Psychologie

Bye, bye, perfection !

Vous n’êtes pas parfaite. Et vous savez quoi ? Vous n’avez pas à l’être, affirme la psychologue américaine Alice Domar.


 

Kim (nom fictif) avait tout pour être heureuse : un mariage parfait, quatre enfants parfaits, une maison parfaite. Mais dès qu’elle ouvrait un tiroir où tout n’était pas en ordre, Kim voyait sa vie comme un échec. Elle n’était pas malade ni ne souffrait du trouble obsessionnel-compulsif, affirme Alice Domar, chercheuse au Département de médecine comportementale de l’Université de Harvard, également psychologue et spécialiste des effets du stress sur la santé féminine, notamment sur la fertilité. Kim n’était que l’une de ces millions de femmes qui se mettent beaucoup de pression sur les épaules pour être bonnes en tout. C’est elle, une patiente de la docteure Domar, qui lui a donné l’idée d’écrire Be Happy Without Being Perfect (Être heureuse sans être parfaite*).

La sortie de votre livre, ce printemps, a vivement intéressé les médias américains, même les plus sérieux. Vous avez accordé des entrevues aux magazines Time et Newsweek, vous avez participé à plusieurs émissions de télé grands réseaux…
Mon éditeur n’avait jamais vu ça ! La réponse a été formidable. Je crois que j’ai touché une corde sensible. Les femmes subissent une énorme pression à la performance partout et en tout. Les Américaines, les Canadiennes aussi, les Québécoises sûrement. Je croyais qu’il ne s’agissait que d’un phénomène occidental, mais j’avais tort. C’est devenu un problème mondial. À preuve, et à ma grande surprise, les droits du livre ont été vendus en Chine.

Le mythe de la superwoman, né dans les années 1980, n’est-il pas mort et enterré ?
Vous parlez de cette superwoman à qui tout réussit, qui possède un corps parfait et qui orgasme tous les soirs ? Ce mythe existe toujours. Certaines femmes espèrent encore l’atteindre, elles croient que c’est possible, alors que ça ne l’est pas. Ou alors si on arrive à en devenir une, le prix à payer est énorme : on se décarcasse pour tout le monde et on s’oublie. Dans un livre que j’ai écrit à ce sujet, Self-Nurture (Prendre soin de soi), mon message était le suivant : mettez-vous sur la liste des choses à faire. Très peu de femmes le font.

Vous vous en prenez à Martha Stewart, la reine du « bien vivre chez soi ». Vous dites qu’elle a élevé la barre de la perfection domestique à un sommet inégalé… et inégalable. Qu’espérer faire comme elle, c’est comme si on voulait construire DisneyWorld dans sa cour.
Il n’y a pas de mal à vouloir bien faire les choses. Le problème, avec Martha Stewart, c’est qu’elle donne l’illusion que vous pouvez atteindre la perfection qu’elle clame sur tous les toits. Elle oublie de préciser que, pour arriver à ce merveilleux repas de l’Action de grâce qu’on admire dans son magazine ou dans son émission de télé, elle a eu l’aide de 10 personnes qui ont travaillé pendant 4 jours.


 

Mais les gens se doutent bien que si Martha avait préparé ce festin toute seule, elle aurait des valises sous les yeux et de la broue dans le toupet, pas ce teint frais et cette mise en plis impeccable.
Je crois sincèrement que plusieurs femmes la regardent et pensent qu’elles peuvent l’imiter. J’en connais quelques-unes. Bien sûr, la pression pour être une bonne employée, une bonne épouse et une bonne mère existait avant Martha Stewart, mais elle a inauguré une ère, celle où vous devez exceller aussi vraiment partout : au travail, dans la maison, à la cuisine…

Vous avez vous aussi eu maille à partir avec le besoin d’être parfaite en tout.
En effet. Puis arrive un moment où vous devez choisir. Ce moment, pour moi, fut la naissance de mon premier enfant. J’ai compris qu’il était plus important de passer du temps avec elle que de passer mon temps à nettoyer. Aujourd’hui, j’ai deux filles (11 et 7 ans), un travail à plein temps et j’écris des livres. Ma priorité, ce sont mes enfants ; si la maison est moins propre, et si le repas n’est pas génial, tant pis. Je veux aussi qu’elles voient que, malgré un horaire chargé, je prends du temps pour moi, sans culpabiliser, pour lire sans être dérangée, faire de l’exercice et une fois ou deux par mois voir mes amies. C’est essentiel pour mon équilibre mental, et pour l’atmosphère dans la maison. Sinon, je deviens une vraie chipie !

