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Société

Courir sa vie

Pourquoi Geneviève Lefebvre fait des marathons.
Par Geneviève Lefebvre
Courir sa vie Photo: Sara Scott

Charleston, Caroline du Sud. Un petit matin frisquet et ensoleillé de janvier. Celui de mon premier marathon. Morte de trouille, la fille. Comme les milliers de coureurs qui m’entourent.

Je cours pour sortir de ma zone de confort. La peur, c’est comme l’ego : si tu ne lui montres pas qui est le boss, c’est elle qui mène ta vie. Et une vie menée par la peur, c’est pas une vie.

Une école secondaire, une de ces boîtes laides comme il en existe plein au Québec, sert de camp de base. J’ai une pensée pour l’adolescente que j’ai été, toujours la dernière choisie dans les équipes du cours d’éducation physique.

Je cours pour venger mon adoles­cence. Si c’est satisfaisant ? Mets-en !

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Sur la ligne de départ, je suis entourée de filles qui s’appellent Emmylou, Sharleene, Faith. Ces « belles du Sud » sont coiffées, manucurées, maquillées, chatoyantes comme des toréadors vêtus de leur habit de lumière. Faut pas se leurrer, ces Steel Magnolias sont des machines de guerre.

Je cours pour sortir de mon bureau, de ma cuisine, de ma tête d’écrivaine où mes amis imaginaires prennent beaucoup de place, pour ramasser des images et ramener dans mon bagage d’autres réalités que la mienne.

Écrire, courir, c’est la même simplicité, la même difficulté.

« Now, you have a good race, Honey », me dit Faith de son accent du Sud qui traîne et se languit. Toi aussi, fille, toi aussi.

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Je cours pour ces minutes chargées d’adrénaline, ce coude-à-coude solidaire et universel qui unit les guerriers au moment d’entrer dans la bataille.

J’ai 50 ans. Les mises en garde, je les ai toutes entendues. Que c’était dangereux, que j’allais me massacrer les genoux, qu’à mon âge, il serait préférable de penser au Pilates. Je m’en fous. Les enfants sont grands, ils n’ont plus besoin de moi. S’il y a un temps pour « virer sur le top et tomber dans le fort », c’est maintenant.

Carpe diem. Run, Forrest, run !

La course m’a fait rencontrer des gens formidables. De tous les âges, tous les métiers, tous les horizons socio-économiques. Chez les coureurs, la sueur décolle toutes les étiquettes. Ne restent que l’effort et la joie, si intimement liés. Ah, mon groupe de course compte trois médecins. Je ne les ai jamais entendus parler des « dangers » de la course, ils sont trop occupés à vivre. Je cours pour rencontrer d’autres vivants qui se shootent aux endorphines plutôt qu’au pessimisme et à la dérision.

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Dans la foule qui martèle les rues de Charleston, il y a toutes sortes de corps. Ils sont tous beaux. Je pense à Oprah. Qui a osé un marathon malgré son poids, son âge, sa célébrité. Qui a couru chaque foulée de ses 42 kilomètres, escortée par une horde de photographes qui n’auraient pas hésité une seconde à immortaliser un abandon humiliant. Elle a terminé en 4 heures 30 minutes.

Je cours pour son majeur levé à ceux qui ont douté. Je cours pour l’impertinence de toutes ces filles qui ont d’abord pensé qu’elles étaient trop grosses, trop vieilles, trop moches. Ces rebelles qui se sont dit : « Tant pis, qu’ils rient de moi, j’y vais pareil. » Let’s go, les filles !

C’est baveux, la course. Populaire dans le plus beau sens du terme. Tu peux être pauvre comme la gale et être quand même un champion. Des runnings, un coton ouaté gris, un ruban d’asphalte, boum, t’es dans une chanson de Bruce Springsteen, à Philadelphie avec Rocky. Ça rocke, la course.

Le parcours traverse North Charleston, quartier noir et pauvre, tout droit sorti d’un roman de Steinbeck. Le passé ségrégationniste n’a pas besoin de rappel. Il est là, flottant à la surface comme l’huile d’un désastre pétrolier. D’autres que moi ont livré de bien plus dures luttes.

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Je cours parce que j’entre dans l’histoire à pied, le souffle profond, les larmes aux yeux.

Les derniers kilomètres sont durs.

Avec l’effort physique, le vernis craque. Pour nous, les filles, qui avons été élevées dans le « Sois jolie, sois polie », c’est une libération. La fatigue nous laisse à nu, pas jolies, pas polies, mais ô combien vraies ! Peu de choses décapent autant qu’un marathon.

À l’arrivée, il y a Maria, mon amie de toujours, celle pour qui je suis venue puisqu’elle habite Charleston. Et il y a Virginie, rencontrée quelques mois plus tôt grâce à la course et qui a pris l’avion pour venir m’encourager au long du parcours. Je les vois crier à pleins poumons. Je les aime. On court aussi par amour...

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