La vague #MoiAussi déferle sur les réseaux sociaux depuis des semaines et elle ne semble pas prête de s’arrêter tant le sujet est sur toutes les lèvres. Il faut dire qu’avec la mise sur la sellette d’hommes bien connus du public tels que Gilbert Rozon et Éric Salvail, l’affaire a tout ce qu’il faut pour dominer l’actualité.
Mais, au-delà des «vedettes déboulonnées», quels seront les effets de cette campagne de témoignages de la part de femmes, majoritairement, ayant vécu des agressions et du harcèlement sexuels?
Nous avons interrogé 15 personnalités féminines québécoises à ce sujet.
«Ma fille de 13 ans, Juliette, m’a demandé: « Maman, crois-tu que ce qui s’est passé va un jour se retrouver dans les livres d’histoire? » Je crois que c’est un mouvement qui laissera assurément sa marque, à grands coups de courage, de dignité, de solidarité et de respect.»
«Ce soulèvement est annonciateur de grands changements. Un mouvement d’ampleur qui – espérons-le – saura moduler notre façon de vivre ensemble en valorisant des valeurs de respect mutuel. Et ce savoir-vivre, il doit d’abord être inculqué à la maison. Le respect et la compassion ne s’apprennent pas qu’à l’école. Oui, l’éducation sexuelle doit être revue, mais cela repose avant tout sur les valeurs que nous portons tous ensemble, tant les femmes que les hommes. »
«Le retentissement du mouvement #MoiAussi est en soi révélateur de l’ampleur de la culture du viol qu’on continue de banaliser, voire de nier. Quand les victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles sont rendues à avoir peur de s’adresser aux tribunaux et de porter plainte à la police, ça dit tout sur le laxisme de notre système de justice, censé les protéger et les défendre.
Par ailleurs, tout en partageant la douleur des personnalités qui ont rompu le silence sur leur tragédie, il ne faut pas oublier les milliers d’autres victimes de la violence et des abus sexuels, pour la plupart des femmes et des enfants, qui vivent ce fléau au quotidien, dans l’indifférence totale de nos institutions. Oui à #MoiAussi, mais il faut aller plus loin, changer nos lois et nos pratiques institutionnelles pour que les Salvail et Rozon de ce monde ne puissent plus jamais sévir en toute impunité. C’est urgent!»
«Je crois que ce mouvement, issu du besoin d’exprimer quelque chose qui était très profondément enfoui, est sain. C’est comme si un volcan endormi s’était réveillé, la marmite déborde. Maintenant, il faut s’assurer que les retombées soient durables, et ça, ça passe par l’éducation. Un jeune, c’est comme un roseau, il peut plier d’un côté comme de l’autre, il a besoin d’encadrement.
Malheureusement, beaucoup de parents ne sont pas présents, sans compter tout ce que l’on voit à la télévision et dans les médias. C’est pourquoi il faut investir dans l’éducation dès l’enfance et pas seulement en donnant des cours d’éducation à la sexualité, mais il nous faut un code de conduite et, surtout, un code de valeurs. Si on arrive à implanter ça au Québec, alors notre société pourra changer.»
«Je suis heureuse de voir les retombées concrètes de #MoiAussi. Des langues se délient, des noms sortent. Quand le mouvement a commencé, j’étais découragée de voir que des gens s’étonnaient encore du grand nombre de victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement qui ne dénoncent pas, alors qu’on avait fait un exercice similaire quelques années auparavant avec #AgressionNonDénoncée.
Je crois toutefois que nous ne sommes pas sorties du bois et j’ai peur du ressac. Lorsque les victimes ne dénoncent pas, on les accuse de complicité, et lorsqu’elles le font, on les accuse de mentir ou de monter des complots. On voit malheureusement qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire.»
«Je pense que, plus jamais, une personne qui a eu conscience de cette vague de dénonciations publiques ne pourra commettre un geste profondément sexiste sans comprendre et mesurer la portée de ce geste. Et je pense aussi que les victimes de ces gestes sexistes seront plus promptes à réagir et à dénoncer.
Plus de gens, beaucoup plus de gens, sont désormais sensibilisés à la notion de consentement et à ses subtilités, et on ne peut plus, ni du côté des agresseurs ni de celui des victimes, se mettre la tête dans le sable devant le non-consentement. On est tous un peu plus éveillés et je dirais même qu’on a probablement, tout un chacun – c’est d’ailleurs mon cas – fait un examen de conscience et relevé les failles dans nos propres comportements. »
«Le mouvement #MoiAussi apporte déjà des changements concrets. Nous nous demandons tous collectivement si nous sommes trop tolérants, si nous excusons trop facilement les agressions parce que nous connaissons les agresseurs. Nous avons retiré nos ornières. Prenons le temps d’analyser nos actions. C’est un effort collectif nécessaire.»
