Ma parole!

Du temps de quantité

Les parents se réconfortent parfois en disant qu’ils passent du temps de qualité avec leur progéniture, à défaut d’être souvent avec eux. Mais si les enfants avaient besoin de temps justement, de temps en famille, de temps de quantité, se demande Geneviève Pettersen.

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En m’en revenant de Radio-Canada, le matin du Nouvel An, j’écoutais dans mon char Gregory Charles s’entretenir avec Franco Nuovo. J’écoutais d’une oreille distraite, occupée à essayer de ne pas me faire rentrer dedans par un chauffeur de taxi qui brûle un stop. J’essayais aussi de ne pas déraper sur la gadoue. Ce n’était pas vraiment facile.

À un moment donné — je crois que j’étais rendue au coin Rachel et Frontenac — Gregory a dit une affaire importante. Tellement importante que je n’ai pas vu la lumière redevenir verte. La madame derrière moi a klaxonné pour que je reparte. J’ai pesé sur le gaz en même temps que Gregory expliquait que ce qui était important, quand on élevait des enfants, c’était le « temps de quantité ». Disons simplement que la mère du petit génie lui a un jour expliqué que, même si on faisait des grands sparages avec le temps de qualité, on se faisait des accroires. On a beau se servir de ce concept pour se déculpabiliser de travailler trop ou de ne pas passer tout le temps qu’on voudrait avec notre progéniture, c’est la quantité de temps qu’on consacre à nos enfants qui compte, au final.

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Même si je suis parfaitement consciente que ce n’est pas tout le monde qui a la chance de passer beaucoup de temps avec sa famille, je ne peux qu’être d’accord avec cette idée de temps de quantité. Pendant que je passais sous le viaduc, rue D’Iberville, Gregory expliquait que les enfants ne s’ouvrent pas nécessairement quand tu es prêt. Ils s’ouvrent quand ça leur tente. Ça vient tout seul, spontanément, disait-il. Mais ce n’est pas vrai. Ils ne s’ouvrent pas spontanément. Ils ont besoin de temps pour le faire, du temps en quantité.

Photo: iStock

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Même si on se promet de passer du temps de qualité avec notre plus vieille et qu’on est certain qu’elle va profiter de ce moment de proximité exceptionnel pour tisser une relation de confiance avec nous, partager ses peines et ses rêves, ça ne veut pas dire que ça va arriver. Inévitablement, elle aura envie de faire tout ça au moment où on s’y attendra le moins, au moment le plus inopportun selon nos critères, à l’épicerie ou sur le chemin de l’école par un matin pressé, par exemple. D’où l’importance d’être présent dans les moments banals de la vie quotidienne de notre progéniture.

Les enfants ont besoin de laisser s’égrener le temps pour pouvoir s’abandonner véritablement. Ça leur permet d’être en confiance, d’avoir le sentiment de faire partie de quelque chose. Comprenez-moi bien : je ne dis pas qu’il faut devenir pères ou mères à la maison et être 24 h sur 24 h avec nos enfants. Je dis simplement qu’on a besoin de vivre le quotidien ensemble si on veut arriver à former une famille épanouie. On a besoin d’heures non consacrées au « temps de qualité », des heures passées à passer la balayeuse, à lire des livres, à jouer dehors, à préparer un repas, à échanger, à travailler pendant qu’ils jouent à nos pieds, même. Des heures passées à être une famille, quoi.

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Ça veut dire que, au lieu de lire le journal sur notre tablette en sirotant un café, on devrait sans doute jaser de ce qui se passe dans le monde avec notre aînée et nous intéresser à l’épisode de Subito Texto à Télé-Québec. On devrait aussi emmener les enfants faire la commande au lieu de les laisser à la maison. Il se peut aussi qu’il soit plus profitable de leur demander de plier une brassée de lavage avec nous au lieu de le faire devant un épisode de Narcos, le soir venu, ou de les emmener glisser au parc à défaut de les laisser jouer trois heures à Animal Jam. Ça demandera des sacrifices, certes, mais au final, ce sera plus profitable pour tout le monde.

Nos enfants n’en ont rien à foutre du temps de qualité qu’on invente pour eux de façon à ce qu’ils aient l’impression d’être importants pour nous. Ça ne leur fait pas un pli sur la différence qu’on ait réussi à dégager une petite heure dans notre horaire de fou pour assister au spectacle de fin d’année. Au bout du compte, si on n’est jamais là, ou s’ils ont toujours l’impression que c’est à notre corps défendant qu’on l’est, qu’on aurait tellement mieux à faire et qu’on aimerait être ailleurs, c’est ce qu’ils retiendront. Pas les fois où nous avons raté une réunion importante parce qu’on devait aller les chercher à l’école pour cause de gastro fulgurante. Pas les fois où, en proie à un sentiment de culpabilité monstre, on a décidé de jouer une partie d’échecs avec eux au lieu de finaliser un gros dossier.

Les enfants ont besoin de temps. De temps en quantité. C’est ce que je nous souhaite, en 2016.

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

 

 

 

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