Ambition: comment gagner plus?
Portrait of a young woman interviewing a senior business man
Au Québec, nous gagnons en moyenne 80 % du salaire des hommes. Et ce n’est pas parce qu’on est moins bonnes qu’eux. Ni que la Loi sur l’équité salariale a échoué. Ou encore, parce que les employeurs font sciemment de la discrimination. En fait, ça aurait quelque chose à voir avec notre plafond de verre intérieur, de l’avis de plusieurs expertes. Voici comment prendre sa place sur le marché du travail.
Comment gagner plus?
D’abord, s’affirmer
Peu sûres de nous, moins fonceuses, pétries de doutes… Voilà ce qui nous nuit, croit Louise Martel, qui s’occupe du recrutement de cadres chez Raymond Chabot Grant Thornton, firme de services-conseils. « Les filles ont peur de se mettre de l’avant, de lever la main pour gérer tel dossier, de demander une augmentation en disant : “Je le mérite.” » En plus de 15 ans de métier, elle a vu défiler des tonnes d’excellentes candidates à la confiance défaillante. « Pendant l’entrevue d’embauche, c’est systématique : elles énumèrent ce qu’elles ne sont pas capables de faire au lieu de mousser leurs réalisations. Les gars ? Ils postulent, qu’ils possèdent ou non les compétences. » Bref, eux markettent leurs réussites, alors que nous les banalisons !
Sortir de sa zone de confort
L’experte cite l’exemple d’une jeune avocate au CV étoffé. « Elle avait toutes les qualifications requises pour un poste de chef du contentieux. Or, elle s’excusait presque en me décrivant son expérience! Je l’ai arrêtée : “Tu me donnes le sentiment de te faire une faveur, alors que c’est toi qui en fais une à l’entreprise.” »
Il nous manque quelques connaissances pour occuper un poste? Pas grave, on va les acquérir, quitte à faire appel aux autres. « C’est en sortant de sa zone de confort qu’on avance », estime Louise Martel.
Visualiser et établir ses priorités
« Il faut établir ses priorités. Se demander “Qu’est-ce que je veux ?” et non “Qu’est-ce que je pourrais avoir ?” » L’Américaine Dana W. White, auteure de Leader Designed – Become the Leader You Were Made to Be, caressait le rêve de travailler à Paris, d’habiter dans un appartement luxueux près de la tour Eiffel et de bénéficier d’un salaire à l’avenant. Avec son job de directrice des communications pour un constructeur automobile français, la quadragénaire a obtenu ce qu’elle voulait. Au même titre que ses collègues masculins, prompts à s’affirmer.
« Plus on est claire dans ses demandes, plus on va obtenir satisfaction », dit celle qui est aujourd’hui à la tête d’un cabinet-conseil basé à Washington, D.C.
Mettre les bouchées doubles
On veut faire plus d’argent ? Il faut être prête à mettre les bouchées doubles – et même triples. Pour assumer plus d’obligations. Car on a beau acquérir tous les diplômes du monde pour accroître ses chances d’obtenir une promotion (et un meilleur salaire), reste que, dans la balance de l’évaluation des emplois, les qualifications comptent pour 25 % contre 60 % pour les responsabilités. Le hic, c’est qu’on hésite à en accepter de nouvelles.
Oser prendre plus de responsabilités
« Les femmes passent leur tour de peur de se retrouver avec de longues heures de travail et de manquer de temps pour la famille », note Geneviève Cloutier, professionnelle en rémunération chez Normandin Beaudry, un cabinet d’actuaires-conseils de Montréal. Cette perception nous empêche, par exemple, de siéger aux comités de direction et aux conseils d’administration d’organismes ou de sociétés. « L’ambition au féminin, c’est ça pour moi : oser prendre plus de responsabilités. Ça veut dire adopter un rythme plus intense pendant les heures de travail. Se montrer alerte et solide. »
S’exprimer et savoir ce que l’on vaut
Fine stratège, Dana W. White renchérit : « Demandez à rencontrer votre supérieur, dites-lui que vous voulez en faire plus dans l’intérêt de l’organisation. Puis, retournez le voir en énumérant vos tâches : “Maintenant, je mérite davantage !” »
Se bâtir un réseau
En début de carrière, plus que le salaire, ce qui importe, c’est de se bâtir un réseau, d’acquérir des habiletés et de se forger une réputation, ajoute-t-elle. « C’est un investissement à long terme. Il faut saisir les occasions. L’argent viendra après. »
Se méfier des pièges
Vrai, on aurait toutes besoin d’un horaire de travail flexible quand on devient maman. Mais cela peut jouer contre nous, met en garde Geneviève Cloutier. « Une année ou deux, ce n’est pas dramatique, mais huit ou dix, ça nous désavantage face à ceux et celles qui n’ont pas fait le compromis de ralentir ou de se retirer. » Notre évaluation de rendement va en pâtir – difficile de rivaliser avec les collègues qui se sont donnés à fond, et qui, chaque année, ont vu leur salaire augmenter de 1 %. « Au bout de 10 ans, l’écart de rémunération va s’élever à 12 % ou 13 %. C’est dur à rattraper », analyse-t-elle.