«Chaque vague de dénonciations raffermit ma conviction que nous avons raison de refuser cette situation. La solitude et la colère que j’ai vécues suite aux abus que j’ai subis perdent un peu de leur tristesse avec toutes ces femmes qui se lèvent. Et cette tristesse se transforme peu à peu en force. Mais je réalise chaque fois à quel point ce système est lourd et complexe. Ça ne m’empêchera jamais de continuer à le combattre et à faire ma part pour le transformer.»
«Ce mouvement collectif a permis à des femmes d’avoir, en se rassemblant, le courage de partager un événement douloureux dans un contexte » sécuritaire « . Il est essentiel qu’elles aient accès à des espaces où elles peuvent s’exprimer sur des agressions ou des inconduites tout en recevant l’appui nécessaire. Plusieurs organismes ont d’ailleurs développé une expertise pour accompagner des femmes de tous âges et de tous horizons afin de les soutenir à la suite de violences vécues. Il est aussi essentiel d’écouter et de sensibiliser les jeunes afin de promouvoir des rapports sains, respectueux et inclusifs.»
«Je pense qu’avec #MoiAussi, nous récoltons les fruits de plusieurs années de mobilisation, de sensibilisation et d’éducation sur les violences sexuelles. Le mouvement #AgressionNonDénoncée en 2014, lancé dans la foulée de l’affaire Ghomeshi, a libéré une parole et initié une vague de fond. Aujourd’hui, les transformations commencent à se produire. Sans cette vague, il n’y aurait pas eu une réaction aussi prompte à l’affaire Weinstein. Les femmes n’auraient pas pris le téléphone pour appeler les journalistes, et celles-ci n’auraient pas enquêté avec autant de minutie et d’urgence. Je pense que, comme dirait l’autre, nous sommes enfin arrivés à ce qui commence. »
«Le mouvement #MoiAussi aura comme effet de me faire vivre avec les histoires de centaines d’autres femmes, des histoires dont je connaissais la teneur mais pas le détail. Et ce sont ces détails qui me hantent. Ce sont ces détails qui nourrissent ma colère. Si j’étais en colère avant, je le suis encore plus maintenant. J’espère que la colère ne pâlira pas. J’espère qu’elle continuera à grandir, forte de notre sororité. J’espère aussi que ceux qui banalisent leurs gestes commenceront un tout petit peu à avoir peur. Que la honte et la peur changent de camp, pour que les choses changent véritablement.»
«#MoiAussi n’est pas un mouvement, c’est un cri jaillissant du gouffre du statu quo. Je refuse que l’on se vautre de nouveau dans le silence avec le sentiment du devoir accompli. Il est temps que l’attention médiatique soit un levier, pas qu’une finalité, pour notre colère. Ces têtes qui roulent ne sont-elles pas, après tout, le parfait coup d’envoi d’une révolution?»
«Les médias ont compensé les lacunes du système judiciaire en ce qui concerne la violence sexuelle envers les femmes. Il faudra voir dans un an ou deux, mais c’est intéressant de constater la prise de conscience de plusieurs acteurs de la société, du milieu politique, mais aussi des syndicats et du patronat, qui expriment que c’est tolérance zéro.
La balle est dans le camp du système judiciaire, mais aussi dans la cour des employeurs. Plusieurs doivent se poser des questions aujourd’hui. Je me demande: est-ce que pouvoir égale impunité? Il existe pourtant des politiques contre le harcèlement psychologique et le harcèlement sexuel…
Une fois cela dit, que faire pour que le système judiciaire puisse un jour traiter adéquatement les agressions sexuelles? Quelle est la prochaine étape? Le Code criminel relève du gouvernement fédéral. Y aura-t-il un comité interministériel, une commission d’enquête? Y a-t-il des modèles ailleurs dans le monde où on a trouvé une voie pour accueillir ces plaintes-là?»
Ce que j’espère comme retombées au mouvement #moiaussi, c’est:
– une réforme du système de justice;
– des formations adéquates pour les policiers;
– des cours d’éducation à la sexualité dès le primaire;
– une campagne de sensibilisation nationale sur le consentement et le problème de l’objectification sexuelle;
– une réforme législative pour prendre en compte la réalité du harcèlement via les réseaux sociaux.
«Je ne m’étais pas sentie personnellement concernée par le mot-clic #AgressionNonDénoncée. Mais le mouvement #MoiAussi met en lumière toutes les formes d’abus: le harcèlement, les paroles et les gestes déplacés… C’est triste à dire, mais je ne connais aucune femme qui n’a pas déjà été victime de ça une fois dans sa vie. J’ai aussi constaté que les hommes ont été complètement déstabilisés – et ébranlés – par l’avalanche de témoignages de femmes de leur entourage. Je veux croire qu’il y aura un avant et un après. Je le souhaite sincèrement pour mes filles et pour mon beau-fils. Pour tout le monde en fait.»
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