À bien y penser

Chercher la femme, jusque dans la préhistoire!

« Réécrire la préhistoire au féminin », c’était le titre de la conférence et ça m’intriguait. Et comme toutes les occasions sont bonnes pour redécouvrir la grande oubliée de l’histoire de l’humanité…

Photo: iStock.com/altmodern

Arrivée un peu à l’avance, je constatais non sans surprise que l’amphithéâtre du pavillon de l’Université du Québec à Montréal se remplissait rapidement en ce jeudi soir. C’était pourtant la finale de District 31, mais un autre mystère avait attiré les gens : celui de nos lointaines ancêtres.

Quand la conférence de Claudine Cohen a commencé, c’était plein. Le public – des femmes de tous âges et bien des hommes aussi – occupait jusqu’à la toute dernière rangée et il restait peu de sièges libres.

J’en ai déduit que c’était là une conséquence du grand ras-le-bol des cachettes, de l’effacement et des non-dits qui est, au fond, le moteur sous-jacent au mouvement #MoiAussi. Au-delà de la dénonciation d’agressions et d’inconduites sexuelles, il y a aussi l’envie d’enfin donner de l’attention à des revendications de longue date, comme l’équité, la parité, la visibilité.

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Alors la préhistoire, pourquoi pas !

Et Claudine Cohen, philosophe française et historienne des sciences, est justement une grande spécialiste des représentations de la préhistoire, donc des femmes de ces temps lointains à qui elle a déjà consacré différents ouvrages.

D’entrée de jeu, elle s’est d’ailleurs attaquée aux clichés, qui hélas perdurent. Les premières découvertes d’importance sur la préhistoire se sont faites au 19e siècle, en pleine époque victorienne. Ces messieurs découvreurs ont donc beaucoup projeté leur idéal d’éternel féminin (la femme soumise et passive) et leurs fantasmes érotiques (le rapt de femmes dénudées, tirées par les cheveux), expliquait Mme Cohen, sourire en coin. Le regard sur le passé est souvent indissociable des valeurs de ceux qui trouvent…

J’ai du coup eu un petit doute : la conférencière, féministe assumée, allait-elle elle-même rejouer le passé sur la base des valeurs d’aujourd’hui ? Faire de nos lointaines ancêtres des battantes férues d’égalité, qui feraient le pont avec les luttes actuelles ? Faire la même chose que les hommes quoi, en remplaçant tout bonnement le regard patriarcal d’autrefois par une perspective féministe collée à aujourd’hui ?

Le doute n’a pas duré. Claudine Cohen n’était pas là pour livrer un réquisitoire mais un exposé scientifique, et on a vite compris sa méthode. On avancerait de preuve en preuve, distinguant la certitude, le possible, le plausible et répondant « on ne sait pas » quand on ne sait toujours pas.

Et ce fut fascinant. Parce que la première certitude qu’on a, c’est bien que les femmes étaient aussi nombreuses que les hommes à la préhistoire, période qui s’étale sur sept millions d’années ! Il était dès lors anormal qu’on les ait ignorées dans les travaux scientifiques.

L’homme de Cro-Magnon, par exemple, découvert en France en 1868. En fait, il y avait cinq squelettes sur le site de la découverte : quatre hommes (dont un enfant) et une femme. Pourtant, encore aujourd’hui, cette femme est occultée, a souligné la professeure.

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De fait, j’ai testé! Il suffit de fouiller sur Internet pour le constater. Qu’est-il écrit pour présenter le crâne de « Cro-Magnonne », pour reprendre la charmante expression de l’animateur Joël Le Bigot, qui interviewait Claudine Cohen à la radio samedi dernier? « Crâne d’un homme de Cro-Magnon (féminin) »!!!

De même, nous indiquait Mme Cohen, il a été décrété par les chercheurs que les outils, les objets, les peintures du paléolithique ont été le fait d’hommes. Décrété comme dans « sans preuve ». Une belle certitude que la professeure Cohen a remise à sa place en faisant voir tout ce que l’on a appris depuis que, sous l’impulsion de féministes américaines des années 1960 et 1970, des chercheuses ont entrepris d’ajouter les activités des femmes aux hypothèses posées.

On sait ainsi que les femmes de la préhistoire se chargeaient des activités de cueillette et que pour ce faire, elles devaient marcher de 3 à 20 kilomètres par jour, transportant de 7 à 15 kilos de nourriture. Il a bien fallu qu’elles inventent des outils et des paniers!

On a aussi compris que les femmes, sans pour autant faire les mises à mort, participaient à la chasse, en poursuivant et en rabattant le gibier. Bref, que les hommes et les femmes collaboraient, et que leurs rapports n’avaient pas la violence que laisse entendre l’expression « hommes des cavernes ».

Qu’ai-je retenu encore? Que la reproduction humaine, vu ses caractéristiques, ne pouvait être détachée d’un acte social entouré de règles. Par exemple, l’enfant qui naît est inachevé, a rappelé Mme Cohen, donc il faut s’en occuper. Une famille se développait autour de lui. Ce qui inclut la précieuse grand-mère.  Réalisons-nous que la femme humaine vit au-delà de ses capacités de reproduction? a souligné la professeure. La grand-mère a donc son propre rôle à jouer : celui de la transmission, qu’elle assume depuis le début de l’humanité. Précieux héritage!

Mais prudence, a aussi dit Claudine Cohen. Il n’y a aucune preuve de matriarcat dans l’histoire humaine : même dans les sociétés les plus égalitaires, « on trouve toujours une domination masculine derrière ».

Et le culte qui aurait été rendu à une Grande déesse est un mythe, a-t-elle ajouté. Il y a une présence symbolique des femmes, dont témoignent les Vénus hypertrophiées, mais de là à une vénération proche du monothéisme, non, rien ne le prouve.

Dans la salle, cette conclusion faisait tiquer. La période de questions a été à l’avenant. Sur quoi se base-t-on pour faire des affirmations sur le matriarcat, ou le choix des partenaires, ou la division des rôles, ou le pouvoir, ou…? Sur ce que l’on sait, répondait sans s’émouvoir Claudine Cohen.

Je repensais aux livres qui occupent ma bibliothèque : Quand Dieu était femme, qui date de 1976, La fascination du pouvoir, de Marilyn French, L’un est l’autre, d’Élisabeth Badinter… À leur parution, il y a plus de trente ans, j’en avais déduit qu’il y avait eu un paradis perdu pour les femmes, ce qui collait parfaitement à mon idéalisme de l’époque.

Ce n’était finalement peut-être pas si simple, et j’ai maintenant l’ambition plus modeste. Comme l’a souligné en conclusion Mme Cohen : ce qui importe c’est d’ouvrir le regard, soit simplement trouver où sont les femmes, que leur rôle ait été glorieux ou pas.

Et c’est en soi beaucoup. Raconter l’histoire telle que vécue par les deux sexes reste un défi : plus je vieillis, plus je le constate, plus cette injustice me choque. Quelques décennies suffisent pour que les femmes qui ont été importantes un jour soient renvoyées dans l’oubli. Alors cent ans, mille ans, dix mille ans…

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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