Nourrir son désir professionnel
Elle-même a failli se faire prendre au piège après avoir vécu quelque temps aux États-Unis avec son conjoint. « À notre retour au Québec, j’ai pensé me trouver un job moins exigeant pour me consacrer à la famille. Il m’a dit : “Non ! On va travailler fort tous les deux et on va s’épauler.” Au fond, ça faisait mon affaire de ne pas prendre de risque. Aujourd’hui, je suis contente qu’il m’ait poussée ! Il faut nourrir son désir professionnel. »
Car si les systèmes de rémunération ne sont pas discriminants quant au genre (en principe), ils le sont quant à la performance, aux niveaux de compétences et aux responsabilités assumées. Et quand on accepte de se mettre en veilleuse, c’est là qu’on perd au jeu.
Négocier, négocier, négocier
« Les hommes gagnent plus parce qu’ils négocient plus, c’est prouvé. Il n’y a rien de mal à dire : “Vous m’offrez tant, moi je visais tant” », fait valoir Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). Les employeurs se donnent toujours une marge de manœuvre. Il faut aussi prendre en considération d’autres aspects de la rémunération, tels les avantages sociaux, les conditions de travail, les cotisations de l’employeur au régime de retraite et la possibilité d’obtenir des primes.
Ne pas hésiter à prendre des cours de négociation
Mais qu’est-ce qui nous retient de batailler pour nos salaires ? Pourquoi cette frilosité ? Plusieurs raisons entrent en ligne de compte, avance Marie-Thérèse Chicha, professeure à l’École de relations industrielles de l’UdeM et experte en équité salariale. À commencer par la hantise de voir filer le poste convoité. « Souvent, on n’a pas l’occasion d’en trouver ailleurs de même qualité. Surtout dans les domaines largement dominés par les hommes et où c’est dur pour nous de percer – je sais, je l’ai vécu », dit-elle.
Il y a aussi qu’on se heurte à une certaine forme d’intimidation (eh oui !) quand on se hasarde à négocier : un employeur qui, par expérience, sait qu’on ne chipotera pas sur la paye adoptera une attitude intransigeante. Ce qui aura pour effet de nous décourager. « Des cours de négociation seraient bienvenus pour savoir de quelle marge on dispose et comment l’obtenir », conclut Marie-Thérèse Chicha.
Et l’échelle salariale?
Dénicher son échelle revient souvent à chercher une aiguille dans une botte de foin ! Primo, parce que le sujet est tabou – personne n’est à l’aise de parler salaire, les femmes les premières – ; secundo, parce que les organisations ne nous aident pas à y voir clair. « Plusieurs manquent de transparence », observe Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). Bien souvent, les informations sont transmises uniquement aux ressources humaines et aux gestionnaires. À l’employé, on communique sa position par rapport à la médiane. Pour les syndiqués, c’est différent : la convention collective définit le statut de l’employé, après négociation entre employeur et représentants syndicaux.
Un sentiment d’injustice nous ronge?
On en fait part à son gestionnaire, qui devra faire un exercice d’équité à l’interne en comparant les salaires des collègues au rôle similaire, selon l’expérience et les responsabilités de chacun. Des ajustements seront apportés au besoin.
Autrement, les ordres, associations et regroupements professionnels mettent à la disposition de leurs membres des enquêtes de rémunération. Les agences de placement détiennent aussi ce genre d’informations pour leurs clients.
Pour se procurer une étude auprès d’une firme spécialisée, il faut prévoir entre 500 et 5 000 dollars. « Il y a peu de ressources pour monsieur et madame Tout-le-Monde », reconnaît Manon Poirier.
Les ressources en ligne
Il en existe pourtant une en ligne, accessible, fiable et mise à jour chaque année : l’Enquête sur la rémunération globale au Québec, de l’Institut de la statistique du Québec. Les résultats sont basés sur un échantillon représentatif d’entreprises d’au moins 200 employés, dans différents secteurs du marché du travail. Le titre exact de notre poste n’y figurera peut-être pas, mais c’est un bon indicateur. Par exemple, en 2015 : une comptable gagnait entre 56 459 $ et 81 471 $ ; une adjointe administrative, entre 37 237 $ et 46 463 $ ; une assistante dentaire, entre 37 548 $ et 54 412 $. Et il en va ainsi pour une centaine d’emplois, codés selon la Classification nationale des professions.
On peut aussi consulter des sites de recrutement en ligne tels Glassdoor, Salary Wizard Canada (en anglais) ou salary.com (en anglais, avec références états-uniennes).
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