche pas d’être une bonne chef d’équipe et d’avoir beaucoup d’entregent. «Pour réussir, il faut apprendre à composer avec nos lacunes, dit-elle. Et savoir s’entourer. Dans mon équipe, j’ai choisi des gens organisés et très structurés, qui ont des forces que je ne possède pas...»
Marie-Michèle a fait la même chose en s’associant des gens qui sont là pour pallier ses retards, son inattention et sa tendance à tout remettre au lendemain. «Oui, la vie est un peu plus compliquée avec le TDAH, dit-elle. Mais ce n’est pas une excuse pour ne rien en faire.»
Passer son temps à chercher ses clés ou arriver systématiquement en retard ne signifie pas qu’on a un TDAH. On peut tout simplement être stressée, préoccupée ou mal organisée… Ce trouble regroupe un ensemble de symptômes qui affectent de façon importante la vie familiale et sociale depuis l’enfance. Aucun test ne permet de détecter le TDAH. Le diagnostic s’établit à l’aide d’un questionnaire détaillé, suivi de plusieurs rencontres avec un médecin de famille, un psychiatre, un psychologue... Il est parfois difficile à cerner, parce qu’on peut le confondre avec d’autres troubles, comme la dépression ou l’anxiété. «À force d’accumuler les erreurs ou les oublis, la personne peut devenir anxieuse ou déprimée», explique la Dre Vincent. Or, le grand défi, c’est de pouvoir être suivie par un professionnel compétent, résume la Dre Julie Lalancette, qui a travaillé en clinique pendant des années et qui est maintenant au Collège des médecins. «On forme actuellement des médecins de famille, mais ils sont encore trop peu nombreux.»
La personne ayant un TDAH peut par exemple:
(Source: Mon cerveau a ENCORE besoin de lunettes, par la Dre Annick Vincent, Éditions Québecor)
Quelques trucs utiles, qu’on souffre du TDAH ou pas.
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Joëlle Paquette est une journaliste et créatrice de contenu spécialisée en mode de vie durable. Adepte de mode et de déco, elle adore trouver des solutions éthiques et écoresponsables pour prouver qu’il est possible d’aimer le «beau» tout en minimisant notre empreinte environnementale. Ses études en design de mode et en beaux-arts nourrissent aussi ses deux autres passions: le DIY et le surcyclage (upcycling). D’une commode revampée à une chemise complètement réinventée, elle documente tous ses projets sur son compte Instagram.
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