Société

Les Haïtiennes ouvrent la voie

Elles sont l’épine dorsale de leur pays. Les Haïtiennes ont d’autant plus de mérite qu’elles font face à un machisme profondément enraciné. Portraits de femmes courageuses qui militent pour mettre fin à la discrimination, à la violence et à la pauvreté.

Dans le pays le plus pauvre des Amériques, les Haïtiennes sont peu scolarisées, donc mal rémunérées quand elles ont un travail. Trop souvent seul soutien de famille, ces femmes fières doivent déployer des trésors d’ingéniosité pour faire survivre leurs enfants. La dernière année, marquée par une grave crise alimentaire et quatre ouragans dévastateurs, ne leur a pas facilité la tâche. Mais la vie reprend ses droits lentement et, en dépit de conditions de vie précaires, de plus en plus de femmes s’organisent et réclament haut et fort une société égalitaire et la reconnaissance de leur contribution à la société.

Marie Guyrleine Justin, 36 ans, journaliste et responsable de formation au réseau REFRAKA, regroupant 23 stations de radio communautaire
« Il faut s’assurer que de plus en plus de femmes puissent prendre le micro. »

Diplômée en techniques médicales et en comptabilité, Marie Guyrleine est arrivée à la radio un peu par hasard. La clinique où elle travaillait lui avait demandé de concrétiser un projet de radio communautaire en rapport avec la santé. Séduite par la magie des ondes, la pétillante jeune femme décida de s’y consacrer à plein temps. En 2001, avec 15 autres femmes, elle fonde REFRAKA (Rezo Fanm Radyo Kominotè Ayisyen : le Réseau des femmes des radios communautaires haïtiennes), basé à Port-au-Prince. Sa mission : donner enfin une voix aux Haïtiennes dans ce milieu traditionnellement masculin et, par cette contribution, instaurer une société où hommes et femmes sont égaux. « On donne aussi une formation journalistique (techniques d’interview, production d’émissions éducatives, mise en ondes…) à une centaine de femmes, explique Marie Guyrleine. On souhaite qu’elles produisent des émissions sur la réalité des femmes dans leur communauté. »

Marie France Fanfan, 37 ans, travailleuse domestique, et sa fille Murielle, 18 ans, étudiante
Elle a demandé au père de ses enfants de quitter le foyer familial car il n’assumait pas son rôle. On la voit ici avec sa fille Murielle.

À sa façon, c’est une activiste : Marie France tient tête aux hommes qui se croient tout permis. Tout a commencé ce jour où elle a surpris son voisin en train de battre son épouse. Malgré les menaces, elle l’a dénoncé sans hésiter et avec tant d’insistance que l’homme a finalement avoué son tort… Un exploit dans ce pays où un machisme crasse sévit partout.

Marie France travaille chez un Québécois établi à Grand-Goâve. Elle fait le ménage, la cuisine, la lessive, de la couture. Après sa journée chez lui, elle se rend au marché pour vendre des babioles. Elle achète ensuite de la nourriture pour sa propre famille. Le père ne fait pas partie de leur vie : Marie France lui a demandé de partir car, de toute façon, il ne s’occupait pas des enfants. « Ici, dit-elle, les femmes apprennent à se débrouiller. Le changement passe par la solidarité. Il faut oublier l’égoïsme, la jalousie, l’ambition. Pour que ça marche, on doit se réunir. »

Marie-Ange Noël, 40 ans, coordonnatrice au sein de l’organisme de promotion et de défense des droits des femmes Fanm deside (« femme décidée », en créole).
« De plus en plus de femmes violentées acceptent de porter plainte contre leur agresseur. »

R-E-S-P-E-C-T, pourrait entonner Marie-Ange Noël, déterminée à faire respecter les droits des femmes en Haïti. Dans un pays où l’économie est à bout de souffle, son organisme, Fanm deside, veut améliorer les conditions de vie des femmes en mettant à leur disposition du microcrédit ou les inviter à participer à des ateliers de production et de vente de produits locaux : « Ici, 60 % des femmes sont chefs de famille monoparentale », souligne Marie-Ange, qui, elle-même, élève seule sa fille de neuf ans à Jacmel. Autre problème grave en Haïti : l’inadmissible violence conjugale, largement sous-estimée dans les chiffres officiels. Les femmes, honteuses, ont tendance à se taire. Mais les choses changent, assure Marie-Ange : « De plus en plus acceptent de porter plainte contre leur agresseur. » Et quand elles le font, Marie-Ange est là pour les soutenir.

Magalie Marcelin, 46 ans, fondatrice de l’organisation féministe Kay Fanm (« maison des femmes » en créole) et du centre REVIV (Réhabilitation des victimes de violence) pour les enfants agressés sexuellement.
Magalie Marcelin a le mot « engagement » tatoué sur le cœur : elle aide les femmes victimes de discrimination et les enfants agressés sexuellement.

« En Haïti, on explique les inégalités entre hommes et femmes par leurs différences biologiques. On dit que c’est la volonté de Dieu ! s’insurge Magalie. La discrimination fondée sur le sexe se manifeste dans tous les aspects de la vie. » Kay Fanm aide les victimes de violence, fait la promotion du droit des femmes (conférences, émissions de radio, concours, dîners, activités dans les écoles), soutient les travailleuses du secteur populaire (microcrédit, services d’hébergement, de restauration), voit à leur formation. « À la fin des années 1980, on accusait les féministes haïtiennes de singer les féministes occidentales, dit cette jeune grand-maman. On montrait du doigt la misère et le chômage pour expliquer la violence faite aux femmes. Aujourd’hui, les discours changent, et ça va continuer même après ma mort ! »

 

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