Que je me fais l’effet d’être rabat-joie! Après tout, en fin de session parlementaire en juin 2017, députés et ministres s’étaient serrés dans les bras les uns les autres après avoir adopté à l’unanimité le projet de loi 113 qui permettrait aux personnes adoptées du Québec de tout savoir de leurs origines. Et dans les gradins réservés au public, les larmes coulaient sans retenue.
Un an plus tard, ce projet de loi se concrétise, à nouveau accueilli avec soulagement et satisfaction. Moi, je n’arrive pas à applaudir.
Jusqu’à maintenant, les enfants adoptés pouvaient entreprendre des démarches pour retrouver leurs parents biologiques. Si ceux-ci, dûment contactés par les services sociaux, refusaient de dévoiler leur identité et d’entrer en contact avec celui ou celle qui les recherchait, l’affaire s’arrêtait là.
C’est ce qui change aujourd’hui. Les parents qui veulent que leur identité reste cachée sont maintenant tenus, dans les 12 mois qui viennent, de s’inscrire à un registre pour rester anonymes de leur vivant. Mais à leur mort, qu’ils l’aient ou non voulu, leur nom sera dévoilé. Ce n’est pas anecdotique: on estime que 300 000 dossiers d’adoption sont ainsi visés.
Alors je pense aux femmes, puisque c’est d’elles qu’il est essentiellement question (vu l’accouchement, elles sont pas mal plus faciles à identifier que les pères!). Autrefois, les normes sociales leur ont imposé de taire une grossesse, puis d’abandonner leur enfant sans qu’elles aient véritablement voix au chapitre. C’était d’une violence dont on n’a aucune idée aujourd’hui.
Elles sont passées à travers seules, chacune faisant sa vie, parfois avec de lourds regrets, parfois s’accommodant du passé, parfois résolues à tourner la page et à oublier. Ce choix-là au moins leur appartenait.
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En dépit de l’engagement de confidentialité, passe encore qu’on ait pu, des années plus tard, les retracer puisque la réponse finale leur revenait: des retrouvailles émues pouvaient s’envisager autant qu’un non catégorique. Et j’estime qu’il était parfaitement légitime pour une femme de ne pas souhaiter que la réminiscence d’un triste passé vienne chambouler, même après sa mort, tout ce qu’elle avait ensuite construit. À chacune d’en juger, comme aujourd’hui à chaque femme de voir si elle mènera une grossesse jusqu’au bout.
Mais voilà que la décision change de camp. Encore une fois, les normes sociales l’emportent sur l’autonomie des femmes et j’y vois une autre violence à leur endroit. Si elles ratent l’échéance pour s’inscrire au registre, tant pis pour elles. Et après leur mort, tant pis pour l’entourage à qui elles avaient caché un pan de leur vie: arrangez-vous avec les neveux et nièces inconnus, les demi-frères ou demi-sœurs qui surgiront!
Les revendications des regroupements d’enfants adoptés datent de plus de 20 ans: je les ai suivies de loin, jamais trop convaincue du bien-fondé de cette bataille, même quand elle a trouvé place à l’Assemblée nationale. Il faut savoir que, depuis 2005, des élus de l’Action démocratique du Québec, du Parti québécois et du Parti libéral ont tour à tour déposé des projets de loi pour faire débloquer ce dossier. Un véritable et rare consensus québécois.
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On souligne aussi que, jusqu’à cette entrée en vigueur de la nouvelle loi, le Québec était l’une des provinces les plus restrictives quant aux informations pouvant être transmises à un enfant adopté. De même, bien des pays sont aussi plus souples en ce domaine. Le droit aux origines, ne cesse-t-on de répéter, est désormais internationalement reconnu.
Je note néanmoins qu’en Ontario, tout parent qui a confié son enfant à l’adoption avant 2008 (soit l’année où l’on a ouvert l’accès aux dossiers d’adoption dans cette province) peut opposer son veto pour empêcher la divulgation de renseignements à son égard. Certes, ce veto est levé après le décès, mais au moins il n’y a pas d’échéance de 12 mois pour se manifester comme c’est dorénavant le cas au Québec.
J’entends bien aussi la peine des enfants adoptés qui ont décidé, coûte que coûte, de remonter leurs origines. Il a dû être difficile, pour celles et ceux qui y ont été confrontés, de se buter au refus de leur mère biologique qu’ils avaient tant souhaité retrouver. Mais pourquoi leur détermination est-elle plus importante que le souhait de ces femmes qui, chacune avec ses raisons, ne veulent pas se reconnaître comme leur mère – notamment parce que, dans les faits, elles ne l’ont pas été? Ce rôle maternel, c’est la mère adoptive qui l’a joué. Et l’instinct maternel, la philosophe française Élisabeth Badinter l’a amplement démontré dans son essai L’amour en plus, est d’abord une construction sociale.
Au-delà des lois, au-delà de la facilité avec laquelle on peut maintenant retracer les gens, je vois derrière cette affaire une autre démonstration de la radicale nouveauté de notre temps: on ne tolère plus chez les individus leur part d’ombre, leur bout de mystère, leur envie d’oublier. Nous vivons dans des sociétés qui se réclament d’une transparence totale. C’est vrai pour la multiplication des caméras même dans la vie privée; c’est vrai pour les traces les plus bêtes qu’on peut laisser sur les réseaux sociaux et qui ne s’effacent plus; c’est vrai aussi pour des adoptions survenues il y a des décennies, alors que les temps étaient complètement autres que les nôtres.
Que l’intention soit bonne ou non, il y a là un envahissement qui, humainement, m’inquiète tant on ne veut plus y reconnaître de limites.
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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.
Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.