Psychologie

Obligée d’avoir des enfants ?

L’idée que le bonheur des femmes passe forcément par les bébés est encore étonnamment répandue.


 

Une femme peut-elle s’épanouir sans connaître l’expérience de la maternité ? Évidemment, répond Isabelle Tilmant, psychothérapeute familiale à Bruxelles. Dans son livre Épanouie avec ou sans enfant (Éditions Anne Carrière), elle s’intéresse à celles qui, volontairement ou non, ne seront jamais maman.

Châtelaine : L’envie d’avoir des enfants est-elle liée à l’instinct maternel ?
Isabelle Tilmant : Existe-t-il, cet instinct ? Pour certaines femmes, il s’agit plutôt d’une sorte d’instinct biologique qui les pousse « dans leurs tripes » à être enceintes et à avoir des enfants. Mais il est préférable de voir l’instinct maternel comme un sentiment. Et on sait que les sentiments fluctuent. D’ailleurs, on peut se « sentir » maternelle envers un enfant et pas envers un autre. Et une mère n’éprouve pas forcément un amour inconditionnel inné envers son nouveau-né. L’important, c’est d’apprendre à développer un amour maternel au quotidien.

Pourquoi certaines femmes refusent-elles catégoriquement d’avoir des enfants ?
De la même façon que, spontanément, on aime ou on n’aime pas la mer ou la montagne, il en va de même avec les enfants. On éprouve du plaisir, de l’indifférence ou du déplaisir en leur compagnie. L’histoire personnelle de la femme intervient également dans son désir ou son refus de maternité, selon qu’elle a eu des contacts agréables avec les tout-petits ou qu’elle les a trouvés, au contraire, envahissants. Quand une fille perçoit que sa mère n’est pas heureuse en tant que femme, elle peut s’identifier aux qualités de son père qui lui paraissent plus épanouissantes ou encore choisir une vie que sa mère aurait elle-même souhaitée si elle n’avait pas eu d’enfant.

Une femme peut-elle s’épanouir sans désir d’enfant ? Et sans expérimenter une grossesse ?
Évidemment ! Pour certaines femmes, le besoin de donner un sens à leur vie passe par le fait d’avoir des enfants, mais ce n’est pas vrai pour toutes. Je reprends l’image de la mer et de la montagne : si vous adorez la mer, vous serez malheureuse de ne pas pouvoir en jouir régulièrement, alors que d’autres ne ressentiront aucune attraction pour l’eau. Même chose pour le désir d’enfant. La grossesse peut être une source de plénitude pour certaines et d’angoisses pour d’autres.

Épanouie avec ou sans enfant, par Isabelle Tilmant (Éditions Anne Carrière)

Quel est le regard de la société sur les femmes qui tournent le dos à la maternité ?
Il existe encore une croyance selon laquelle les femmes qui ne veulent pas d’enfant sont égoïstes et les mères, altruistes. En fait, le vrai amour commence quand on dépasse ses propres besoins pour s’occuper de ceux de l’autre. Désirer un enfant peut être aussi égoïste que vouloir du temps pour soi.

Pourquoi les femmes qui ne désirent pas d’enfant sont-elles plus nombreuses aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans ?
Parce qu’aujourd’hui on s’interroge sur son désir. Avant, la question ne se posait même pas.

Comment celles qui veulent des enfants mais n’arrivent pas à en avoir peuvent-elles s’épanouir malgré tout ?
C’est une situation très douloureuse. Pour pouvoir s’épanouir, ces femmes devront d’abord passer par un processus de deuil. Cela implique de reconnaître pleinement leur désir d’enfant et la souffrance qui l’accompagne. De se donner le droit de ressentir des émotions face à ce désir non réalisé (sentiment d’injustice, tristesse…). Mais elles doivent aussi accepter d’éprouver par moments la joie d’avoir du temps pour elles.

Quels conseils donner à celles qui traversent ce processus de deuil ?
Bien prendre soin d’elles-mêmes. Elles ont le droit, et même le devoir, de s’occuper aussi bien d’elles-mêmes que de l’enfant qu’elles auraient souhaité avoir.

À quoi ressemble une vie de femme épanouie sans enfant ?
Elle a plus de temps à se consacrer. De ce fait, elle apprend à se connaître et sait ce qu’elle aime. Elle mène des activités professionnelles ou personnelles qui la réjouissent. Elle a un bon réseau social, des amis sincères et proches.

L’absence de maternité ne ramène-t-elle pas à la peur de vieillir et à l’angoisse de la mort ?
Ça peut être le cas. Les mères peuvent plus facilement se rassurer en se disant que leurs enfants prendront soin d’elles quand elles seront âgées et le fait d’avoir une descendance pourra leur donner le sentiment de dépasser la mort à travers leurs enfants. À l’inverse, celles qui n’en ont pas peuvent craindre d’être seules et de disparaître sans laisser de trace. Cela dit, le système de solidarité a changé. On voit de plus en plus se développer des « familles de cœur ». Dans ces relations vraies que les femmes sans enfant entretiennent, elles transmettent leur sensibilité, leurs valeurs ou leurs connaissances à leurs « enfants de cœur ». Ce sont là des liens aussi forts que ceux du sang.

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