Vous écrivez que cette obsession de la perfection se lègue de mère en fille.
Oui, en grande partie. Alors moi, j’essaie très fort de ne pas être un modèle de perfection devant mes filles. Je veux qu’elles voient que, oui, je suis douée dans certains domaines et que je travaille fort pour l’être, mais que dans d’autres domaines je ne suis pas très bonne et que ce n’est pas la fin du monde. Vouloir tout faire à la perfection, ce n’est pas génétique.

Il n’y a pas que la société qui exerce une pression à la perfection : les femmes le font très bien toutes seules.
Oui. Hier soir, je faisais une lecture publique devant un parterre de femmes qui occupent des postes de direction dans de grandes entreprises. L’une d’elles m’a raconté que, quand vient le temps des évaluations du personnel, si elle énumère à une employée les neuf choses que celle-ci exécute bien, et termine sur la seule chose qu’elle devra améliorer dans l’année, l’employée sort du bureau en focalisant sur ce dernier point et se dit : «Oh mon Dieu, je suis nulle. » Quand un homme entend le même discours, règle générale, il prend les neuf points positifs et se balance du point négatif.

Vous insistez beaucoup sur la relaxation.
Oui, la méditation, le yoga, la visualisation… Quand je rencontre une patiente, je lui offre tout un choix de techniques, pour qu’elle puisse en trouver une qui lui plaît. Personnellement, j’aime bien la relaxation musculaire progressive. L’imagerie est également fort utile. On peut se servir aussi de l’imagerie pour rêvasser, s’imaginer sur une plage avec un homme qui nous plaît. J’avoue que je fais cela souvent.

Vous vous imaginez sur une plage avec George Clooney ?
Non. (rires) Je rêve qu’Oprah m’invite à son émission. J’attends encore son appel.

Parmi vos conseils, vous dites entre autres qu’il faut arrêter de regarder des magazines…
Je sais que cela ne vous fait pas plaisir. Je parle surtout des magazines de mode où toutes les photos sont retouchées. J’ai déjà eu comme patientes des actrices et des mannequins et en personne, elles ne ressemblent pas à leur image dans les médias. Et je peux vous affirmer que la célébrité et la beauté ne règlent pas tout, loin de là.

Mais les femmes savent bien que ces photos sont retouchées. De nombreux articles ont déjà été écrits là-dessus.
Vous, vous le savez, parce que vous êtes journaliste. Moi, je le sais, parce que j’en parle constamment dans mes conférences. Mais, même si la majorité des femmes le savent ou en ont entendu parler, elles l’oublient. Elles sont constamment bombardées par ces images. Elles ne voient que des êtres à la peau impeccable, aux sourires magnifiques, aux courbes sublimes.

Il y a de cela plusieurs années, Châtelaine a pris l’engagement de ne pas modifier les visages et les corps.
Vraiment ? Génial ! J’aimerais bien que ce soit la même chose aux États-Unis. J’ai été conseillère pour des magazines américains, je leur ai dit qu’ils devaient arrêter de mettre en couverture des femmes de taille zéro, que cela contribuait à entretenir l’obsession terriblement toxique des femmes envers leur corps. On m’a répondu que, quand des femmes « normales » sont mises de l’avant, les ventes baissent. Les gens achètent ce qu’ils rêvent d’être, pas ce qu’ils sont.

Si je pouvais seulement changer le regard que portent les femmes sur elles-mêmes, les inciter à se regarder dans le miroir pour y voir leurs qualités et non leurs défauts, j’aurais vraiment l’impression d’avoir accompli quelque chose.

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